Comment vivre sur le dos d’un réfugié

Boris Engelson
Boris Engelson
Journaliste indépendant

« Un toit et un plat en un lieu libre de peur » : c’est tout ce dont rêve un réfugié… et ce serait notre rêve à leur place. Alors, pourquoi tant de clameur « pour » ou « contre » l’asile, sinon à cause du silence autour de « la » question : les migrants qui affluent ces temps sont-ils ceux qu’on voit à la télé sous les bombes, dans les ruines, la peur au ventre mais l’assiette vide ? « Oui ! »… « Non ! »… « A voir »… « Pas tous »… mais ce qui est sûr, c’est que les réfugiés sont moins profiteurs que ceux qui les plaignent.

Partir en vacances au loin – Inde ou Pérou, Kenya ou Japon, Liban ou Russie – rend-il plus proche de « l’Autre » ? Le touriste pense que oui, nos penseurs croient que non : à peine finie la « migration » estivale, la République fait la leçon altruiste à ses citoyens avec une vigueur redoublée, voire quadruplée.

La « grande » classe... citoyenne

Depuis septembre, nous sommes bel et bien enfermés entre les quatre murs du catéchisme altruiste : d’un côté, le monde académique ; d’un autre, la scène artistique ; d’un autre encore, l’armée du social ; d’un dernier, le discours onusien (voir plus loin la vingtaine de rencontres d’automne autour du réfugié ou du migrant, à laquelle s’ajoute l’agitation médiatique). Les « bons citoyens » écoutent la leçon oreille dressée et crayon (sinon gomme) en main ; mais les cancres qui rêvent d’école buissonnière sont-ils sans cœur ni raison, comme on l’insinue à chaque fois ? Ou se méfient-ils juste des redresseurs de torts de pacotille jouant au « Capitaine Planète » ? En d’autres termes, aide-t-on des naufragés en enfonçant les portes ouvertes de leur bateau ?

L’Amour, est-ce s’ouvrir à l’Autre de manière « choisie » ou « ciblée » ?

L’Amour, est-ce s’ouvrir à l’Autre de manière « choisie » ou « ciblée » ?

Roméo et Juliette amnésiques ?

« L’immigration est une chance, pas un risque »… « Tendre la main aux Autres enrichit l’âme »… « On est tous étranger vu d’un autre côté »… « C’est par hasard que je suis né ici »… « Calvin et Einstein furent réfugiés »… « Au Sud, on nous accueille à bras ouverts ; pas comme eux chez nous »… ou, plus utilitaire, « Les migrants créent plus d’emplois qu’ils n’en prennent »... « Sans Français résidants avec nous, les Savoyards auraient Escaladé Genève»… et, sans cesse, « Un migrant est un être humain comme vous ». Bref, d’un colloque à un discours… d’un poème à une statue… on entend toujours les mêmes phrases, pâles reflets des tirades du Marchand de Venise, de la Controverse de Valladolid, sans parler de pages de la Bible, des drames d’Eschyle ou des lois de Cyrus. Champion de cette morale simpliste, le nouveau Secrétaire général de l’Onu – Antonio Gutierres – qui résumait l’enjeu des migrations comme suit, lorsqu’il dirigeait le Haut commissariat des Nations-Unies aux réfugiés : « C’est le choc entre les valeurs d’ouverture et d’altruisme et elles du repli et de l’égoïsme » (entendu deux fois : en salle de presse et au podium d’un congrès ».

Contre le racisme, rien ne vaut un usurier.

Contre le racisme, rien ne vaut un usurier.

A quel âge cesse-t-on de penser ?

Un enfant pourrait objecter : « Mais pourquoi reste-t-il des méchants après tant de leçons de morale ? »… et « Les Australiens – à l’asile si dur – ont-ils oublié qu’ils étaient immigrés ? »… « Les réfugiés dans les pays voisins de Syrie sont-ils reçus juste à bras ouverts, ou aussi – comme chez nous - à bourse ouverte ? »… « En 1602, qui était « fermé », des Genevois, Français, Espagnols ou Savoyards ? ». Un pas de plus dans le paradoxe : « Un siècle de sang entre quatre clans au Liban, est-ce ça l’accueil fraternel ? »… « L’Afrique du Sud est-elle pire avec les Zambiens que l’Apartheid avec les Zoulous ? »... « Les amis des Basques ou du Québec ont-ils une dispense d’ouverture au Monde ? »… « Aux Balkans et aux Grands Lacs, s’est-on tué – dans les couples mixtes - entre gens ignares de l’Autre ? »… ou encore - vieille histoire – « Les murs contre l’entrée sont-ils de droite, ceux contre la sortie, de gauche ? »… « Pourquoi nul militant pour le Vietnam a jamais eu d’ami Vietnamien ? ». Et surtout, le tabou : « Poggia n’est-il pas Musulman… Christoph Blocher, Allemand, avec un beau-frère Italien… Eric Stauffer, mi Italien… Soli Pardo, mi Juif et Jedidjah Bollag (révélation des « 150 ans de juifs en Suisse » mais tabou avant 2016), Juif en entier… Nicolas Sarkozy, Greco-Magyar… et Boris Johnson, Levantin ? »

Peut-on s’en prendre au chat par « préjugé sur l’Autre » ?

