Une attaque vicieuse contre la Démocratie directe

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens
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Quel point commun entre l'interdiction de la discrimination en raison de l'orientation sexuelle, au vote le 9 février, et l'introduction du congé paternité?

Les deux objets ont fait l'objet d'un référendum. Et pour les deux objets, la récolte de signature paraît parfois... Discutable.

Dans les deux cas, des témoignages font état de discours "mensongers" ou "induisant en erreur" le citoyen pour qu'il appose son paraphe à un référendum dont il ne comprend pas vraiment le sens, ou pire encore, qu'il croie signer en faveur du texte que le référendum appelle à combattre.

Voilà qui interpelle. Alors, après une mise en garde d'usage, creusons le sujet.

Mise en garde d'usage à l'intention des abrutis

Quelque Internaute un peu benêt, ou un troll de passage pensant semer le trouble à bon compte, pourrait m'accuser de vouloir défendre ce genre de pratique. Après tout, je soutiens ces référendums, et donc, toute signature serait bonne à prendre, n'est-ce-pas?
C'est bien mal me connaître. C'est à peu près aussi vraisemblable que de demander à Superman de savourer une bonne soupe à la Kryptonite. C'est bien simple, je déteste le mensonge. Je n'ai pas la prétention d'être infaillible, mais sincère, oui. Le mensonge est un poison dans la formation de l'opinion. Il souille une prise de décision essentielle avec des informations faussées. Je n'ai pas de mots assez durs envers ceux qui manipulent sciemment l'opinion publique.
Ce n'est pas le cas de tout le monde dans la classe politique helvétique, loin s'en faut. Suivant une trajectoire allant Trotski à Junker, de nombreux politiciens proclament avec cynisme que "la fin justifie les moyens" et mentent ou adaptent leurs positions selon l'auditoire.
Moi, non. Je pense que l'intégrité est plus importante. Avec plus de 120 articles portant sur le mot-clé "mensonges" sur mon blog, on peut sans aucun doute dire que le sujet m'interpelle. Je dénonce les mensonges à chaque fois que c'est possible.
Évidemment, je ne me suis jamais abaissé à pareilles pratiques lors de mes propres séances de récolte de signature. Je me suis toujours efforcé de présenter correctement et complètement les enjeux, partant du principe qu'un citoyen convenablement informé sera toujours un meilleur ambassadeur de votre cause qu'un autre que vous prenez pour un abruti en lui racontant des salades.

Je pense également que tous les élus qui ne sont pas de cet avis devraient être débarqués de leur poste par les citoyens dès que leur mandat est remis en jeu. Je regrette que ce ne soit pas le cas, mais si cela arrivait un jour, la politique - en Suisse et ailleurs - s'en trouverait grandement assainie.
Mais c'est une autre histoire.

Pour le texte sur la pénalisation de l'homophobie, les faits sont relatés dans 24 Heures et sur 20 Minutes. Un témoignage est rapporté le 30 mars, vidéo à l'appui, par le biais de Mathias Reynard, l'auteur du texte de loi combattu:

Le socialiste (...) est tombé par hasard sur des militants qui récoltaient des signatures contre son texte. Jusque-là, rien d'anormal. Sauf que ces militants avaient des méthodes carrément malhonnêtes, révélait vendredi «Rhône FM». D'une part, la description du texte présenté était volontairement masquée. Et d'autre part, ces militants prétendaient eux-aussi combattre les discriminations.

Manque de bol, ils ont croisé le chemin de Mathias Reynard en personne, qui a capté la scène en vidéo et l'a dénoncée publiquement. «Quand on n’a pas d’arguments, on utilise le mensonge pour duper les citoyens. Faire signer un texte homophobe en prétendant lutter contre l’homophobie. Quelle honte et quel tort pour la démocratie directe!»

Le lendemain, le quotidien vaudois reprend le sujet et se fait écho de nombreux autres cas:

L’histoire se répète dans de nombreuses villes romandes, de Bienne à Genève, en passant par Lausanne, Morges ou encore Fribourg. (...) «La technique est la même pour chacun», souligne Mathias Reynard. «Il ne s’agit pas d’un démarcheur isolé, mais bien d’une opération pilotée et répandue dans toute la Suisse», renchérit Fanny Noghero.

S'agit-il de manipulation politique ou de manipulation commerciale? Pour les dénonciateurs cités par les journalistes, unanimement à gauche évidemment, la situation ne fait aucun doute: de sournoises forces antidémocratiques, et surtout réactionnaires, sont à l’œuvre pour forcer le référendum. Le contexte relaté dans 24 Heures fait pourtant état d'une autre piste possible, que le journaliste ne prend évidemment pas la peine de suivre: la récolte de signature est le fait d'une association, Incop, travaillant (probablement contre des "dons") pour l'UDF. Le scandale révélé dans la presse mettra d'ailleurs un terme à leur partenariat.

