Allemagne : la déconfiture de Merkel attise le populisme

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Par Corinne Deloy.
Un article de Trop Libre.

La chancelière allemande Angela Merkel à Davos

Angela Merkel à Davos (crédits : World Economic Forum, licence Creative Commons)

L’Allemagne a vécu un Super Sonntag le 13 mars dernier lorsque les électeurs de trois Länder (Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Saxe-Anhalt) ont renouvelé leurs représentants régionaux. Ces scrutins régionaux sont importants outre Rhin puisque les élus des Länder désignent les membres du Bundesrat, chambre haute du parlement fédéral allemand, qui, rappelons-le, disposent du droit de veto sur les lois s’appliquant aux régions.

Les élections régionales sont l’occasion de prendre le pouls de l’opinion publique même si celles-ci n’ont pas lieu le même jour dans tous les Länder de la République fédérale. Le 13 mars dernier, 13 millions d’Allemands étaient appelés aux urnes. Enfin, un « mauvais » résultat au niveau régional peut avoir des conséquences nationales et entraîner l’organisation d’élections fédérales anticipées, comme on l’a vu en 2005 après la défaite du Parti social-démocrate du chancelier de l’époque Gerhard Schröder en Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Les scrutins du 13 mars dernier ont donc été observés avec attention par les analystes politiques désireux de voir la façon dont les Allemands se positionnaient par rapport à la politique de la chancelière Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate, CDU) en matière d’accueil des réfugiés d’une part et la progression de la formation populiste Alternative pour l’Allemagne (AfD) d’autre part.

Les résultats

Les Verts se sont largement imposés dans le Bade-Wurtemberg avec 30,3% des suffrages, le résultat le plus élevé de toute l’histoire de la formation écologiste et une progression de 6,1 points par rapport au précédent scrutin régional. Les deux membres de la coalition au pouvoir au niveau fédéral – l’Union chrétienne-démocrate (27%) et le Parti social-démocrate (12,7%), qui était également membre de la coalition régionale sortante avec les Verts –, ont enregistré un net recul : respectivement – 12 points et – 10,4 points. L’Alternative pour l’Allemagne a réussi sa percée et pris la troisième place avec 15,1% des voix.

En Rhénanie-Palatinat, le Parti social-démocrate s’est imposé avec 36,2% des suffrages et a devancé de peu l’Union chrétienne-démocrate (31,8%). Les populistes de l’Alternative pour l’Allemagne ont recueilli 12,6% des voix.

C’est en Saxe-Anhalt, seul Land de la partie orientale du pays, à voter le 13 mars, que cette formation a réalisé son résultat le plus élevé en remportant 24,2% des suffrages. L’Union chrétienne-démocrate est cependant arrivée en tête du scrutin avec 29,8% des suffrages. Le Parti de gauche (DL) (16,3% des voix) et le Parti social-démocrate, (10,6%) qui obtiennent habituellement des résultats élevés dans ce Land, sont en recul : respectivement – 7,4 points et – 10,9 points.

L’analyse

Si l’on en croit les résultats de ces scrutins régionaux, les Allemands ne sont pas tous mécontents de la politique menée par leur chancelière. Sa formation, l’Union chrétienne-démocrate, s’est en effet maintenue dans deux des trois Länder qui ont voté le 13 mars dernier. Dans le Bade-Wurtemberg, la CDU emmenée par Guido Wolf, qui avait pris ses distances avec la chancelière, a lourdement chuté mais la victoire est revenue aux Verts et au ministre-président sortant Winfried Kretschmann, fervent soutien de la politique d’Angela Merkel.

Durant la campagne, les Verts avaient distribué des tracts pour attirer les sympathisants chrétiens-démocrates perturbés par les querelles existant au sein de leur formation sur lesquels on pouvait lire : « Si vous voulez Angela Merkel, votez Vert ! ». Selon l’institut Intratest Dimap, près d’un tiers des électeurs de l’Union chrétienne-démocrate lors des précédentes élections régionales de 2011 ont voté pour les Verts le 13 mars dernier.

En Rhénanie-Palatinat, le vainqueur du scrutin, la dirigeante social-démocrate Malu Dreyer, a également affirmé son soutien à l’action de la chancelière. « Angela Merkel a raison. Nous avons besoin d’une solution européenne et vous la poignardez dans le dos » a-t-elle déclaré à son adversaire chrétienne-démocrate, Julia Klöckner, que les observateurs voyaient, avant les élections, promise à un grand avenir au niveau fédéral. Les choses ont été un peu différentes en Saxe-Anhalt où Reiner Haseloff (CDU) a obtenu le résultat le plus faible de l’Union chrétienne-démocrate dans le Land (29,8%).