Peut-on s’en prendre au chat par « préjugé sur l’Autre » ?

Justes chiffres d’un sujet faux

Ces questions d’enfants, un groupe humain est incapable de se les poser : les spécialistes de l’ouverture, les professeurs d’altérité, les experts en migration, les sociologues du préjugé… Et quand on veut les y forcer, en demandant juste des faits et chiffres, ils se sentent agressés. Le public hait-il « l’Autre », ou attend-il juste « des données claires sur le profil des migrants… selon qu’ils fuient la guerre, la faim, la police, le climat, le chômage » ? Silence officiel, pour l’essentiel ; même face aux questions de la presse : « Ces variables vous semblent-elles sans intérêt ? »... réponse : « Euh ! ça nous travaille beaucoup… mais ce n’est pas simple à chiffrer… alors on s’en tient aux nombres par pays et par sexe » (Organisation internationale pour les migrations dixit). Quand on lui demande les chiffres du budget d’accueil au Liban, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés fait le mort sans autre. Au récent Symposium sur les migrants et réfugiés à l’Université, une experte a même mis en garde contre trop de transparence : « Avec des chiffres rendus publics, les Populistes sont tenus de faire ce qu’ils ont promis »… phrase entendue à la session « The role of knowledge in (…) policy » ! Ce qui n’empêche pas ces « professionnels » de crier à tout bout de champ que le public fantasme sur des chiffres « gonflés ». D’une manière générale, chez ces experts, tout ce qui n’est pas dans leurs Evangiles « n’est pas scientifique » : comment en douter... dans une « Maison de la Paix », près d’une « Place des Nations », ou dans les « Hautes écoles » pleines de « Facultés ») ? Et c’est vrai... tant qu’on reste dans la « doxa », ces savoirs brillent comme de l’or... mais dès qu’on en sort, on voit le toc : écoutée à un congrès pointu, telle sociologue allemande - passionnée par la rebellion des nouvelles générations - n’a jamais entendu parler de la « Bande à Baader » !

Pour une fois, le contenu est moins raciste que l’image !

Pour une fois, le contenu est moins raciste que l’image !

L’avant-garde est-elle en haut ?

Bref, la bonne conscience se nourrit d’ignorance… ce qui permet de voir la paille des préjugés populistes sans la poutre des préjugés élitaires. « Avons-nous aussi nos préjugés ? » se demandait un professeur d’université à un récent débat sur l’éducation au service de l’Ouverture ; « Oui, l’autre jour, un de mes collègues parlait des petits trafiquants basanés... avec les clichés d’une caissière de magasin ». Là, on reste dans la paille des autres, car c’est sur eux-même que les gens savaants ont le plus de préjugés... positifs. Tache aveugle ou piège des mots, les propos récents du Haut commissaire aux droits de l’homme ? De grande culture et de bonne volonté, il a – dans les et face aux médias - tapé sur le clou du « populisme », sans un mot – ces temps, du moins – sur le pire « populisme » : le « jihadisme ». Les gens « formés » ne se rendent pas compte à quel point ils se sont moulés dans leur cahier des charges. Aux panels académiques ou onusiens, les « experts de haut niveau » - au verbe sans accroc et aux mots normés qui font mille au début – sont à la longue sans profil, comme les gants trop usés sans gauche ni droite : ils ne font, en fait, que « réciter la ligne de l’Agence », à texture juridique aseptique. Même les étudiants de la Geneva Academy s’en sont inquiétés, à l’issue d’un débat « migrant » (voir chronologie). Quant aux « travailleurs sociaux », ils ont dans la bouche le disque rayé de la révolte et le missel d’empathie achetés à la Haute école de travail social : on l’entend en boucle dans toutes les Maisons de quartier. « Au lieu de polémiquer, restons unis contre les patrons »… telle fut la réponse à mes questions lors d’une « fête multiculturelle » du Groupe de solidarité Carouge (affichée dans tout le quartier... mais où j’étais seul face aux officiels de la Mairie, de la Maison et du Groupe). Pareil dans les médias, où on tient pour acquis – par exemple, aux débats sur le film « Vol Spécial » de Fernand Melgar – que le séjour illégal n’est pas un délit du tout (pas comme la fraude des banques, péché capital). « Où va une société dont les élites doivent jouer aux rebelles ? », a dit une sociologue. Les chercheurs ont le vocabulaire aussi biaisé que les militants du « plaidoyer » ; un exemple sur cent : un pays laxiste aux migrants sera dit « avancé »… un pays « encore » réservé est « en retard » (à cette aune, le Califat est plus avancé que l’Australie). Les uns et les autres ont du « populiste » une perception pire – et surtout, plus éloignée des réalités - que celle du « communiste mangeant les enfants » de jadis. Aussi, le Haut commissariat (..) aux réfugiés concocte-t-il « une campagne contre la xénophobie » aux gros moyens… pour une « perception positive ». Appel reçu cinq sur cinq par tous ceux qui « vivent » de l’Autre : ils veulent mettre au point – pour ramener l’opinion à la raison – un nouveau « narrative ». En français, doit-on dire « récit », « histoire », « portrait », « descriptif », ou – traduction presque littérale - « catéchisme » ? C’est là tout le débat...

Boris Engelson, LesObservateurs.ch, 4.11.2016

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