Une difficile épreuve attendait aujourd'hui les gens se déplaçant sur Genève: le pont du Mont-Blanc fut bloqué une bonne partie de la matinée par une manifestation des "ouvriers du gros-œuvre" - les maçons en langage commun - bloquant toute circulation motorisée sur cet axe essentiel.
Les voitures étaient canalisées bien avant leur entrée dans le centre-ville, provoquant d'énormes bouchons en périphérie, mais même les transports en commun furent bloqués par le cortège, délibérément. Il fallait être là pour assister aux cris victorieux des grévistes lorsqu'un malheureux bus, plein à craquer, dut faire marche arrière et renoncer, sous les vivats des manifestants.
Ceux-ci n'étaient d'ailleurs pas très nombreux et, loin d'occuper l'ensemble de la chaussée, s'étaient juste placés en un point pour faire blocage. Même les cyclistes ne passèrent qu'au compte-goutte. La police n'aurait eu aucun mal à les déloger du pont si la volonté politique avait existé.
Photo prise à l'entrée du pont, rive droite, au "plus fort" de la manifestation...
Les médias reprirent des chiffres divers allant d'un peu plus de mille à trois mille selon l'enthousiasme militant du pigiste de service ; je serais pour ma part étonné qu'ils aient été plus de mille.
Le cortège s'était rassemblé à 6h30 à la place des 22-Cantons, vers la gare, et devait simplement se mettre en marche en direction du pont du Mont-Blanc avant de passer par Plainpalais, mais l'objectif réel et prémédité de la manifestation était de couper la ville en deux, comme en témoignent les t-shirts arborés par les grévistes.
Le cœur du cortège: quelques centaines de manifestants regroupés sur toutes les voies pour empêcher la circulation.
Les médias étaient nombreux à monter des caméras pour relater cette actualité ; leur compte-rendu diffère sensiblement du mien, mais cette fois-ci, j'étais sur place. Mon récit est nécessaire pour contrer la propagande amie qui gonflera les effectifs, justifiera le blocage du pont par le "succès" de la manifestation, et enrobera le tout de quelques micro-trottoirs soigneusement sélectionnés pour soutenir les revendications syndicales.
On peut, et on doit, critiquer l'attitude irresponsable de manifestants qui bloquent une ville pour leurs objectifs corporatistes. Ce sont des méthodes de voyous. Que deviendraient les villes de n'importe quel pays si chaque corps de métier décidait de les paralyser à chaque fois qu'ils souhaitait appuyer des revendications? Le droit de grève est celui de protester contre ses conditions de travail, pas celui d'empoisonner la vie des dizaines de milliers d'innocents qui ne souhaitent rien d'autre que d'aller paisiblement au leur ou d'emmener leurs enfants à la crèche.
Que veulent les maçons? Dans les discours, les intervenants insistent sur les "menaces, les pressions et les violentes attaques du patronat" contre les travailleurs du gros œuvre (retraites, travail temporaire ou encore précarisation rampante des employés du bâtiment), explique 20 Minutes.
Radiolac détaille:
La future convention collective de travail du secteur souhaite augmenter le temps de travail flexible : passer de 100 heures à 300 heures par an. Le but : pouvoir travailler davantage à la belle saison et rester chez soi l’hiver. Les travailleurs n’en veulent pas. (...)
Autre pierre d’achoppement, comme le dit ce chef de chantier, le refus d’indexer les salaires dans la construction, depuis quatre ans. Et un salaire maximal qui s’élève à 6’300 francs mais seulement pour un maçon qualifié et en fin de carrière. Genève compterait aussi davantage de travailleurs temporaires que dans les autres cantons, jusqu’à 50% des effectifs sur certains chantiers, d’après les syndicats.
Disons-le tout de suite, les maçons n'auront pas gain de cause. Leur salaire est déjà un des plus élevés de la branche à responsabilité égale (il faut être chef d'équipe ou contremaître pour espérer mieux). En outre, un salaire mensuel de près de 6'000 francs suisses est un pactole qui fera rêver la plupart des maçons du reste du continent européen - et même les cadres!
Résultat? Après avoir pris la place des maçons helvétiques, les maçons étrangers qui militent aujourd'hui s'apprêtent à se faire remplacer par de nouveaux étrangers moins regardants. Ceux-là n'hésiteront pas une seconde à faire dans la sous-enchère salariale simplement pour avoir du travail. Ils le feront d'autant plus facilement qu'aucune convention collective n'est signée ; en affichant des revendications irréalistes, les dirigeants syndicaux jouent donc à un jeu très dangereux. Elles ne correspondent tout simplement pas à la réalité du marché du travail dans un milieu de libre-circulation, qui est aussi celui de la libre concurrence et de la libre sous-enchère salariale.
Les maçons connaissent-ils Bossuet?
