Greenpeace vient de faire deux coups spectaculaires en relation avec la centrale nucléaire de Beznau :
1) un appel à délation par annonces payantes dans la presse adressé aux employés de la centrale et
2)l’emballage par du tissu noir du siège d’Axpo à Baden, l’entreprise électrique propriétaire.
Coups bien relayés par la presse. Il y avait même un documentaire de Temps Présent. Greenpeace jouit d’une belle image à la Robin des Bois.
Si on gratte derrière ces actions, malgré les apparences, elles ne sont pas vraiment profitables à ce qui reste l’essentiel : la sécurité d’une centrale nucléaire.
Plus grave, la crédibilité de l’ONG a fait l’objet d’une mise en garde sévère de 110 scientifiques prix Nobel, il y a moins d’un mois. Il faut évoquer aussi un certain climat de suspicion généralisé contre les sciences et les techniques : un rapport récent de l’Académie des technologies dénonce une mode qui n’est pas forcément dans l’intérêt du citoyen profane. En prime, Patrick Moore, ancien directeur et fondateur de Greenpeace, le dit lui-même : Greenpeace se trompe. Eclairage.
Beznau : les derniers « coups » de Greenpeace
Le 1er septembre dernier Greenpeace fait un appel aux employés de la centrale de Beznau par des annonces payantes dans la presse alémanique. Il leur est demandé de fournir des documents confidentiels et compromettants sur la sécurité de la centrale.
La presse couvre bien le coup :
http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/Les-employ-s-du-nucl-aire-appel-s—la-trahison-30244748
et aussi :
http://www.24heures.ch/suisse/Greenpeace-cherche-des-informateurs-sur-Beznau/story/24206929
L’annonce payante est sur :
Deuxième « coup » : Greenpeace emballe de tissu noir le siège à Baden d’Axpo le 8 septembre:
Le débat sur la sécurité est toujours escamoté
Sur le fond, la question centrale reste la sécurité des réacteurs nucléaires. J’aimerais donner ici la position et la conviction des professionnels du nucléaire. Quiconque pose des questions sur la sécurité réelle des centrales, examine les normes de sécurité en vigueur et leur application par les exploitants et l’inspectorat fédéral de sécurité (IFSN), signale des faiblesses, des normes ou de leur application et déclare : vu ces faiblesses, je ne peux accepter le nucléaire, cette personne est et sera écoutée avec beaucoup d’attention et remerciée, surtout si après vérification son analyse se révèle pertinente. Pourquoi ? Parce que la démarche de sécurité, très poussée avec beaucoup de sérieux dans le nucléaire, est basée sur deux piliers essentiels : 1) imaginer toutes les défaillances voire enchaînement de défaillances, même très hypothétiques, qui pourraient conduire à une perte d’étanchéité des enceintes multiples qui séparent les matières radioactives de l’environnement et 2) prévoir des parades fiables à toutes les situations. Les responsables de sécurité ont une crainte permanente : avons-nous pensé à tout ? Comme il n’y a pas de certitude absolue, ils écoutent tous ceux qui pourraient avoir une meilleure intuition. En particulier les opposants au nucléaire: on peut admettre qu’ils ont moins la tête dans le guidon et pourraient avoir une imagination plus fertile, moins bridée.
Force est de reconnaître cependant que historiquement les scénarios de défaillances ont été essentiellement établis par les experts de sécurité. Les opposants se sont contentés d’aller les chercher dans les rapports de sécurité, de s’en servir pour faire peur dans leur propagande, en évitant surtout d’évoquer les parades prévues.
Greenpeace, comme tout le mouvement antinucléaire, ne veut pas la sécurité mais la disparition du nucléaire.
Cela ressort de manière assez visible de la posture de refus inconditionnel du nucléaire. L’argument est en bref le suivant: le nucléaire est non maîtrisable a priori, Il ne faut même pas essayer d’analyser la sécurité, c’est impossible : il faut interdire. L’initiative que nous voterons en novembre sur l’arrêt rapide des centrales nucléaires, et la Stratégie Energétique 2050 de la Confédération, prévoient d’inscrire dans la loi des interdictions inconditionnelles.
Plus sur ce constat dans un article précédent : https://lesobservateurs.ch/2013/04/10/on-ne-fait-pas-la-securite-dune-technologie-a-risques-avec-des-interdictions-a-priori/
On pourrait penser que l’action de Greenpeace demandant plus de transparence sur la sécurité de Beznau I, suite à un arrêt depuis plus d’une année, pour investigations sur la sécurité de la cuve du réacteur, va dans le bon sens. Greenpeace voudrait-il parler de sécurité ? En terme d’analyse et pas en terme de rejet a priori ? Si seulement, mais cela me paraît, à regret, une illusion. Il faut bien voir que cet arrêt et ces investigations ont été décidés par l’exploitant et l’Inspectorat IFSN. Greenpeace joue juste la mouche du coche en demandant les rapports et recourant simplement à la carte de l’obstruction procédurière.
