« La Suisse n’a pas besoin d’être réinventée », R. Koeppel, Die Weltwoche, 25.7.2019

La Suisse n’a pas besoin d’être réinventée

 

Le numéro double de cette semaine de la Weltwoche est en même temps un numéro spécial à l’occasion de la fête nationale. Roger Köppel, dans son éditorial, regrette que beaucoup de Suisses ne remarquent pas que leur pays est formidable et qu’il concrétise pour l’étranger ce à quoi aspirent la plupart des gens, mais qu'ils n’ont pas. Il contient d’ailleurs aussi un entretien avec Tidjane Thiam, originaire d’Afrique noire (son père a émigré du Sénégal en Côte d’Ivoire), qui dirige avec succès depuis quatre ans la banque Credit Suisse et qui lui confirme son admiration pour notre pays, dont il accepterait volontiers de prendre la nationalité si on la lui accordait, ce qu’il considérerait comme un grand honneur.

 

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Suisse riche, Suisse pauvre

La Suisse est un pays formidable. Et le seul danger potentiel pour la Suisse ce sont les Suisses.

Éditorial de Roger Köppel

Non, la Suisse n’est pas un modèle à bout de souffle. Elle n’a pas non plus besoin d’être réinventée.

La Suisse concrétise à bien des égards ce à quoi aspirent la plupart des gens, mais qu’ils n’ont pas: la paix, la liberté, la démocratie, le bien-être, social aussi, un environnement intact et des droits du peuple qui dotent les citoyennes et citoyens de plus de pouvoir que dans tout autre pays du monde.

Jean-Jacques Rousseau dans son ouvrage de référence «Du contrat social» écrivait déjà en 1762 que les Suisses étaient «le peuple le plus heureux du monde» en raison des droits accordés au peuple.

Sur ces bases, la Suisse, pauvre par nature – dépourvue de richesses minières, de colonies, d’accès à la mer – s’est développée pour devenir un lieu admiré et envié dans le monde entier. Les trois piliers de l’État que sont la démocratie directe, le fédéralisme qui fragmente le pouvoir et la neutralité armée permanente ont rendu la Suisse forte, riche et florissante.

Tant que la Suisse reste la Suisse, elle n’a rien à redouter. Elle est très bien armée pour affronter l’avenir.

En matière de numérisation, elle apporte plus de transparence et donne plus de pouvoir aux consommateurs et aux citoyens. Avec la démocratie directe, la Suisse a anticipé ce développement sur le plan institutionnel.

En matière de proximité des citoyens, les gens se plaignent dans de nombreuses démocraties représentatives d’une politique éloignée des réalités. Le modèle suisse assure la plus grande proximité au monde entre l’État et les citoyens.

En matière de realpolitik, la fin de la guerre froide a marqué le retour du multilatéralisme en politique. Tous contre tous. La Suisse neutre reste une île de tranquillité relative et de raison dans un océan déchaîné. La neutralité signifie l’ouverture au monde, la poursuite du dialogue avec tout le monde.

En matière d’erreur de construction, la croyance en des entités politiques aussi grandes que possible ne tient pas la route. Les gens aspirent à la lisibilité de territoires nationaux limités. Les frontières limitent le pouvoir. Sans frontières, il n’y a pas de démocratie ni d’État de droit. La Suisse montre comment cela fonctionne.

En matière de multiculturel, la Suisse est un excellent exemple de multiculturalisme vécu, qui n’est pas imposé de l’extérieur ni concocté par des têtes intelligentes. Des groupes linguistiques, des mentalités et des confessions différentes coexistent ici en bonne entente depuis des siècles. Pourquoi? Parce que chacun laisse l’autre tranquille. La Suisse met aussi en garde contre la manie de l’identité et de l’intégration au lendemain de la migration de masse. Vivre et laisser vivre.

En matière d’écologie, la Suisse a un paysage naturel magnifique et très admiré, car sa population se soucie et s’occupe elle-même de l’environnement, mais sans panique générale, sans sectarisme ni théories pseudo-religieuses visant à faire le bonheur du monde entier. Les paysans, attaqués par les moralistes de l’écologie, sont des environnementalistes depuis des siècles. Les activistes qui exigent, imbus d’eux-mêmes, la restructuration radicale du système devraient acheter des produits agricoles locaux à faibles émissions. Cela apporterait plus que des appels infructueux au renoncement qu’ils n’arrivent même pas à suivre.

