La haine de la culture à l’école des « compétences »

 

Extraits de la recension par Éric Zemmour du livre La Haine de la culture par Konrad Paul Liessman. On trouvera également de longs extraits du début de l’ouvrage à la fin de ce billet.

Bildung : un mot que seuls les germanistes connaissent ; et les lecteurs des grands romanciers allemands, les Theodor Fontane et Thomas Mann. Bildung, c’est à la fois l’éducation, la culture et la formation, comme nous l’expliquent, dès la première page du livre, nos traducteurs. Bildung était bien sûr dans le titre original de cet ouvrage : bildung abandonnée, bildung rejetée, bildung méprisée, bildung martyrisée mais bildung debout, bildung

Si je me permets ainsi de jouer, c’est que notre auteur ne se prive pas lui-même de manier l’ironie avec une efficacité grinçante. Et si je joue sur un registre franco-allemand, c’est que les thèmes de son ouvrage évoquent des auteurs français bien connus : le Finkielkraut de La Défaite de la pensée ou le Régis Debray de L’Éloge des frontières. Konrad Paul Liessmann a écrit une formidable charge contre les progressistes ; en France, il aurait été catalogué dans les « nouveaux réacs ». Mais Liessmann est un philosophe autrichien qui peut s’ébrouer librement, loin des sectaires et des sicaires du boulevard Saint-Germain. Il est libre Konrad ! Libre d’appeler à de nouvelles Lumières contre l’Islam sans craindre les reproches d’islamophobie [...]

Libre de nous démontrer que l’école d’aujourd’hui, qui a abandonné la culture pour les compétences, est devenue une école « barbare ». Qu’on n’éduque plus les enfants, mais qu’on cherche « l’acquisition de compétences telles que la capacité à travailler en équipe, la disposition à communiquer, le goût de l’innovation et la virtuosité numérique ». Que « la culture n’est pas un savoir-faire. » Que le « savoir inutile voilà ce qui distingue l’homme cultivé ». Que la littérature a connu le sort du latin et du grec ancien dans les années 1960, devenue obsolète, car symbole de la culture bourgeoise. Et que « faire en sorte de barrer systématiquement l’accès à la littérature aux jeunes gens, par la mise en œuvre d’une politique éducative obsédée par les compétences et ne jurant que par la technique, cela ne saurait être interprété que comme un acte barbare ».

Qu’il y a un lien (évident, mais que personne ne veut voir) entre la dévalorisation des connaissances et l’entrée dans l’ère de la post-vérité. Et de finir sur cette ironie réjouissante : « On peut y voir un processus démocratique : ce que jadis seuls 10 000 privilégiés avaient le droit de lire, aujourd’hui plus personne n’a le droit de le lire. Inégalité pour tous. »

Liessmann nous montre le paradoxe de notre époque qui vide l’éducation de sa substance culturelle et qui, en même temps, pare l’éducation de toutes les vertus et de tous les objectifs. « De nos jours, parler de l’éducation, c’est croire aux miracles (…) (L’école est devenue) une sorte de religion dans une société sécularisée. » Mais justement, ceci explique cela. C’est parce qu’on a détruit la culture littéraire, ce qu’on appelait la « culture » et que l’extrême gauche appelait « la culture bourgeoise », qu’on a pu ainsi transformer les salles de classe en un lieu de propagande mise au service du développement durable, de la théorie du genre, etc. Et parce qu’on a renoncé au « processus de conquête de soi-même par la culture » qu’on peut donner le bac à tout le monde.

Liessmann dénonce avec lucidité des profs privés de « tout contact avec leur discipline », « au nom d’une pseudo scientifisation de la pédagogie fort douteuse en raison de l’étendue de leur contamination idéologique ».

Il ne respecte rien ni personne pour notre plus grande joie. « À l’époque du numérique, où des tablettes sont utilisées durant les cours, les écoles ne font pas des enfants et des adolescents qui leur sont confiés des citoyens émancipés capables de résister aux tentations totalitaires des multinationales du net, mais, au contraire, des agents de ces firmes ». On transmettra le message à Valérie Pécresse qui, au nom de la région Île-de-France, a distribué des ordinateurs à tous les enfants des écoles !

Même notre société de l’intelligence est brocardée par notre iconoclaste : « Seuls les pays affichant un faible pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur — la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne — affectent un faible taux de chômage de ces personnes (…) Ailleurs, (se développe un) précariat académique [des diplômés universitaires] grandissant (qui signifie sans doute “que la lutte pour les talents” appartienne déjà au passé). »

On l’a dit, Liessmann est autrichien. Sa critique acerbe de la société et de l’école concerne le système éducatif du monde germanique. Chez nos voisins, l’école est fédéralisée, régionalisée, même les programmes peuvent être différents d’une région à l’autre. Des fondations parfois privées gèrent le système. Pas de Rue de Grenelle, pas de ministère centralisé, pas « de plus gros employeur du monde depuis la disparition de l’Armée rouge ». Pas de sclérose bureaucratique, pas de Jules Ferry disant « tous les enfants de France font la même dictée à la même heure ». Pas de pédagogistes et de gauchistes qui se sont introduits dans le cœur du système pour mieux le piloter et le désintégrer. Pas de profs fonctionnaires « fainéants » qu’on ne peut pas virer et qui ne pensent qu’aux vacances !