Allez sur le site de Greenpeace (www.greenpeace.ch ou www.greenpeace.org ), le nucléaire est diabolisé et son rejet est inconditionnel. Il faut dire que l’antinucléarisme (primaire) de Greenpeace est une partie importante de l’identité de l’ONG. C’est aussi leur fond de commerce. Comment Greenpeace pourrait-elle faire autant de membres et de cotisations si le nucléaire apparaissait comme une énergie très bien sécurisée ? Les qualités réelles du nucléaire sont une menace grave pour les affaires de Greenpeace. Plus sur un autre article : https://clubenergie2051.ch/2015/12/02/le-plus-grand-defaut-du-nucleaire-ses-qualites/
Temps Présent : un documentaire militant
Temps Présent sort (coïncidence) un documentaire sur le sujet Beznau – Greenpeace le 8 septembre : http://www.rts.ch/emissions/temps-present/7977531-beznau-la-centrale-nucleaire-qui-fait-peur.html
Malgré le ton « journalisme d’investigation » l’émission se contente de relayer les accusations de Greenpeace. Il y a bien cette petite phrase de Jean-Philippe Ceppi en introduction qui soulève avec raison cette question : n’y a-t-il pas exagération des risques par Greenpeace dans la perspective de la votation sur le nucléaire de novembre prochain ? Mais cette question n’est finalement pas traitée, à savoir il n’y a pas d’analyses sur le fond, à savoir les défauts de la cuve du réacteur et de leur dangerosité réelle. Le documentaire ne donne la parole à aucun spécialiste de sécurité. Le personnage principal de Beznau interviewé est un « directeur de la communication ». C’est d’ailleurs probablement une faute (de communication, oh paradoxe!) de la centrale, pas de Temps Présent. Mais il n’est pas fait allusion au fait que TP aurait souhaité un expert. Je ne peux m’empêcher de penser que cette erreur de casting arrangeait bien TP, parce que Axpo ne fait ainsi pas bonne impression. cela va dans le sens du message négatif général voulu par le magazine sur le nucléaire. Encore sur le casting : nous avons deux professeurs de génie nucléaire dans nos EPF, le prof. Andreas Pautz à Lausanne et le prof. Horst-Michael Prasser à Zürich. Ces professeurs sont importants dans un contexte de vérification : c’est d’eux qu’on attend qu’ils disent ce que sont les choses, les faits, en dehors des opinions. Je ne les ai jamais vus dans nos médias. Par contre TP fait une brève interview du prof. Martin Pohl / UNI-GE. Constat : c’est un physicien des particules, domaine très différent de la physique des réacteurs. Dans le documentaire on note qu’il donne, à défaut de vraies informations sur le fond, son opinion négative sur le nucléaire.
Il faut aussi relever qu’on entend plusieurs fois dans le documentaire, à propos des déchets radioactifs, qu’il n’y a pas de solution. Ceci est un déni grave de réalité, voir : https://clubenergie2051.ch/2015/02/13/dechets-nucleaires-est-il-vrai-quil-ny-a-pas-de-solution/
La crédibilité de Greenpeace dénoncée
Ce ne sont pas moins de 110 scientifiques lauréats du prix Nobel qui ont dénoncés récemment le manque de sérieux scientifique de Greenpeace.
La revue Atlantico écrit le 2-07-2016 (extrait) :
« Des organisations non gouvernementales, et en particulier Greenpeace, sont-elles complices d’un futur « crime contre l’humanité » ? La question est posée par 110 lauréats du prix Nobel de diverses disciplines (principallement en chimie, physique et médecine), qui ont publié une lettre ouverte dénonçant les agissements des ONG environnementales. Elles sont accusées de bloquer les progrès et l’accès aux bienfaits des produits de la biotechnologie végétale, comme le riz doré. »
Lire l’article complet sur : http://www.atlantico.fr/pepites/ogm-110-prix-nobel-accusent-greenpeace-etre-anti-scientifique-2753338.html
Dans sa Lettre Géopolitique du 31-08-2016 Lionel Taccoen écrit (extrait) :
« …C’est pourquoi le grand public garde une bonne image de Greenpeace. Ses nombreux donateurs (vraisemblablement deux millions de personnes) lui assurent des revenus de plusieurs centaines de millions d’euros par an. Mais, l’ONG a heurté des limites. Certains pays lui ont retiré statut d’organisation sans but lucratif, en considérant qu’elle avait un comportement politique. Les juges américains et britanniques ont la main lourde lors du viol de propriétés publiques et privées et de destruction de biens. Dans les pays anglo-saxons faucher les plantations d’OGM ou s’introduire dans les centrales nucléaires coûte cher. Il est vraisemblable que tout cela a été l’une des raisons du choix des Pays Bas comme siège international de l’organisation. Greenpeace se heurte à une autre limite : sa crédibilité scientifique. Aujourd’hui, l’ONG mène une lutte sans merci contre trois technologies : le nucléaire, les pesticides et les Organismes Génétiquement Modifiés. La communauté scientifique admet des limites à ses recherches, pour des raisons d’éthique. Mais dans les trois cas, le refus de Greenpeace est total et mène à des positions rigides, impliquant, dans les faits, des restrictions graves ou l’interdiction des études et des recherches dans certains domaines de la science et/ou de la technologie. »
Lire la lettre complète de Lionel Taccoen sur : http://www.geopolitique-electricite.fr/documents/ene-196.pdf
On a pas vu dans nos médias la moindre allusion à ces remises en cause de la crédibilité de Greenpeace.