Il est donc tout à fait possible que l'association, qui emploie une cinquantaine d'employés et sans doute des extras pas forcément bien payés, se montre bien peu regardante sur la façon dont tout ce petit monde obtient des signatures. Si des étudiants pratiquant un job alimentaire ramassent quelques francs par paraphe, auront-il tous assez de valeur morale pour ne pas tenter d'arracher une signature de plus avec quelques mensonges?

Incop n'ayant pas eu droit à la parole et aucun employé à l'origine du litige n'ayant été interrogé par les journalistes, nous en sommes à émettre des conjectures.

Deuxième acte et passage à la vitesse supérieure: le Congé Paternité.

Notre affaire rebondit plus tard, en décembre 2019, pour le Congé Paternité. Les faits sont relatés dans le 20 Minutes du 3 décembre et dans 24 Heures trois jours plus tard.

Les rédactions des deux journaux rappellent évidemment l'épisode survenu au printemps mais n'hésitent pas à faire dans la surenchère: "Congé paternité combattu par des signatures volées", titre ainsi le quotidien gratuit. Aucune exagération n'est de trop si elle peut servir à salir l'UDC par ricochet:

A l’origine du référendum, un comité composé notamment de l’UDC Suisse indique ne pas avoir mandaté d’entreprise, même si aucune section romande ne s’est publiquement engagée dans la campagne. «En démocratie directe, il est probablement juste que nous puissions voter sur toutes les questions importantes. C'est aux associations, partis et militants de choisir leurs arguments», répond Susanne Brunner, co-présidente du comité, qui reste sceptique face à ces accusations.

On admire la tournure: les faits sont rapportés à Lausanne et Vevey, où non seulement l'UDC suisse n'a pas mandaté d'entreprise pour collecter des signatures mais où les sections locales ne s'en sont pas données la peine non plus. Le journaliste se permet tout de même de lancer une pique contre "l’association Incop, habituée des récoltes contre rémunération" et "déjà été épinglée pour des faits similaires." Reste qu'Incop ne confirme pas, et le mystère d'un éventuel commanditaire...

À se demander si ces abus existent bien, parce qu'il faut tout de même être un peu endormi pour parapher un texte sans savoir de quoi il s'agit. Je rappelle le format officiel, qui laisse peu de place à la fantaisie:

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(Cliquez pour agrandir)

Finalement peu importe - l'important n'est pas dans un compte-rendu objectif des faits, mais ailleurs. Le puzzle se met en place lorsque 24 Heures précise la finalité de tout ce scandale: "une plainte pénale vise les signatures volées".

Le piège se referme

Lisons les perles de sagesse de Lucie Monnat dans son éditorial consacré à ce sujet:

Scandaleux. C’est l’unique mot qui vient à la bouche lorsque l’on évoque la manière dont certaines entreprises gèrent la récolte de signatures pour des objets politiques. (...) Deux hypothèses: soit ces racoleurs rémunérés à la signature sont malhonnêtes, soit ils n’ont aucune idée ce dont ils parlent. On soupçonne les deux. Dans tous les cas, il s’agit d’une grave atteinte à notre démocratie directe.(...)

Pauvre démocratie que le monde nous jalouse, où les idées politiques semblent avoir été taillées pour ne pas dépasser la longueur d’un tweet.

Même s’ils ne sont pas les commanditaires de la tromperie, les mandataires de ces entreprises, partis ou comités politiques, sont tout aussi responsables. Après tout, bien qu’il ne s’agisse pas de militants, ces récolteurs sont leurs ambassadeurs.

«Faites attention avant de signer!» clament certains. Non, on ne mettra pas la faute sur le citoyen. Des personnes bien informées se sont-elles aussi fait avoir. À présent, la réaction du politique à ces pratiques doit être immédiate et sans appel.

Hasard de calendrier, le «baromètre des préoccupations» de Crédit Suisse publié jeudi révèle une véritable «crise de confiance» dans les institutions du pays. Un signal alarmant. Si la confiance est rompue, c’est tout l’exercice de la démocratie directe qui est mis en question.

Parmi les figures de style obligatoire, une attaque en biais contre Trump (que vient-il faire dans cette galère?), et le ton péremptoire ("Scandaleux. C’est l’unique mot qui vient à la bouche..." ou "Non, on ne mettra pas la faute sur le citoyen.") destiné à canaliser le lecteur dans le sens voulu.

La cerise sur le gâteau est de relier cet épiphénomène à un sondage parlant d'une crise de confiance dans les institutions du pays. Parce que les politiciens qui trahissent la volonté populaire en refusant d'appliquer correctement les lois sur l'immigration, le renvoi des criminels étrangers, ou la fin de l'immigration de masse, tout cela ne compte pour rien! Pas plus que les mensonges du Conseil Fédéral jusque dans les brochures de votation. La seule crise de confiance dans les institutions du pays, ce sont les étudiants qui racontent des salades pour une signature!