Rien de tout cela et pourtant les mêmes résultats, les mêmes constats, le même mépris de la culture et de la littérature, la même obsession des compétences, le même Graal des classements Pisa, le même modèle finlandais, la même propagande des lobbys gays, antiracistes, écologistes, féministes. En lisant Liessmann, on comprend que la France a subi comme ses voisins le même processus de Bologne (Union européenne), les mêmes instructions de l’OCDE (inspirées des méthodes américaines d’après-guerre), le même mépris de la transmission au bénéfice de l’innovation, la même incapacité à mener un nouveau combat des Lumières contre l’Islam, la même détestation de la culture bourgeoise, patriarcale, hétérosexuelle et blanche. Cela nous rend plus indulgents pour nos faiblesses hexagonales. Et plus lucides sur nos véritables ennemis.

LA HAINE DE LA CULTURE
par Konrad Paul Liessmann,
paru à Paris
le 16 septembre 2020
aux éditions Armand Colin,
173 pages,
ISBN-13 : 978-2200627928


Début du livre

Quand on suit de près le discours actuel sur l’éducation et la culture, on peut observer avec intérêt la carrière époustouflante qu’ont connue les termes « culture » et « éducation » (Bildung1). De nos jours, ceux-ci ne viennent pas seulement se substituer aux concepts de pédagogie, d’instruction et d’enseignement, ils ne décrivent pas seulement la façon dont les hommes se voient traités, de la stimulation du fœtus in utero à l’initiation informatique des seniors en passant par l’intégration des migrants. Ils peuvent aussi être utilisés comme des jokers bon marché à chaque fois que les autres institutions ou pratiques ont échoué : celui qui prononce ces mots a toujours raison.

Si la culture (Bildung) est devenue une promesse de réponse à tous les problèmes, la « personne cultivée » (Gebildete), que l’on serait tenté de voir comme l’aboutissement des efforts accomplis en matière de formation, a presque disparu du vocabulaire. Cette figure est désormais complètement absente de la planification de l’éducation et de la trajectoire éducative, et on ne voit même pas en quel point du parcours d’apprentissage elle devrait apparaître. Arriver au terme de la scolarité obligatoire, passer avec succès une maturité2 moderne axée sur les compétences, obtenir une licence conçue sur le modèle de Bologne [système standardisé européen de diplômes universitaires : licence, maîtrise, etc.], rien de tout cela ne laisse la moindre place à la personne cultivée — ni comme objectif, ni comme notion clé. L’important n’est plus que les gens s’éduquent, ni qu’on les éduque : ce qui est aujourd’hui exigé, c’est l’acquisition de compétences telles que la capacité à travailler en équipe, la disposition à communiquer, le goût de l’innovation et la virtuosité numérique.

Personne ne conteste le fait que les gens aient à acquérir différentes qualifications afin d’être en mesure de faire preuve d’aptitudes variées et de maîtriser les techniques culturelles d’aujourd’hui. Cependant, rien de tout cela ne recouvre ce que l’on appelait autrefois la culture. S’il nous arrivait de croiser le chemin d’une personne cultivée au sens classique du terme, il est probable que cela provoquerait chez nous une certaine irritation, car elle incarne précisément tout ce dont le discours actuel sur l’éducation ne veut plus entendre parler. Cette personne est celle qui possède un savoir solide, lui permettant de distinguer sans aucune censure les faits de la fiction, mais aussi des connaissances esthétiques et littéraires acquises par l’expérience, une perception nuancée dans les domaines historique et linguistique, la capacité à porter un regard critique, y compris sur soi-même, un jugement équilibré fondé sur tout ce qui précède et une capacité accrue à faire la part des choses face aux mensonges, aux exagérations, aux phénomènes de mode, aux formules toutes faites, aux jugements moraux et aux platitudes de notre époque — autant de qualités qui ne sauraient être subordonnées aux exigences actuelles d’utilité, d’applicabilité et d’exploitabilité.

La personne cultivée serait considérée de nos jours comme une apparition singulière, hors du temps. Elle ne serait pas pour autant étrangère au monde, car la culture est une façon d’être au monde qui ne puise pas ses sources uniquement dans les bulles formées par les réseaux sociaux, mais aussi ailleurs, notamment dans ces livres dont on n’ose plus recommander la lecture. Au contact d’une telle personne, nous serions sans doute désagréablement surpris, remplis d’envie peut-être et, selon les circonstances, peut-être même un peu honteux, parce qu’elle remettrait en question notre façon de concevoir l’éducation.

Prise au sérieux, la culture constituerait de nos jours une provocation. Il paraît pourtant légitime de douter de la pertinence de la réponse donnée à cette provocation, à savoir cette « compétence d’orienter l’enseignement vers les compétences » qui fait aujourd’hui fureur. La culture est une notion épineuse, qui ne se laisse pas réduire à des savoir-faire formalisés et à l’ambition d’en tirer d’éventuelles applications. Elle est toujours en prise directe avec des contenus concrets, mais aussi — horribile dictu — avec un savoir abstrait, c’est-à-dire avec le discernement et des attitudes porteuses de valeurs intrinsèques, qui permettent à l’homme d’être en relation avec lui-même et avec le monde d’une façon qui n’est pas entièrement soumise aux impératifs du temps et des modes.

