Après le Club des Cinq caviardé et la Comtesse de Ségur épurée, les éditeurs « modernisent » Martine, mais est-elle seulement d'accord ? Tout à coup, le respect de l'œuvre de l'artiste n'aurait plus guère d'importance...
Couverture de 1969 La couverture de l'album Martine au zoo imprimé en 1969 montre la petite culotte de l'héroïne. L'image ne figure pas sur l'édition de 2016.Martine porte bien ses 62 ans. Sur les illustrations délicieusement vintage de Marcel Marlier, elle n’a pas pris une ride. Les textes accompagnant les aventures de la jeune héroïne, par contre, fleurent bon une époque révolue. Rôles stéréotypés assumés, amples explications à lire ou intonations moralistes risquent de laisser perplexes certains petits lecteurs peu habitués à lire ou les adultes en lutte contre les stéréotypes d’aujourd’hui.
L’héroïne plaît pourtant toujours aux plus jeunes, surtout aux filles de 4 à 9 ans. Il se vend chaque année un million de ses aventures en France, plaçant le personnage au sixième rang dans l’univers des héros jeunesse. Pourquoi faudrait-il donc changer Martine ?
Le Bureau d'approbation du matériel didactique du Québec qui s'amuse à traquer les stéréotypes « genrés » dans les manuels serait fort peu content : les garçons bricolent ! Si les éditeurs ont fait la chasse aux « stéréotypes » dans le texte, les illustrations originales en véhiculent encore. Dans Martine fête son anniversaire, les garçons montent un étal de jeux, tandis que Martine se fait belle. Depuis le décès du dessinateur Marcel Marlier, en 2011, aucun nouveau titre n’est sorti. La maison d’édition a donc décidé de donner ce qui serait « un coup de jeune » aux livres existants. Pas une mèche des cheveux de la brunette n’a bougé, mais les textes ont complètement changé. Ils ont été raccourcis et « modernisés ». «Nous voulions faire redécouvrir Martine à une génération d’enfants de 2016 qui pouvaient se retrouver en décalage avec les textes d’origine», avance Céline Charvet, responsable du département jeunesse chez Casterman.
Vingt albums actualisés sont déjà en rayon, et les autres seront retravaillés d’ici à janvier 2017. Révolution: dans les nouvelles versions, le chien Patapouf ne parle plus. «Ça nous semblait suranné», remarque la responsable. Les envolées didactiques ont aussi diminué. Ainsi, dans Martine fait la cuisine, toutes les recettes ont disparu. « À l’époque, ça avait du sens car il n’y avait pas beaucoup d’ouvrages pour les enfants. [Dans les années 50 et 60 !?... et l'explosion de la bédé pour enfants ? Bizarre...] Nous avons voulu gommer le côté livre de cuisine déguisé pour créer une vraie histoire. »
Autre siècle, autres principes éducatifs, dit l'éditeur
Effacés aussi les encouragements à se dépasser et les commentaires un brin moralisateurs. Exit, dans Martine petit rat de l’opéra, cette injonction à se surpasser : «Les premières leçons ne furent pas faciles du tout pour Martine. Mais à présent, elle est la meilleure de la classe.» À la fin de Martine au zoo, l’ancien album concluait: « Il faudra revenir une autre fois, ce qui prouve qu’on n’a jamais fini de s’instruire. » En 2016, la fillette et son petit frère, Jean, quittent le parc animalier car leur mère les attend à la sortie. Au début du même album, la maman a déjà fait une première apparition pour acheter les billets d’entrée. Rien de tout cela dans le texte original. Car, dans le monde d’antan, Martine vivait des aventures sans aucun contrôle parental. Ainsi, dans Martine en voyage, l’aînée et son cadet passent une nuit dehors, et leur mère se montre à peine inquiète. Dans la nouvelle version, l’aventure a été transformée en rêve.
Il a été plus difficile, par contre, de sortir des stéréotypes de genre induits par les dessins. Dans Martine fête son anniversaire, on voit toujours la petite héroïne se faire belle [quelle horreur !] alors que Jean sort ses outils pour construire un stand de jeu. «Pour ne pas toucher aux illustrations tout en finesse de Marcel Marlier, nous avons adapté les textes dans la mesure du possible.» Ainsi, au détour des albums, on aperçoit Jean qui fait la vaisselle ou, en classe, une activité de découverte du tricot pour filles et garçons. De même, lorsque Martine se rêve en danseuse étoile, elle n’attend plus l’arrivée du prince charmant.
Pourtant les petits garçons (ici Jean le petit frère de Martine) faisait la vaisselle dans les années 50 et 60... Le tourne-disque de Maman
Autre adaptation jugée nécessaire, les objets d’un autre temps, tels un tourne-disque ou un antique casque à sécher les cheveux, trouvent une explication logique à leur présence: ils ont été prêtés par la maman. Car si Martine a mis un pied dans le XXIe siècle, la dynamique petite fille vit toujours dans un monde sans ordinateurs, une bulle de tranquillité intemporelle que l’éditeur n’a pas voulu casser. Tout comme le regard toujours enthousiaste et bienveillant que la brunette porte sur le monde qu’elle découvre.
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