Un bras de fer se joue actuellement entre le Sénat et l'abbaye bénédictine de Santiago Cantera :
"Il était convoqué au Sénat, lundi 12 mars, pour expliquer son opposition à l’exhumation de deux républicains assassinés durant la guerre civile (1936-1939). Mais le prêtre bénédictin Santiago Cantera, qui gère l’abbaye et la basilique du Valle de los Caídos, où repose Francisco Franco, n’a pas daigné se présenter. Dans un courrier envoyé à la Chambre haute, il s’est excusé en mentionnant ses « devoirs à la tête du monastère » et sa « condition de religieux ». Condescendant, il a invité les sénateurs à se déplacer eux-mêmes à l’abbaye, où il s’est dit disposé à leur donner « toutes les explications nécessaires… » De quoi provoquer la colère des socialistes, à l’origine de la demande de comparution devant la Commission de justice, mais aussi des associations de La Mémoire historique, qui dénoncent depuis des années les obstacles récurrents posés par l’Eglise. Le « devoir moral » du prêtre est de se rendre à ce rendez-vous « avec la démocratie »,critique l’avocat des victimes du franquisme Eduardo Ranz.
Dans son mausolée monumental, construit après la guerre civile par des prisonniers républicains près de l’Escorial, à 50 kilomètres de la capitale, la tombe de l’ancien dictateur est entourée de cryptes qui renferment les ossements de près de 34 000 morts de la guerre civile. S’y trouvent des nationalistes, mais aussi des républicains, souvent déterrés des fosses communes sans l’accord de leur famille pour être entassés dans les murs de la sinistre basilique, censée célébrer la réconciliation. Plus de 12 000 d’entre eux n’ont pas de noms. Les autres sont identifiés et localisés dans les niches numérotées des columbariums, enterrés sous la croix de 130 mètres de haut, à la gloire de leur bourreau.
A plusieurs reprises, des descendants ont souhaité récupérer la dépouille de leurs proches. En vain. Jusqu’à ce qu’en 2016 un juge de San Lorenzo del Escorial donne raison à la petite-fille d’un militant anarcho-syndicaliste de la Confédération nationale du travail (CNT), et ordonne l’exhumation de son grand-père et de son grand-oncle, les frères Lapeña. La victoire judiciaire est célébrée par les descendants de républicains. Mais elle est éphémère.
Car c’était compter sans l’opposition des moines bénédictins qui occupent El Valle de los Caídos, malgré son statut de « patrimoine national ». Des moines qui entretiennent les tombes de Franco et du fondateur de la Phalange José Antonio Primo de Rivera, et célèbrent une messe chaque 20 novembre, jour anniversaire de leur mort – en 1975 pour le premier, en 1936 pour le second. Ils sont devenus les gardiens de la mémoire du dictateur. C’est d’ailleurs Santiago Cantera qui a officié lors de la messe célébrée en l’honneur de la fille unique du caudillo, Carmen Franco, morte en décembre.
Pour le prêtre, qui considère la basilique comme un « lieu de prière et de réconciliation », pas question de toucher aux cryptes. Après avoir barré l’accès des techniciens médico-légaux aux ossuaires et paralysé l’installation de microcaméras afin d’évaluer l’état de leur conservation, il a déposé un recours devant l’Audience nationale pour empêcher l’exhumation. « La communauté bénédictine reconnaît les droits des proches qui demandent d’exhumer la dépouille de leurs aïeux, mais désire que soient garantis les droits des familles de ceux qui sont enterrés ici », écrit le prêtre dans sa lettre au Sénat, disant craindre que les ossuaires ne soient endommagés.
Est-ce à lui de prendre une telle décision, alors que les cryptes sont considérées comme un cimetière public ? Le prêtre, lui, estime que les ossuaires se trouvent dans un lieu sacré, sous son autorité. Mais, en janvier, des familles ont déposé une douzaine de plaintes contre lui, pour désobéissance. Les sénateurs, à l’exception des socialistes, iront finalement lui rendre visite le 26 mars."
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