Chaque génération a le devoir de défendre cette Suisse, de prendre soin des bases de la prospérité dans un pays où la prospérité n’est jamais allée de soi, n’a jamais été donnée. Conclusion logique, ce ne sont ni l’UE, ni Trump, ni les Chinois, ni Poutine qui sont susceptibles de mettre la Suisse en péril. Le seul danger potentiel pour la Suisse ce sont les Suisses. S’ils abandonnent la Suisse, la laissent tomber.

L’insouciance et l’ivresse de la grandeur sont un poison. Les Suisses ne sont pas meilleurs que les autres, ils ont seulement un meilleur système. L’aveuglement de la prospérité, la décadence, la fièvre arrogante de vouloir sauver le monde à partir de la petite Suisse sont des symptômes du «malaise dans le petit État» qui se répand toujours quand les Suisses vont trop bien, quand ils croient pouvoir se payer le luxe de cesser de penser aux racines de leur fragile prospérité.

Dans l’euphorie de la mission planétaire d’éviter la fin du monde avec Greta Thunberg, de nombreux Suisses ne se contentent pas de perdre le sens de la mesure en politique. On se repaît de sa propre excellence, de sa propre bien-pensance qui élève moralement. Ce que cela coûte, ce que cela apporte, qui le paie – who cares?

La chancelière allemande Angela Merkel a déclaré: «nous y arriverons». En année électorale, de nombreux politiques suisses semblent dire «nous arriverons à tout»: toujours plus d’impôts et de taxes, un État obèse, le sauvetage du climat mondial, l’abstentionnisme, l’immigration de masse, la hausse du chômage, la non-mise en œuvre des décisions populaires, l’accroissement du nombre des demandeurs d’asile, un accord-cadre de l’UE qui ferait de la Suisse un pays inféodé à l’UE.

Quand on n’a pas de souci, on s’invente des catastrophes. Le sérieux navrant des agitateurs climatiques reflète le manque de sérieux de l’époque. On n’avait encore jamais vu autant de personnes descendre dans la rue en Suisse pour le climat. Jamais autant de gens n’avaient pris l’avion en Suisse pour partir en vacances.

Les mêmes personnes qui demandent un congé de paternité parce que les enfants ont soi-disant besoin de la proximité de leurs parents exigent de plus en plus de crèches, à des âges plus en plus précoces, pour séparer les enfants de leurs parents le plus rapidement possible.

Quiconque croit pouvoir tout se permettre court à la ruine. Les pires décisions tombent en périodes de surabondance apparente.

La Suisse, construite au fil des générations, est un pays formidable mais vulnérable. Quand les Suisses s’en apercevront-ils?

 

 Roger Koeppel, Die Weltwoche, 25.7.2019

8 commentaires

  1. Posté par mc le

    Faites attention aux vilains oligarques de Bruxelles, ils feront tout ce qui est en votre pouvoir pour vous détruire complètement, en particulier votre âme, la démocratie directe qui fait de votre pays l’un des meilleurs au monde tel que vous l’avez décrit.
    United We Stand, Divided We Fall.

  2. Posté par Noel Cramer le

    Comme Suisse né à l’étranger et ayant voyagé et travaillé sur 4 continents, je peux certifier que notre pays jouit d’un système politique, social et économique inégalé ailleurs. L’ignorance du monde et la complaisance dans le confort sont les plus grandes menaces qui nous confrontent chez nous.
    Regardez autour de vous – et réfléchissez objectivement sur les causes profondes des malheurs que vous observez ailleurs. Et cessez de vous sentir coupables! Vous serez alors d’autant plus efficaces pour œuvrer à améliorer la condition de la population mondiale.

  3. Posté par kandel le

    @Dadlou, merci pour votre magnifique témoignage. À quoi bon un pays magnifique dont les autoroutes surchargées nous empêchent de le visiter, de le parcourir sans risquer des heures dans des bouchons ou des accidents.

    « Tant que la Suisse reste la Suisse, elle n’a rien à redouter. Elle est très bien armée pour affronter l’avenir. »
    Mais Monsieur Koepel, ouvrez les yeux, la Suisse est en train de disparaître. La démesure ne convient pas à la Suisse, l’immigration de masse est en train de détruire le pays bâti et enrichi par nos ancêtres… chrétiens, cela va sans dire.

    La forte présence de musulmans en Suisse va mettre à mort le beau pays paisible qu’ils ont magnifiquement édifiés. La Suisse, comme beaucoup de pays de l’Europe occidentale, est en bonne voie de libanisation… ce sont vos magnifiques enfants, Monsieur Koeppel, qui devront affronter cet effondrement d’une Europe occidentale autrefois de racines et de cœurs chrétiens.