En dépit des critiques portant sur les réformes de l’enseignement hostiles à la culture et à l’éducation, il ne faut pas désespérer. Ce sont précisément cette fébrilité et le côté arbitraire de la culture médiatique actuelle qui font grandir le désir d’une culture fondée sur des connaissances solides, une pensée critique, des rencontres avec sa propre tradition et avec les cultures d’ailleurs, et une meilleure capacité de jugement. La culture, c’est aussi l’apprentissage d’un certain détachement, aidant celui qui le pratique à se tenir à l’écart aussi bien des enthousiasmes exubérants qui traversent l’air du temps que de la morne indignation suscitée par des inanités médiatisées à outrance.

La culture est indissociable de la prise de conscience de sa propre insuffisance, du fait de savoir que l’on ne sait pas. Ce n’est qu’à la condition de cette modestie qu’elle peut devenir une attitude permettant de s’ouvrir à l’autre et à ses multiples apparences, sans exigences fausses et démesurées, mais aussi sans aucune posture de supériorité morale ou intellectuelle et sans la vanité d’une élite dont l’arrogance est elle-même devenue un signe d’inculture.

Notes

1. L’auteur aborde ici la notion de Bildung, qui fera l’objet de nombreux développements dans le présent ouvrage. Il n’est pas facile de traduire ce mot allemand en français, car il peut évoquer à la fois l’éducation, la culture — dans toutes les acceptions que l’on connaît à ce mot en français quand il se rapporte aux activités de l’esprit — et la formation — au sens scolaire, universitaire et professionnel du terme, mais aussi au sens de l’expérience intérieure propre à chaque individu, qui a donné naissance au genre littéraire du roman de formation ou d’apprentissage. Enfin, si ces différents sens sont liés les uns aux autres en ce qu’ils se rapportent tous à un même processus trouvant son aboutissement dans la maturation et l’accomplissement de l’individu, la notion de Bildung a également une dimension collective, ayant trait en particulier à la circulation des idées et à la communication entre les hommes. 

La Bildung a joué un rôle fondamental dans la philosophie et la littérature du XVIIIe siècle, notamment chez Wilhelm von Humboldt ou chez Goethe. Elle fait l’objet d’une entrée dans le Dictionnaire des intraduisibles, publié sous la direction de Barbara Cassin, auquel nous renvoyons les lecteurs curieux d’en savoir davantage. Pour notre part, nous avons fait le choix de traduire le mot en français à chaque fois que le contexte permettait d’identifier et d’isoler l’un de ses nombreux sens, et de conserver le terme allemand dans le cas contraire (NDT).

2. La maturité est un certificat délivré à la fin des études secondaires [à 18/19 ans] dans de nombreux pays européens tels que l’Allemagne (Reifeprüfung, Reifezeugnis ou Abitur), l’Autriche (Reifeprüfung, Matura ou Matur), ou l’Italie (esame di Stato ou maturità). En France, la maturité correspond au baccalauréat (NDT). [Au Québec au Diplôme d’études collégiales]

Début 2015, le gazouillis d’une lycéenne met en émoi l’Allemagne tout entière. Même la ministre fédérale de l’éducation, Johanna Wanka, se croit obligée de donner raison à la jeune femme. Sous le pseudonyme de Naina, celle-ci a écrit : « J’ai bientôt 18 ans et je connais rien aux impôts, au loyer ou aux assurances, par contre je peux faire l’analyse d’un poème. En quatre langues1. » Aussitôt, les débats sur le sens de l’enseignement de la culture classique et humaniste au regard des nécessités de la vie quotidienne dans une société moderne sont relancés. Le fait que l’on n’apprenne pas à l’école ce dont on a besoin dans la vie de chaque jour est un reproche fait depuis l’Antiquité aux institutions éducatives. Ne faudrait-il apprendre que ce qui peut être mis immédiatement en application ? Apprendre uniquement ce qui est utile, ce qui correspond à sa propre situation et à ses besoins individuels ? Est-ce cela, que nous entendons par éducation ? Et le problème ne réside-t-il pas dans le fait que, de toute façon, l’éducation est davantage conçue en référence aux exigences des marchés et aux besoins des enfants et des adolescents qu’aux contenus supposément surannés et aux savoirs que l’on juge inutiles ? Avec son tweet, Naina n’apporte-t-elle pas des chouettes à Athènes — une expression dont il n’est pas certain qu’elle connaisse la signification et l’histoire ?

