Pourquoi Bachar el-Assad semble-t-il aujourd’hui incontournable ?

Entretien
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Richard Labévière, expert en questions stratégiques et rédacteur en chef de prochetmoyen-orient.ch, analyse le revirement des diplomaties occidentales quant à la place du président syrien dans une solution à la crise syrienne.
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Dès les premiers mois du conflit syrien, en 2011, la focalisation se porte sur le président Bachar el-Assad dont le départ est présenté par les Occidentaux comme un préalable fondamental à toute discussion en vue d'une solution politique négociée. Or ces analyses d'un régime personnifié, structuré autour du président et de ses réseaux, occultaient les réalités de terrain et les évolutions des rapports de force à l'échelle locale et régionale. Non seulement les projections sur la décomposition du régime ne se sont pas réalisées, mais une convergence ponctuelle russo-américaine sur le dossier syrien est apparue. Richard Labévière, expert en questions stratégiques, revient sur l'évolution du conflit et la nouvelle donne introduite par la montée en puissance de la Russie.

Comment interprétez-vous l'officialisation de l'engagement russe en Syrie ?
Le président russe Vladimir Poutine a consolidé un engagement militaire en Syrie qui n'est pas nouveau. Il doit s'exprimer à l'Assemblée générale des Nations unies pour la première fois le 30 septembre, où il arrive avec des propositions concrètes sur la Syrie avalisées par la Chine et l'Iran, et favorisé par l'évolution du contexte militaire et diplomatique sur le conflit syrien. On sait qu'il y a maintenant un état-major commun de coordination des forces et de planification a minima entre la Russie et les États-Unis dans l'espace aérien.
Pour comprendre cette situation, il faut surtout corriger l'idée avancée par les commentateurs politiques dans la presse française, selon laquelle les Russes interviennent pour sécuriser le réduit alaouite de Lattaquié. Rappelons d'abord qu'aujourd'hui, démographiquement, avec l'afflux de réfugiés, Lattaquié est plus sunnite qu'alaouite. Mais c'est surtout une erreur d'analyse. Aujourd'hui, si l'armée russe intervient, c'est pour appuyer l'armée syrienne dans son effort de stabilisation du « pays utile ». Il s'agit de stabiliser Damas, Homs, Hama, Alep, et à terme l'ensemble du pays aux marges de Deraa, Jisr el-Choughour, Deir ez-Zor.
L'intervention militaire russe correspond donc à une politique régionale structurée de Moscou. Sur le plan international, depuis le début de la crise, Poutine est conscient qu'il y a des liens organiques entre la gestion de la crise syrienne et la question ukrainienne, et il consolide ses positionnements militaires et stratégique dans trois directions : l'Arctique (grand Nord), la mer Noire (Ukraine) et la Méditerranée (Syrie), et le Kamtchatka dans l'extrême Asie à un moment où l'on apprend que le président américain Barak Obama est en train d'installer 10 ogives nucléaires supplémentaire en Allemagne avec l'accord de la chancelière allemande Angela Merkel. Nous sommes globalement dans un nouveau contexte de guerre froide, avec des évaluations de forces au coup par coup et certaines ententes. Sur le dossier syrien, il y a une convergence parce que l'administration américaine ne peut pas s'opposer à un engagement accru des Russes pour lutter contre Daech.

Comment expliquez-vous ce revirement des pays européens concernant Bachar el-Assad ?
L'Europe découvre aujourd'hui qu'il y a des réfugiés en Jordanie, au Liban, et cet afflux de réfugiés s'explique par plusieurs raisons. Les réfugiés qui étaient accueillis à bras ouverts en Turquie le sont moins. Le président turc Recep Tayyip Erdogan est dans une position politique très difficile, il a perdu sa majorité absolue et disposait de 40 jours pour constituer un gouvernement d'union nationale, mais cela a été un échec. Il doit retourner aux urnes qui vont limiter sa marge de manœuvre politique aujourd'hui atténuée. En conséquence, il réagit de deux manières : d'un côté, il ouvre ses bases à la coalition en laissant croire que cette fois-ci la Turquie lutte véritablement contre Daech, alors que dès le début les services turcs ont aidé l'EI et sa progression ; et il profite de cet effet d'annonce pour taper sur les Kurdes, le PKK en Turquie et en Irak. D'un autre côté, pour se venger des Européens qui n'ont toujours pas fait avancer les discussions sur l'adhésion de la Turquie à l'UE, il favorise le départ des réfugiés vers l'Europe. Face à cela, les opinions publiques en Europe sont globalement contre ces migrations non contrôlées qui ne donnent lieu à aucune politique coordonnée puisque l'UE est incapable de se concerter avec l'Union africaine et la Ligue arabe. Les opinions publiques en Europe considèrent que cet afflux de réfugiés est lié au fait que Daech a pris de l'expansion et qu'au bout d'un an de prétendue grande coalition qui réunit les armées les plus puissantes du monde, le résultat est nul. On demande aux gouvernants d'être plus efficaces pour atténuer les migrations. De fait, cette approche oblige à corriger les relations que tous ces pays entretiennent avec Bachar el-Assad.