  4. Posté par Dadlou le

    « Le seul danger potentiel pour la Suisse ce sont les Suisses. S’ils abandonnent la Suisse, la laissent tomber »
    Alors personnellement je vais me retrouver d’ici une dizaine d’année avec une retraite qui me mettra dans la classe des plus pauvres, 30 ans de cotisations et j’aurais en déduisant les impôts et assurance maladie sans subvention, autant qu’une personne qui n’a jamais cotisé et jamais travaillé.Mes enfants qui comme moi ne font pas de hautes études ont toutes les peines à trouver soit un apprentissage ou une place de travail décente, dans une suisse dans laquelle j’ai vu débarquer les 5 continents. Le monde de l’entreprise est devenu une galère quotidienne sous la menace de licenciement ou autre surcharge de travail, plus aucun employé ne vient pour autre chose que gagner son pain, à part quelques cadres assoiffés de hiérarchie. La suisse est devenue SUISSE SA et ce n’est pas la fête des vignerons, ni la multitude d’autre manifestation qui redonnera du corps et de l’homogénéité à ce pays, le commerce n’est que le commerce. J’ai hésité à servir comme je peux l’UDC, mais quand je vois que ce parti a deux conseillers fédéraux, je pense que tout ça c’est du blabla. La suisse m’a donné un salaire que je gagne tous les jours avec peine, elle me considère comme un employé et non comme un citoyens, et c’est trop tard, je suis en concurrence avec des centaines de milliers de gens dans mon propre pays et ce n’est pas digne d’un pays qui se respecte. Même la BNS est phagocytée par des intérêts étrangers, même mon épargne est mise en gage. Quant à l’écologie et son changement climatique, je n’y crois pas, sauf que des milliers de bâtiments sont construits chaque année pour recevoir encore plus de gens…..et ça l’UDC ne dit rien….peut être parce que c’est du business aussi. En résumé je vais vivre comme un pauvre à la retraite, mon patron aimerait bien me foutre dehors, on bétonne la Suisse tout en disant que c’est un beau pays et faudrait que je défende la Suisse, mais allez vous faire foutre, le pays qui risque de devenir le miens c’est le Portugal….dans lequel je pourrais peut être vivre dignement avec ma retraite. Un pays qui se respect ne se débarrasse pas de ses vieux, ne lâches pas sa compagnie aérienne, La Poste, les CFF, et sa banque centrale, ne veille pas seulement à soutenir son industrie d’exportation mais aussi le porte feuille de ses citoyens et leurs cadres de vie, mais pour ça faudrait être autre chose qu’un grand magasin avec porte d’entrée automatique. Tiens pour le premier août mon patron veut que je bosse, je pense que c’est une bonne idée et cohérente avec la fête nationale.

  5. Posté par Bobophobe le

    « Le seul danger potentiel pour la Suisse ce sont les Suisses. »
    En effet ! Surtout parce que de plus en plus de Suisses ne sont pas des Suisses (Ils n’ont ni la culture, ni la mentalité qui a fait la Suisse) et ne le seront jamais !

  6. Posté par Antoine le

    Merci M. Koeppel pour votre billet !
     »Quand on n’a pas de souci, on s’invente des catastrophes. »
    Il y a assez de problèmes réels à résoudre avant de s’inventer des problèmes de catastrophismes …
     »Le sérieux navrant des agitateurs climatiques reflète le manque de sérieux de l’époque. »
    Inviter Sainte Greta à Davos ou à des Assemblées démonter cette immaturité !
     »On n’avait encore jamais vu autant de personnes descendre dans la rue en Suisse pour le climat. Jamais autant de gens n’avaient pris l’avion en Suisse pour partir en vacances. »
    C’est là le paradoxe, faites ce que je dis, mais pas ce que je fais !!

  7. Posté par Bussy le

    Encore une chose, la Suisse est bétonnée à une vitesse folle, ce qui certes apporte à court terme du développement… mais pour ce qui est de l' »environnement intact »……

  8. Posté par Bussy le

    L’histoire se répète… regardez ce qu’il est arrivé au Liban, appelé la petite Suisse du Moyen-Orient avant la guerre civile…..
    Les pétards et fusées du 1er août sont chaque année pour moi de très mauvais augure….
    Et nos élites au pouvoir, à côté de la plaque, essaient de nous faire croire que c’est l’UDC et les formations européennes dites d’extrême droite qui vont nous faire rejouer 39/45…
    Faut regarder l’histoire mais pas se tromper de période ou d’endroit !

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