Du savoir inutile. Voilà ce qui distingue l’homme cultivé… et voilà le mal ! Des élèves capables d’analyser un poème, mais qui échouent au moment de remplir leur déclaration fiscale, tel est apparemment le cauchemar de tout ministre de l’éducation moderne. À l’école, les enseignants n’ont donc plus le droit de poser aux élèves des questions hors contexte et, de manière très révélatrice, l’expression « savoirs factuels » est pratiquement devenue taboue, comme s’il s’agissait de transmettre de préférence des opinions et des idéologies. Les questions posées lors du baccalauréat portent donc sur les compétences, et doivent correspondre à des situations et des intentions bien précises — les connaissances qui n’apportent rien à la solution d’un problème étant, elles, jugées inadéquates et superflues. Ceux qui ne voyaient jusqu’alors le monde que comme une construction sociale, et redécouvrent aujourd’hui la vérité empirique, ne semblent pas remarquer le rapport existant entre cette dévalorisation des connaissances et l’entrée dans une ère de la post-vérité2 qui est, elle, largement décriée depuis un moment.

De même, on n’a plus le droit d’enseigner les traditions culturelles et esthétiques : chaque tentative de se référer à un canon, autrement dit à un corpus constitué des œuvres classiques les plus importantes, est soupçonnée de remettre en question le postulat selon lequel toutes les productions culturelles peuvent prétendre à être traitées sur un pied d’égalité, le goût pour les langues anciennes et la beauté des mathématiques est méthodiquement taillé en pièces au profit de la praxis, et la lecture de textes est réprouvée dès lors qu’elle ne vise pas à l’acquisition de compétences permettant de résoudre des problèmes.

La culture littéraire, qui se trouvait jadis au cœur du programme des établissements de l’enseignement secondaire et supérieur, semble désormais bannie de leur vocabulaire — et c’est un phénomène qui ne concerne pas que ces établissements. Cependant, le fait pour certains de dénoncer le caractère bourgeois de toute forme de connaissances esthétiques, littéraires, linguistiques ou historiques, ne se rapporte pas seulement à la critique d’un habitus social, mais aussi à celle d’une certaine conception de la culture. Dès lors que celle-ci se réfère, de façon essentielle si ce n’est exclusive, aux textes littéraires canoniques, on la tient pour obsolète. Ainsi les belles-lettres, même les plus avant-gardistes, ne sont-elles plus que des ombres fantomatiques dans les programmes ; par ailleurs, elles ne jouent plus aucun rôle au sein des débats sur l’éducation, où les compétences sont reines.

Dans les années soixante déjà, les débats accompagnant la réforme des programmes scolaires avaient été dominés par la remise en question de l’éducation littéraire au sens classique. La suppression des langues anciennes des programmes du lycée avait été justifiée par l’idée que, si celles-ci pouvaient certes encore constituer une source d’inspiration individuelle, elles n’étaient pas d’une importance justifiant qu’on leur fasse une place au sein de la politique éducative. « Nul ne contesterait le fait que l’étude des sources spirituelles de l’Antiquité, de même que celle de ses structures linguistiques de base, puisse être gratifiante et même procurer un réel plaisir — et cela ne vaut pas uniquement pour l’érudit, mais pour quiconque y chercherait l’inspiration. Pour autant, cela ne justifie pas de donner au monde antique une position centrale dans les programmes scolaires du système éducatif général3. » Ce que le réformateur des programmes scolaires Saul B. Robinsohn4 avait soutenu en 1967 en parlant du grec ancien et du latin, on pourrait le dire aujourd’hui de la littérature en général. Si personne, ou presque, ne conteste la capacité de celle-ci à constituer une expérience gratifiante pour qui voit en elle une source d’inspiration, plus aucun spécialiste de l’éducation n’ose aller jusqu’à affirmer qu’elle possède une signification universelle, donc une portée qui l’est également. Cette restriction est moins due au fait que le canon littéraire de jadis a déjà été remis en question et démonté à plusieurs reprises au cours des décennies précédentes qu’aux effets des nouvelles méthodes d’apprentissage ne visant que l’acquisition de compétences, et excluant par essence que le fait de se frotter aux œuvres littéraires et artistiques puisse constituer une fin pédagogique en soi.

Quand on parle de l’acquisition de compétences, il est toujours question d’un savoir-faire, d’une application pratique, de la résolution d’un problème. Tous les contenus mobilisés à cette fin seront alors nécessairement assimilés à des moyens, auxquels on pourrait en substituer d’autres du moment qu’ils sont capables de remplir la même fonction. Si les compétences littéraires requises en cours d’allemand, par exemple, telles que la compréhension de l’écrit, les capacités analytiques, la contextualisation historique et systématique ou encore la comparaison de différentes stratégies d’écriture, semblent pouvoir intervenir — en tant qu’objectifs ou en tant que pratiques — en abordant n’importe quel texte, elles ne constituent pas le bagage méthodologique indispensable pour lire et comprendre les textes que nous tenons pour indispensables. La question du rôle qu’une éducation littéraire peut jouer dans ces conditions devient ainsi plus pressante.