Les syndicats ont milité pour l'ouverture des frontières ; aujourd'hui, les branches professionnelles dont ils "s'occupent" en meurent, à petit feu. Les conventions peuvent même être signées, elles ne se traduiront en rien dans la réalité, les salariés étant licenciés ou précarisés bien avant d'atteindre l'âge de la retraite établi par celles-ci. Le processus ne s'arrêtera que lorsque les salaires réels seront retombés à la moyenne qui se pratique sur le reste du continent.
Nul journaliste n'aura relevé l'ironie d'une action syndicale visant comme "solution" d'empêcher la libre circulation des personnes - littéralement, sur le pont du Mont-Blanc.
La grève pourrait être reconduite.
Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 16 octobre 2018
Je suis Suisse, j’ai un CFC de maçon, un brevet fédéral de contremaître. J’aime le bâtiment, la technique, l’organisation. J’aime voir à l’an fin de l’année ce à quoi j’ai passé mon temps.
Je suis aujourd’hui conducteur de travaux, dans le second œuvre. J’ai quitté le gros œuvre car ingérable: depuis 25 ans, la qualité de construction en suisse s’est dégradée, les malfaçons sont légion. Il n’est pas possible de gérer 30-40 personnes sur un chantier si seule 2-3 sont qualifiées et de confiance.
Ce que je vois dans cette nouvelle convention, c’est un pas supplémentaire vers la dé-qualification et vers le corvéable. Ceux qui connaissent peu vont se faire remplacer par ceux qui ne connaissent rien, pour un salaire moindre. Alors oui ils ont emmer….. les gens 1jour: ne devrait-on pas plutôt hurler et manifester contre la libre circulation, et ces travailleurs sous-qualifiés?
Excellente analyse ! approuvée par un Genevois pris en otage par ces maçons étrangers, et victime de la gabegie. Mais qui donc mène ce bal, à la fin ?
“Le processus ne s’arrêtera que lorsque les salaires réels seront retombés à la moyenne qui se pratique sur le reste du continent”. Alors pourquoi n’appliquons nous pas aussi ce processus de dumping salarial provenant de l’ouverture des frontières aux avocats, aux médecins, aux banquiers et à tout autres métiers et même aux journalistes qui bénéficieront ainsi des mêmes salaires que ceux de la moyenne européenne ? Ainsi les marges des patrons seront plus grandes mais malheureusement le pouvoir d’achat des Suisses sera aussi nettement plus petit. A quoi sert d’avoir de bonnes marges si plus personne en peut acheter vos produits et que tout le monde ira les acheter chez les voisins car vendus au prix de l’UE? Il s’agit là d’un nivellement par le bas qu’il faut refuser pour le bon fonctionnement de l’économie suisse. Chaque année le pouvoir d’achat de la très grande majorité des Suisses diminue par le gel de leur salaire depuis 4 ans et par l’augmentation de des dépenses obligatoires comme les assurances maladies. Pour compenser celà ceux-ci font du tourisme d’achat qui équivaut à une perte nette pour l’économie suisse.
Alors continue-t-on ce processus qui a été déclenché par l’ouverture des frontières ou devrait-on essayer de l’arrêté ?
Là où je suis d’accord c’est que ce sont ceux qui se sont battu pour leur ouverture (la gauche) et qui désirent l’adhésion à l’UE, qui n’acceptent pas les conséquences de leurs choix, notamment le dumping salarial ! S’ils veulent sauvegarder les intérêts des ouvriers suisses, ils auraient mieux fallu refuser la libre circulation des personnes.
En prônant l’inverse ils font simplement le jeu des patrons. Quel était déjà le grand patron français qui avait déclaré : « le pire ennemi du profit c’est le plein emploi » ? La gauche en prônant l’ouverture des frontières a cassé ce plein emploi à la grande joie des patrons et de leur sacro saintes marges !
Et oui, “le processus ne s’arrêtera que lorsque les salaires réels seront retombés à la moyenne qui se pratique sur le reste du continent”, et pour cela il faudra que tout le reste suive, c’est-à-dire que les primes d’assurances-maladie baissent ou que l’Etat en paye la majeure partie ou la totalité comme dans d’autres pays, que les impôts baissent, que les locations baissent, que les prix de la nourriture et des habits baissent, en fait que tout baisse en parallèle…… et là, c’est plein de petits malins en Suisse qui sont d’accord de baisser les salaires des ouvriers et de la classe moyenne, mais pas de baisser leurs juteux profits !
Et comme personne ne soutient les ouvriers et la classe moyenne, qu’au contraire la pression fiscale sur eux va augmenter pour entretenir cette importation massive de boulets, s’en est bientôt fini de la stabilité de la Suisse, du gros bosseur suisse, du travail bien fait (là ça baisse déjà !)…. en fait on rentrera dans le rang !
Et de toute façon avec ce qui nous arrive dessus…. direction le shithole !