Les sciences : une suspicion généralisée dangereuse pour la société
Au-delà de la guérilla Greenpeace – Beznau, il y a un contexte plus général de suspicion de plus en plus répandue dans la société à l’égard de la science, des techniques et des scientifiques. Cette suspicion fait l’objet d’une étude approfondie récente de l’Académie des technologies de Paris (juillet 2016) intitulée « La perception des risques. Un enjeu pour les sciences et les technologies ».
L’institut Molinari en résume ainsi les principales conclusions :
» Les auteurs – Gérald Bronner et Étienne Klein – y mettent à jour l’inquiétude, la méfiance, voire la défiance envers toute nouveauté. Une peur, souvent injustifiée, qui entrave le progrès technique. »
« .. le progrès aujourd’hui, écrivent les auteurs du rapport, « devient une affaire de valeurs qui s’affrontent et non plus de principes, que ceux-ci soient éthiques ou normatifs. Or, les valeurs sont en général moins universelles que les principes (la valeur d’une valeur n’est pas un absolu puisqu’elle dépend de ses évaluateurs), de sorte que plus les principes reculent, plus les valeurs tendent à s’exhiber et à se combattre ».
L’article complet est sur : http://www.institutmolinari.org/sciences-et-techniques-le-regne-de,2613.html
Dans son communiqué de presse, l’Académie des Technologie dit :
« Dans ce nouveau contexte, les scientifiques – les ingénieurs comme les chercheurs – sont sommés d’éviter à tout prix non seulement la catastrophe, mais également l’ombre de toute catastrophe possible. Et c’est ainsi que le discours sur la catastrophe en vient à acquérir un pouvoir réel, en même temps qu’une véritable légitimité médiatique, même si la catastrophe en question demeure purement fictionnelle.
Or, lorsque certaines solutions thérapeutiques, énergétiques ou agronomiques sont empêchées par l’expression de ces craintes, qui est en mesure d’évaluer précisément les divers dommages qu’occasionnera cette interruption de « l’arborescence technologique » ? Le désir de précaution est certes légitime, à condition qu’il ne s’amplifie pas au point de « tuer dans l’œuf » des sources d’espoir, concluent les auteurs du rapport, qui appellent à prendre en compte aussi, dans toute décision politique, le coût de l’inaction. »
Le communiqué de presse est sur:
http://www.academie-technologies.fr/blog/categories/communiques-de-presse/posts/la-perception-des-risques-un-enjeu-pour-les-sciences-et-les-technologies
Le rapport est sur:
Une conclusion par un ancien directeur et fondateur de Greenpeace, Patrick Moore.
Pour rappel ces déclarations de Patrick Moore :
« Pendant les dernières décennies, les mouvements écologistes ont combattu les grands projets tant hydrauliques que nucléaires, alors que ce sont clairement les deux sources de substitution aux énergies fossiles les plus réalistes. Nous étions dans l’erreur et je m’efforce aujourd’hui de faire de mon mieux pour la corriger.»
Pour Patrick Moore, Greenpeace «se trompe sur les questions d’énergie» et propage «la panique» à coup d’«affirmations sans fondement». Le Canadien prétend qu’il a claqué la porte en 1986 parce qu’il ne pouvait plus cautionner la politique du mouvement: «En 1982, j ‘ai découvert la notion de développement durable à Nairobi et compris qu’il était temps d’abandonner la confrontation. La plupart des positions de Greenpeace consistaient juste à «être contre» et semblaient nier une réalité majeure: 6 milliards d’êtres humains en quête de nourriture, d’énergie et de matériaux pour survivre. La direction de l’organisation se concentrait uniquement sur l’environnement, comme si l’humanité n’en faisait pas partie.»
Plus sur :
et aussi sur :
Cet article est également publié sur
https://clubenergie2051.ch/2016/09/10/greenpeace-justiciers-ou-terroristes/
JFD / 10-09-2016
Et vous, qu'en pensez vous ?