L’éducation littéraire a toujours été controversée. Sa réduction à une histoire littéraire qui se contentait de construire des époques et de ranger ensuite les auteurs et les œuvres dans les cases ainsi constituées était tout aussi insatisfaisante que l’apprentissage des résumés contenus dans diverses encyclopédies de la littérature. D’un autre côté, le lettré n’était pas seulement quelqu’un qui excellait par ses connaissances dans un domaine spécifique de la production culturelle : on le considérait comme une personne cultivée au sens large et exemplaire du terme. Se cultiver par la lecture était alors quasiment synonyme d’une haute exigence en matière de formation de l’esprit, qui impliquait d’entretenir une relation très proche avec une certaine catégorie de livres et de textes. En ce sens, la culture littéraire ne se réduisait précisément pas à la capacité à comprendre et exploiter tout le contenu d’un texte en usant de techniques sophistiquées : l’ébahissement qu’elle provoquait était aussi et surtout suscité par tout ce qu’elle avait nécessité de lire.

C’est ce qui fait que la culture littéraire a été — et est toujours — une provocation. Elle met en lumière l’existence d’un privilège, consistant pour certains à avoir le temps de se consacrer intensivement aux textes littéraires, sans que cela leur apporte grand-chose au quotidien ou dans l’exercice de leur profession. Nous mettons à part le cas particulier du professeur de littérature, qui aurait réussi à faire de la lecture sa profession : au-delà même du cadre de la recherche universitaire, le défi de la culture littéraire comporte aussi une exigence en termes de quantité. On ne peut se prétendre cultivé après avoir lu cinq romans et trois nouvelles. Certes, il serait vain de se disputer au sujet du nombre de livres que quelqu’un devrait avoir lus pour être considéré comme cultivé, mais il est certain qu’il ne peut s’agir d’une petite quantité. Par ailleurs, il est sous-entendu qu’il ne peut s’agir de n’importe quels livres : il faut avoir lu des textes bien particuliers. Ainsi, une personne qui aurait lu tous les romans de Karl May ou J.K. Rowling ne serait pas pour autant considérée comme cultivée — étant précisé que la culture littéraire n’exclut pas ce genre de lectures. Celui qui, dans le cadre d’une analyse critique, serait en mesure d’établir un lien entre Winnetou5 et Hegel, ou entre Harry Potter et Martin Heidegger, se rapprocherait déjà davantage de l’idée de culture littéraire, fondée sur le principe qu’il y a des livres sans lesquels le monde et les hommes qui y vivent seraient à tous égards plus pauvres.

Une réflexion du philosophe berlinois Peter Bieri — également auteur, sous le pseudonyme de Pascal Mercier, de romans à succès tels que Train de nuit pour Lisbonne — vient éclairer ce propos : « L’homme cultivé est un lecteur. Mais il ne suffit pas d’être un rat de bibliothèque et quelqu’un qui sait tout. Cela peut paraître paradoxal, mais la figure du savant inculte existe également. La différence entre les deux, c’est que l’homme cultivé est capable de lire d’une façon telle que ses lectures le transforment6. » En ce sens, la lecture serait donc considérée comme une condition nécessaire, et pas seulement facultative, de la culture, si l’on tient pour acquis le pouvoir qu’ont les textes de façonner la personnalité de ceux qui les lisent. Il ne s’agit pas seulement de faire les fameuses expériences dont il est question dans les programmes scolaires orientés vers les compétences, mais plutôt de faire l’expérience… des expériences ! Bieri poursuit ainsi son raisonnement : « Le lecteur de littérature apprend quelque chose d’autre, à savoir comment on peut parler des pensées, des désirs et des sentiments des hommes. Il apprend la langue de l’âme. Il apprend que d’autres peuvent ressentir les choses d’une manière différente de la sienne. Un autre amour, une autre haine. Il apprend de nouveaux mots et de nouvelles métaphores pour décrire les états d’âme. Grâce à l’enrichissement de son vocabulaire, de son répertoire de notions, il est maintenant en mesure de parler de son vécu d’une façon plus nuancée, ce qui lui permet de ressentir les choses avec plus de finesse7. » S’il est permis de penser que le savoir contenu dans la littérature recèle le germe de certaines compétences, il n’est cependant pas certain que cette faculté d’empathie pour un monde étranger puisse être conçue comme une logique opérationnelle et enfermée dans une définition précise. Certains programmes scolaires, qui cherchent à encourager les élèves à laisser libre cours à leurs émotions face au texte lu, témoignent peut-être d’une bonne intention, mais ils méconnaissent que l’éducation esthétique se nourrit justement de l’imprévisible.

Dès lors que l’enjeu ne consiste plus à se transformer grâce à la littérature, mais à utiliser celle-ci comme un simple prétexte pour se former à certaines compétences, le lettré change de visage pour devenir un objet de scandale. Il nous renvoie sans cesse aux livres que nous n’avons pas lus et, sans le vouloir, nous fait ressentir que toutes nos compétences ne nous mèneront pas bien loin. Celui qui est capable de parler de sentiments humains — de l’amour, de la haine et de la jalousie — d’une façon plus subtile et détaillée grâce à ses lectures de Fontane, Flaubert et Proust, contredit ipso facto le mantra actuel de la nécessité d’une éducation orientée vers les compétences. Quant à celui qui n’a pas lu ces auteurs, il ne saurait prétendre s’en passer en analysant, puis en faisant application au cas par cas de l’un de ces textes utilitaires ayant vocation à apporter des réponses à tous les problèmes — par exemple un article sur la jalousie tiré de la rubrique « Conseils » du premier journal à sensation venu… C’est précisément en cela qu’une véritable éducation littéraire peut constituer une provocation : il ne s’agit pas de s’entraîner à acquérir des compétences quelconques en étudiant n’importe quel texte, mais d’avoir lu certains livres en particulier.