Les élections régionales du 13 mars ont néanmoins permis à une partie importante des Allemands appelés aux urnes d’exprimer leur mécontentement comme en témoignent les résultats d’Alternative pour l’Allemagne dans chacun des trois Länder. Cette percée est la première d’un parti situé à droite de l’Union chrétienne-démocrate en Allemagne depuis 1945.

On notera que selon les enquêtes sorties des urnes réalisées par l’institut d’opinion Intratest Dimap1, une grande partie des électeurs d’Alternative pour l’Allemagne ne sont pas d’anciens votants de l’Union chrétienne-démocrate hostiles à la position d’Angela Merkel à l’égard des réfugiés mais très majoritairement d’anciens abstentionnistes : au moins un tiers d’entre eux en Rhénanie-Palatinat et 28% de ceux du Bade-Wurtemberg. « Alternative pour l’Allemagne agit comme un aspirateur, ramassant tout ce qui se trouve à sa portée » a fort bien analysé le politologue Stefan Merz.

Deuxième constat : la formation populiste a réalisé son résultat le plus élevé dans le Bade-Wurtemberg, soit dans la partie occidentale de l’Allemagne, attirant donc moins les laissés pour compte de la transition démocratique de Saxe-Anhalt que les déçus de la modernisation et de la globalisation qui s’élèvent contre la concurrence que – selon eux – représentent les migrants. Si l’existence d’un parti d’extrême droite était jusqu’à maintenant une question taboue en Allemagne, Alternative pour l’Allemagne pourrait être la première formation à droite de l’Union chrétienne-démocrate à s’imposer au niveau fédéral.

Ce phénomène s’explique en partie par la transformation qu’a subie la CDU sous la direction d’Angela Merkel au cours des dix dernières années. Si le recentrage de la formation a permis d’étouffer le Parti social-démocrate, il a fortement déplu à l’aile la plus conservatrice des chrétiens-démocrates qui ne se reconnaît pas forcément dans les positions prises par la CDU. « Angela Merkel a transformé l’Union chrétienne-démocrate en un mélange vert-libéral et social-démocrate, tout en supprimant tout conservatisme du parti » a résumé Dirk Kurbjuweit dans l’hebdomadaire Der Spiegel.

Enfin, la percée d’Alternative pour l’Allemagne s’explique par l’alliance entre l’Union chrétienne-démocrate Parti social-démocrate au niveau fédéral. En effet, lorsque le pays est gouverné par une grande coalition, le mécontentement ne peut s’exprimer qu’à gauche de la gauche – comme cela a pu être parfois le cas dans les années précédentes avec le vote pour le Parti de gauche (DL) – ou encore à droite de la droite, comme on a pu l’observer le 13 mars dernier.

En général, ces formations qui attirent une partie non négligeable d’électeurs sont exclues du jeu politique par les « grands » partis2, ce qui ne fait que conforter leurs sympathisants dans l’idée que ces formations, loin de s’opposer, se ressemblent et, que plutôt que d’être à l’écoute des citoyens, elles travaillent de concert à conserver le pouvoir. Conséquence : l’alliance de l’Union chrétienne-démocrate et du Parti social-démocrate au niveau fédéral, rendue obligatoire par la baisse continue de chacun de ces partis depuis plusieurs années, constitue, notamment en période de tension, une opportunité pour les formations populistes.

Sur le web

  1. Voir le site internet : http://m.welt.de/politik/deutschland/article153256475/CDU-verliert-Hunderttausende-Waehler-an-die-AfD.html
  2. Ou s’excluent d’elles-mêmes : la direction de l’Alternative pour l’Allemagne a ainsi indiqué que le parti n’avait nullement pour intention ou pour objectif de participer au gouvernement au niveau fédéral.

 

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2 commentaires

  1. Posté par Jean-Francois Morf le

    Avis aux “bien pensants” qui critiquent le “populisme”: en Suisse, c’est le peuple qui commande, et non pas les “bien pensants”. Et le peuple, il est “populiste”, par définition!

  2. Posté par Pierre H. le

    Le populisme (pour le peuple) EST la norme et pas une valeur refuge quand tout va mal !

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