Combien de signatures sont concernées, d'ailleurs? Dix? Cent? Mille? La presse détourne le regard de ce petit détail. Il faut plus de 50'000 signatures pour valider un référendum. Même si mille signatures avaient été obtenues par des moyens détournés, ce qui paraît énorme, cela représenterait encore 2% du total seulement, une paille. Et la plupart du temps, les référendums ont des milliers de signatures en trop.

Invalider les référendums

Normalement, un individu avec une centaine de points de QI devrait lire le texte d'initiative ou de référendum qu'il signe, mais admettons. Le droit fédéral actuel ne permet pas de retirer une signature une fois que celle-ci a été apposée au bas d'une demande de référendum ou d'une initiative. C'est une carence dans la loi. Il ne devrait y avoir aucun problème à ce qu'un citoyen dupé demande à retirer sa signature. La charge administrative résultante devrait d'ailleurs faire réfléchir à deux fois quiconque dupe autrui lors de la récolte.

Mais ce n'est pas ce que cherchent la gauche et les journalistes.

Le véritable objectif de toute cette agitation consiste à obtenir l'invalidation complète des référendums.

[Le] Parti socialiste neuchâtelois étudie d’autres pistes pour empoigner le problème des signatures «volées». Si la Chancellerie fédérale établit que le référendum a abouti, il contestera la décision devant le Tribunal fédéral.

Peu importe qu'une, dix, cent ou mille signatures soient concernées. Le PS souhaiterait pouvoir invalider l'entier d'un référendum à partir du moment où quelqu'un estime que son consentement a été obtenu de façon frauduleuse. Tant pis pour les milliers de citoyens qui ont apposé leur paraphe en toute connaissance de cause.

Si les juges y donnent suite, cette interprétation sonnera le glas de tout référendum. Il suffira qu'un collectif de citoyens prétende qu'on a abusé de leur crédulité pour couler le droit de recours que représente le référendum. Quelque chose me dit que cela se produira systématiquement pour les textes déposés par la droite...

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Le danger est bien réel. Le peuple n'aura pas son mot à dire, à aucun moment: le dossier sera entre les mains de la justice (la justice neuchâteloise, pour l'instant, et ce n'est sans doute pas par hasard).

Sans débat, sans vote, sans consultation populaire, les conclusions des juges feront jurisprudence.

La Constitution était la plus haute norme juridique de la Suisse, soutenue dans sa légitimité par les initiatives et les référendums. Elle fut vidée de sa substance lorsque le peuple accepta de la subordonner au nébuleux "droit international". Elle fut trahie par la classe politique lorsque celle-ci vida de son sens les rares initiatives acceptées. La disparition du référendum, qui permettait de s'opposer à une décision de la classe politique, est la suite logique du processus de démolition de la Démocratie directe - le dernier clou dans le cercueil.

Les suites de la manœuvre

Aujourd'hui, nous apprenons par divers titres de presse, dont Le Matin, que les signatures du référendum contre le Congé Paternité aurait été finalement récoltées. Le quotidien donne aussi des nouvelles des procédures en cours:

Les référendaires ont été accusés d'avoir utilisé des méthodes trompeuses et des arguments mensongers pour obtenir les signatures nécessaires. Les récolteurs annonçaient faire signer «pour» le congé paternité ou «à propos» de celui-ci.

Pour Susanne Brunner, le formulaire indiquait clairement «Non au coûteux congé paternité». Les personnes qui le signent sont majeures et elles savent ce qu'elles soutiennent, estime-t-elle. (...)

Le parti socialiste neuchâtelois a réagi et déposé une dénonciation au parquet général de Neuchâtel. Le procureur général a rejeté la plainte jugeant que les tromperies ne sont pas constitutives d'une infraction. La section cantonale pourrait aller plus loin si le référendum était validé par la Chancellerie.

L'affaire est donc toujours pendante, puisque les socialistes neuchâtelois attendent de faire recours.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 23 janvier 2020

3 commentaires

  1. Posté par Christian le

    Aldo, toujours aussi élégant dans l’argumentation … vos écrits sont le reflet d’une éducation quelque peu défaillante. Allez, bonne chance et plein de bonheur pour 2020 !

  2. Posté par aldo le

    C’est l’alcoolo de service, alias « la picole » qui pose une question-réponse. Après les fêtes de fin d’année, il tarde à décompresser. Il n’a que des « amis » sur le net et fignole ses textes sans trop se fouler souffrant d’une crampe permanente du clavier. C’est le syndrome du paresseux poseur de crottes à l’image du poseur de bombes qui n’éclatent que dans la tête des idiots utiles faute de références, comme toujours, mais avec un bonne dose de culot.

  3. Posté par Christian le

    Vous avez sans doute raison, Monsieur Montabert, toutefois je préfère l’idée défendue par Monsieur Freysinger qui n’a pas hésité à affirmer : « Un mensonge bien formulé vaut mieux qu’une vérité mal exprimée ! ». Qu’en pensez-vous ?

Et vous, qu'en pensez vous ?

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