Ce que Bieri omet cependant de dire au sujet de la culture littéraire, c’est que le lettré n’est pas seulement capable de parler avec une précision accrue de ses sentiments et expériences, mais aussi et surtout de ce qu’il a lu. On sape le sens de la littérature si l’on ne pense pas aussi à son sens propre : on peut lire des livres parce qu’on souhaite les avoir lus. Quant à savoir quel effet ont ces lectures — si elles en ont un — et surtout si on peut espérer changer grâce à elles, la question reste posée. Chaque canon littéraire nous renvoie implicitement à la valeur intrinsèque d’un texte dont, à elles seules, la forme, les particularités, la qualité esthétique justifient la lecture — pour celle-ci, il n’est nul besoin d’« actualisation », ni de stratégies de classement ou de valorisation, ni même de l’idée qu’elle aurait pour effet de faciliter la compréhension de soi-même et du monde.

L’œuvre — et cela vaut pour tout objet esthétique de qualité — justifie ainsi sa réception par sa seule existence, et l’on n’a pas besoin d’invoquer d’autres arguments pour défendre l’utilité de la lecture du Faust de Goethe, de L’Homme sans qualités de Musil ou de La Montagne magique de Thomas Mann. Non sans mépris, certains affirment parfois qu’on peut s’épargner la lecture de ces livres, en lesquels ils ne voient que les vestiges d’un patrimoine culturel vide et mort — ce qui en dit plus sur l’idée qu’on se fait aujourd’hui de la culture que ses détracteurs ne le souhaiteraient. Certes, la culture ne se réduit pas au fait de se consacrer à une chose pour elle-même, mais sans cet abandon et la faculté qu’ont certains d’en faire preuve, il n’y aurait pas de culture. Il n’existe aucune école dont l’enseignement soit à même de forcer les choses pour produire cette faculté d’abandon, de dévouement à une œuvre. Mais une école qui nie que celle-ci puisse exister et qui lui barre le chemin, admettant tout juste de se pencher sur des bribes de littérature en lesquelles elle espère trouver des éléments susceptibles d’avoir une quelconque valeur stratégique sur le plan des compétences, une telle école est barbare.

La culture littéraire se nourrit d’une fiction consistant à penser qu’il y a des livres dont la lecture nous transforme, et que ce phénomène ne se produit pas uniquement grâce à nous, à nos dispositions et à notre situation, mais aussi sous l’effet de ces livres uniques. Seule une telle pensée peut rendre légitime l’établissement d’un canon littéraire, et seul un tel canon — si controversé et si changeant soit-il — peut nous aider à définir ce que nous appelons la culture littéraire. En tout état de cause, on constate la chose suivante avec ce type de formation : plus j’ai lu, plus je comprends et je prends conscience du fait qu’il y a beaucoup de choses que je n’ai pas lues et que je n’aurai peut-être jamais l’occasion de lire. L’attitude de la personne réellement cultivée contredit ainsi, par essence, l’arrogance du bourgeois qui ne l’est que prétendument et se contente de colporter des citations sorties de leurs contextes ; elle contredit également les postures triomphantes encouragées par les fantasmes d’omnipotence numérique, qui donnent l’illusion de tout maîtriser et de tout savoir du moment qu’un téléphone intelligent est à portée de main.

La provocation que constitue la culture littéraire réside notamment dans le pouvoir qu’a la littérature de transformer la personnalité du lecteur, un pouvoir qui s’exerce de façon presque imperceptible, qui ne semble pas poursuivre d’objectifs bien définis, et qui, ne pouvant être exploité à des fins opérationnelles, se dérobe à toute tentative de contrôle ou de vérification. Qu’il existe une forme de Bildung échappant aux tentatives des institutions en charge de veiller sur la qualité des programmes de s’en saisir, parce qu’elle se tisse à partir d’une relation informelle entre élève et professeur, voilà de quoi égratigner ces chimères que sont la quantification et la mesurabilité des acquis, dont ni les recherches actuelles en matière d’éducation, ni le système éducatif lui-même, n’imaginent pouvoir se passer.

Si l’exigence caractérisant la culture littéraire constitue une provocation, c’est aussi parce que cette exigence contredit le principe d’égalité des chances, qui vise à l’égalité de réussite. Certes, les établissements de formation peuvent rendre possibles et faciliter les expériences littéraires, au même titre qu’ils le font pour toute formation authentique, mais ces expériences n’ont pas vocation à être effectuées sous la contrainte, ni à être contrôlées. La lecture est une activité solitaire, et il est impossible de planifier ou de pronostiquer aussi bien l’effet que peut produire une lecture sur le processus de développement et de formation d’une personne, que les intérêts qui pourraient ainsi être stimulés ou au contraire découragés chez cette personne. Il existe une autre raison au fait que la culture littéraire se trouve en contradiction avec l’air du temps pédagogique : c’est que l’ambition de lui accorder une place au sein des cours rappelle constamment qu’un tel enseignement n’est, en fin de compte, destiné qu’à un petit nombre d’élèves. Il n’est pas possible d’obtenir par la force que chacun puisse approcher la littérature et se l’approprier : la seule chose qu’on puisse faire à ce sujet, c’est préparer un terrain propice à sa rencontre. À elles seules, les ventes de livres montrent que la lecture, dans toutes ses variantes, est restée ce qu’elle a toujours été, à savoir une activité réservée à un public minoritaire. Comme toute minorité, celle des lecteurs mériterait, elle aussi, une protection particulière. Il fut un temps où, dans certains milieux, on pouvait acquérir un surplus de distinction sociale en énumérant des noms d’auteurs et des titres de livres, mais rien de tout cela n’existe plus.