Est-ce que cela signifie que, pour les Occidentaux, une solution négociée passerait nécessairement par Bachar el-Assad ?
Dès le départ, il y a eu une erreur d'appréciation, liée au mal nommées « révolutions arabes », sur la qualification de ces crises. Les diplomaties occidentales se sont trompées en plaquant la réalité tunisienne et égyptienne sur la situation syrienne personnalisée à travers Bachar. En juillet 2012, Barack Obama, David Cameron et Nicolas Sarkozy ont demandé le départ du président syrien parce qu'on a réduit la crise syrienne à sa personne. Or aujourd'hui, même Laurent Fabius considère que le départ de Bachar n'est plus un préalable. Les diplomaties polonaise, espagnole, tchèque, de petits pays européens, considèrent que Bachar el-Assad incarne la légitimité politique et militaire de son pays et que l'on ne peut que dialoguer avec lui si l'on veut efficacement lutter contre Daech. Or à ce stade, si un processus sort de la réunion de l'Assemblée générale onusienne (qui s'ouvre officiellement aujourd'hui à New York, NDLR), ce processus se fera avec Assad. Ceux qui pensent le contraire sont les représentants de l'opposition cinq étoiles de Paris et d'Istanbul. Même si la résolution de la crise syrienne ne va pas reconstituer une situation à l'identique comme c'était le cas avant. Sur le plan territorial, cela dépendra de l'évolution du rapport de force sur le terrain, il peut y avoir des formes d'autonomie, de fédéralisme, les Kurdes et les druzes ont déjà commencé à négocier avec Damas de futurs aménagements constitutionnels. Les Russes et les Iraniens sont relativement en convergence avec le régime syrien. La Chine a également montré son intransigeance au Conseil de sécurité. Quand les Chinois voient qu'un village entier en Syrie a été vidé de ses habitants et peuplé d'Ouïgours, ils sont conscients du danger. C'est un camp d'entraînement dont les effectifs seront réexportés plus tard dans le Xinjiang du Nord-Ouest chinois. Pékin rencontre déjà beaucoup de problèmes avec les Ouïgours présentés par les Occidentaux comme des combattants de la liberté. Finalement, tout devrait se décanter lors des discussions à l'Assemblée générale de l'Onu.

 

Pour mémoire

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http://www.lorientlejour.com/article/946412/pourquoi-bachar-el-assad-semble-t-il-aujourdhui-incontournable-.htmlhttp://www.lorientlejour.com/article/946412/pourquoi-bachar-el-assad-semble-t-il-aujourdhui-incontournable-.html

 

5 commentaires

  1. Posté par MF le

    La démocratie n’a jamais existé dans un pays musulman, et n’existera jamais qu’à titre de mascarade. On ne peux imposer de force un régime politique si on veux rester en accord avec nos beaux principe. Vladimir Poutine a épinglé notre goret national avec sobriété et dit ce qu’il y avait à redire : La France n’était nullement habilitée a intervenir en Syrie sans l’accord du gouvernement légitime en place.

  2. Posté par G. Vuilliomenet le

    François L. où l’art de déblatérer.

    Les USA ne 1939-45 ne sont peut-être pas ceux d’aujourd’hui. Sans oublier que l’entrée en guerre des USA dans ce conflit a pour origine l’attaque contre Pearl Harbour par les Japonais alliés des nazis (le nazisme était le socialisme national allemand, dois-je le rappeler).