La réforme actuelle de l’éducation donne lieu à une tendance que Heinz-Joachim Heydorn avait, il y a des décennies, reprochée à la conception de l’éducation à caractère réformiste et visant l’abolition de privilèges éducatifs sociaux : « C’est ainsi que cette éducation prend ses distances avec la littérature, fidèle à une tradition qui prétend que la culture littéraire n’a pas sa place au sein des masses ; or, il ne reste maintenant que les masses. Alors que ce type d’éducation était jadis le privilège des classes dominantes, elle est désormais récusée parce qu’il s’agit de l’éducation de l’ancienne classe supérieure, parce qu’elle offre une “sélection limitée de contenus répondant aux besoins d’une certaine couche sociale”. On peut y voir un processus démocratique : ce que jadis seuls 10 000 privilégiés avaient le droit de lire, aujourd’hui, plus personne n’a le droit de le lire. Inégalité pour tous8. » Contrairement à une croyance de la politique éducative actuelle, selon laquelle l’éducation devrait avoir pour fonction de remédier aux différences sociales et de compenser les désavantages qui y sont liés, le concept de culture littéraire indique pour sa part que cela n’est — éventuellement — possible que par un acte individuel et non au moyen d’un projet social. Vouloir échapper à cette logique en éliminant la littérature des programmes scolaires, c’est non seulement faire preuve d’inculture, mais aussi montrer que celle-ci peut être la conséquence d’une certaine conception de l’égalité sociale qui, tout en glorifiant verbalement l’individualisation de l’enseignement, ambitionne en réalité de se débarrasser de l’individu qui s’obstine à penser par lui-même.

Cependant, la littérature revêt une forme spécifique, celle du livre, sans lequel la pratique culturelle élaborée qu’est la lecture est impensable. Le processus de numérisation des écoles et universités actuellement imposé par la force, et qui part du principe que le salut viendra des instruments plutôt que des idées, bloque à grande échelle le développement de tout intérêt pour la littérature. Car pour éveiller celui-ci, il n’est point besoin d’appareils numériques, d’applications, et encore moins de connaissances en programmation. Une rapide recherche sur internet ne remplace pas la confrontation à un livre. À cet égard également, la culture littéraire représente une provocation : constituant la somme de multiples expériences de lecture ayant laissé leur empreinte dans la vie d’une personne, elle fait rempart à l’idéologie fondée sur la disponibilité immédiate de toute information. L’intérêt de quelqu’un pour la littérature peut se trouver éveillé par le simple fait qu’on lui mette dans les mains le bon livre au bon moment, et qu’il s’ouvre ainsi à la possibilité de devenir un lecteur.

De tels moments et de tels livres constituent sans aucun doute autant de chances de développement pour notre société. Un « retour à la littérature » ne peut pas se réduire à la nostalgie et à un pessimisme culturel qui ne déboucheraient que sur une déclaration de perte9. Il y a des livres qui valent la peine d’être lus parce qu’ils ont un rapport essentiel avec notre vie et les questions politiques d’aujourd’hui, alors même qu’ils nous viennent d’autres temps. En ce sens, on pourrait hasarder la thèse selon laquelle une culture littéraire solide serait susceptible d’apporter plus à la conscience et à la perspective européennes que ne le font le processus de Bologne et sa bureaucratie débordante. L’Europe fut le continent des grands récits, au terme desquels elle est elle-même devenue la dernière de ces narrations. Pourquoi ne pas esquisser un canon des littératures européennes et recommander sa lecture à toutes les écoles secondaires ?

À quoi pourrait ressembler un tel canon ? Pour le savoir, on pourrait d’abord revenir au mythe même d’Europe, la fille du roi phénicien, séduite, enlevée et violée en Crète par Zeus, qui avait pris l’apparence d’un taureau. Est ainsi posée, une fois pour toutes, la thèse d’une provenance non européenne de l’Europe, qui retient l’Orient comme origine et source de l’Occident. On pourrait poursuivre avec l’Iliade d’Homère qui, de façon tout aussi paradigmatique, voit l’esprit européen dans sa décisive confrontation à l’autre, une confrontation qui n’est cependant pas le fruit d’une différence, mais d’un désir partagé, celui de la beauté. L’exploration du cycle pourrait se poursuivre avec l’Énéide de Virgile, une épopée qui, de manière fondamentale, décrit l’Europe comme un continent de l’immigration [Uniquement de quelques Troyens mythiques...]. Enfin, la Chanson des Nibelungen, qui n’est pas seulement une célébration de l’innocence, du courage héroïque, de la fidélité et de la trahison, mais qui lie le destin de l’Europe à la frontière insaisissable entre celle-ci et l’Asie, pourrait venir conclure cette histoire des origines.

Des motifs qui parcourent le temps, des thèmes que l’on ne peut oublier, des constellations qui ressurgissent encore et encore… Mais, bien au-delà de tout cela, l’Europe est le continent des littératures, des histoires innombrables, de toutes ces façons de conter, de rapporter et de représenter qui s’influencent mutuellement, se complètent, se contredisent et font assaut d’inventivité. Pas une langue européenne, pas une seule région qui n’ait apporté sa contribution à ce continent de la poésie. L’Europe dans sa diversité et son unité, dans ses hommes et ses conflits, dans ses peines et ses joies, pourrait tout entière être déchiffrée dans le sens des mots. Que l’expérience de la lecture devienne synonyme de l’expérience de l’esprit européen, et que ce dernier s’incarne dans la figure du lecteur, qui trouverait à y redire ? Où y aurait-il plus d’Europe que chez Dante et Shakespeare, Cervantès et Goethe, Flaubert et Ibsen, Dostoïevski et Kazantzákis ? Et ne serait-ce pas une idée séduisante que de permettre à des jeunes gens de se rencontrer quelque part en Europe — peu importe grâce à quel programme d’échange — pour partager leurs expériences littéraires, lesquelles se réfèrent à des œuvres qui, en dépit de toute leur ambivalence et leur caractère contradictoire, ont pris et prennent encore part à l’élaboration d’une conscience européenne ?

Mais attention : toute utilisation politique de la littérature, fût-ce avec les meilleures intentions, méconnaît le sens et les possibilités de celle-ci, qui ne doit jamais se réduire à une fin, un objectif. Quand on évoque la culture littéraire, on s’apprête à poser le pied sur un continent spirituel plein de surprises, d’aléas, de déceptions, de rencontres, d’expériences, mais aussi de labeur et de peines, et c’est justement à cause de tout cela qu’il nous enjôle et nous tente, et parfois nous dérange, voire nous répugne. Ce continent, où l’on n’est garanti de rencontrer ni le succès, ni le bonheur, personne ne doit être forcé de s’y rendre. Mais faire en sorte de barrer systématiquement l’accès à la littérature aux jeunes gens, par la mise en œuvre d’une politique éducative obsédée par les compétences et ne jurant que par la technique, cela ne saurait être interprété que comme un acte barbare.

Notes

1. Naina K.,Uff. Und was machen wir jetzt? in Die Zeit online, 16/01/2015 (www.zeit.de/gesellschaft/zeitgeschehen/2015-01/twitter-nainablabla-schule-diskussion [consulté le 09/07/2015]).

2. Forgé par l’écrivain serbo-américain Steve Tesich dans un article paru en 1992 et démocratisé en 2004 par l’essayiste américain Ralph Keyes dans L’Ère de la post-vérité (The Post-Truth Era: Dishonesty and Deception in Contemporary Life, St., Martin’s Press, 2004), le terme « post-vérité » évoque l’idée selon laquelle on infléchit plus facilement l’opinion publique en jouant sur l’émotion et la démagogie qu’en s’appuyant sur les faits. Certains considèrent qu’en 2016, avec le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni et l’élection de Donald Trump aux États-Unis, le monde serait entré dans une ère de la post-vérité (ou post-factuelle) (NDT).

3. Saul B. Robinsohn, Bildungsreform als Revision des Curriculum, Neuwied, 1967, p. 20.

4. Pédagogue et professeur d’éducation comparée à Berlin, Saul B. Robinsohn a œuvré de 1959 à sa mort en 1972 à la réforme du système éducatif allemand, qu’il estimait partiellement responsable de la montée du nazisme dans les années 1930 (NDT).

5. Personnage de fiction créé par le romancier allemand Karl May, l’Apache Winnetou est le héros d’une série de romans publiés à partir de 1962, extrêmement populaires en Allemagne et ayant donné lieu à de nombreuses adaptations cinématographiques, télévisées et en bande dessinée (NDT).

6. Peter Bieri, Wie wäre es, gebildet zu sein? in Heiner Hastedt (éd.),Was ist Bildung? Eine Textanthologie, Stuttgart, 2012, p. 234.

7. Ibid.

8. Heinz-Joachim Heydorn, Über den Widerspruch von Bildung und Herrschaft, Francfort-sur-le-Main, 1970, p. 301 sq.
Pédagogue et homme politique allemand né en 1916, Heinz-Joachim Heydorn a travaillé de 1950 à sa mort en 1974 à l’élaboration d’une nouvelle théorie de la Bildung partant de l’hypothèse d’une contradiction entre l’éducation et le pouvoir, et nourrie de différents apports allant de l’Antiquité aux écrits de Marx en passant par les Lumières (NDT).

9. Voir Gerd Ueding et Jürgen Wertheimer, Zurück zur Literatur, Streitbare Essays, Bonn, 2017.

 

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