    Ce qui se passe aujourd’hui dans les pays comme la Libye, la Syrie, l’Iraq, etc…. avait été prévu par des analystes indépendants des mainstreams.

    Mais si je vous comprends bien, la situation dans les pays cités s’est tellement bien améliorée que vous êtes prêt à y passer le restant de votre vie et à y voyager dans tous les sens. 🙂

  3. Posté par patrick lévy le

    …, Mr Bachar al-Assad a besoin d’un traitement à la Roumaine. Patrick Lévy.

  4. Posté par François L. le

    Merci Monsieur Vautrin pour la pertinence de votre jugement et pour toutes ces belles assertions dont la véracité, contrairement aux propos systématiquement mensongers tenus par la presse de gauche, ne souffre bien entendu d’aucune remise en question.
    Il est vrai que ces chers peuples Libyen, Syrien ou Tunisien ont ou avaient, sous la main protectrice de leur dirigeant bienveillant, tout le loisir de disposer d’eux-mêmes. Quel simple d’esprit faudrait-il être pour ne pas encenser le mode de vie édicté par les principes humanitaires de ces grands philosophes que sont les Kadafi, Al Assad ou Ben Ali? Quel Observateur ne voudrait-il pas vivre dans l’une de ces belles contrées où la presse, contrairement à la nôtre, est d’une transparence et d’une probité légendaire ? Quel Observateur ne voudrait-il pas voir notre système judiciaire laxiste et pitoyable remplacé par leurs modèles beaucoup plus efficaces ? Que dire du système carcéral, de la liberté d’expression ou l’éducation ? Ha non, vraiment il doit faire si bon vivre sous l’égide du très regretté Kadafi.

    Cher Monsieur Vautrin, je vous remercie également pour vos éclairages sur les principes économiques et anthropologiques. Il est indubitablement très profitable pour une nation de mettre tout en œuvre pour déstabiliser une région dans laquelle de nombreux intérêts économiques sont en jeu. En effet, quoi de plus naturel que de détruire l’économie d’un partenaire afin de dynamiser les échanges commerciaux avec lui, n’est-il pas vrai ?
    Quant à la loi anthropologique, promulguée par le législateur Vautrin, je doute que beaucoup d’Européens regrettent aujourd’hui le secours que les Américains nous ont apporté pour nous débarrasser d’Hitler, un autre grand philosophe, qui se serait sans doute très bien entendu avec les autres illustres personnages précités.

  5. Posté par Vautrin le

    L’enragée ingérence des occidentaux, dont principalement “l’administration” Obama, est, en fin de compte, en contradiction avec ce vieux principe selon lequel les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes, formulé clairement dans les quatorze points de Wilson à la fin de la première guerre mondiale. Nous avons vu de multiples violations de ce droit sous la forme du “droit d’ingérence” , habilement revêtu des oripaux de principes “humanitaires”. C’est ainsi que l’on a détruit l’Irak, la Serbie, la Lybie. C’est ainsi que l’on a fomenté les “printemps arabes”. Nous voyons le résultat. Ce faux “droit” sert le plus souvent le prétexte pour déstabiliser l’ordre géopolitique dans des régions du monde où les Occidentaux (car c’est essentiellement eux qui en abusent) ont des intérêts économiques et stratégiques. Il suffit de décréter, avec de faux renseignements à l’appui, que tel chef d’État est un tyran qui martyrise la population de son pays (voir les déclarations du Fabius à propos d’Assad) pour qu’aussitôt le pays soit envahi, que l’on fabrique une parodie de démocratie prélude au chaos. On peut dire, sans risque de se tromper, que l’expansion de l’entité nazislamique “Daech” est le résultat de cette politique hypocrite. Il faut en finir avec cette tragique tromperie. Notamment, ce n’est ni aux Obamaniaques ni aux Européâstres de décider à la place d’un peuple Syrien qui semble peu pressé de se débarrasser de celui qu’on lui présente comme un tyran sanguinaire.
    Il est une loi anthropologique, valable depuis que l’humanité existe : entrer dans l’histoire des autres peuples, c’est inévitablement provoquer du chaos.

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