« L’UE malade de ses frontières ouvertes. La Suisse a-t-elle au moins la force de lutter contre l’immigration illégale? » »

De Roger Köppel

La discussion sur l’immigration illégale de masse d'Afrique du Nord fait fausse route. Les politiciens, les médias, les intellectuels se focalisent sur l'amélioration du sauvetage en mer et l'augmentation de l'aide en Méditerranée. Ce n'est pas la bonne approche. Ses partisans devraient logiquement demander la mise en place d'un service de ferry ou de vols directs à destination de l'UE. C’est le seul moyen de garantir que personne ne coulera sur des embarcations de fortune. Le résultat serait la fuite effrénée de millions d'individus vers le Nord.

Le débat manque de réalisme. Penchons-nous sur les faits. Premièrement, les gens qui embarquent en Afrique du Nord ne sont majoritairement pas des réfugiés au sens de la Convention de Genève. Leur vie et leur intégrité physique ne sont plus directement menacées. Ce sont surtout de jeunes hommes qui ont parcouru des milliers de kilomètres et qui tentent le saut dans la prospérité européenne. Ils ont dépensé des milliers de francs pour mieux s'en sortir dans le Nord. Nombre d'entre eux sont sur les routes pour le compte de leurs familles, auxquelles ils enverront une partie de leur futur revenu, souvent des rentes sociales.

Deuxièmement, les migrants savent calculer. Ils savent que la traversée de la Méditerranée sera fatale en moyenne à environ 2% des voyageurs. C'est tragique et terrible. Mais les migrants économiques illégaux acceptent ce risque parce qu'ils savent que 98% des réfugiés réussissent. Le principal problème, ce ne sont pas les passeurs criminels. En ne sécurisant pas ses frontières sud, l'Europe fait de l'argent versé aux passeurs un investissement rentable aux yeux des réfugiés économiques, en dépit des décès occasionnels. Ceux qui ont atteint le continent européen n'ont plus à redouter un rapatriement. Ce qui compte, ce ne sont pas les morts, mais les innombrables survivants.

Troisièmement, l'UE est en voie de ne s'attaquer qu'aux symptômes. S'en prendre politiquement aux passeurs est du même acabit que la chasse intensifiée à la mafia pendant la prohibition américaine au siècle dernier. Cela ne sert à rien. On touche ainsi les profiteurs criminels d'une politique erronée, sans changer cette mauvaise politique. La bonne politique des États de l'UE consisterait à prendre au sérieux leurs propres lois en matière d'asile et à fermer les frontières à tous les clandestins. Ils montreraient ainsi aux migrants économiques qu'il ne vaut pas la peine de verser des milliers de francs à des passeurs pour une traversée sans espoir. Sans offre, pas de demande.

Au vu des premières réactions, il est toutefois peu probable que l'UE ait la force de boucler ses frontières. Les flux de réfugiés ne tariront pas, mais vont augmenter. Le nombre de clandestins n'a donc pas de rapport direct avec la nécessité réelle, mais surtout avec les incitations et les offres nées de la politique d'asile laxiste de l'UE. Fait intéressant, la route des réfugiés passe, par exemple, beaucoup moins par l'Espagne que par l'Italie, pourtant l'Espagne est plus proche de l'Afrique du Nord. Or les Espagnols protègent plus efficacement leurs frontières. Par ailleurs, l'État libyen en déshérence depuis la chute de Kadhafi suscite un appel d'air auprès des réfugiés illégaux et des passeurs. L'UE devrait donc a fortiori sécuriser sa frontière sud face au vide libyen.

Qu'est-ce que cela signifie pour la Suisse? Certes, les autorités prétendent avoir la situation sous contrôle. Le nombre de procédures d'asile n'aurait jamais été aussi bas proportionnellement au volume total européen des demandes. Possible. Mais cela tient certainement aussi au fait qu’actuellement la Suisse accepte facilement un grand nombre de demandes d'asile, ce qui fait baisser le nombre de procédures. Le taux de personnes restant aujourd’hui sur le territoire correspond environ à 60% de toutes les demandes présentées. Un chiffre élevé inquiétant. De plus, la plupart des bénéficiaires de l'asile sont originaires d'Érythrée et, à nouveau, du Sri Lanka en raison d'un assouplissement des dispositions. Le groupe des Kosovars enregistre la plus forte croissance, bien que la Suisse et l'Allemagne aient des troupes stationnées au Kosovo. Comment se peut-il que de vrais bénéficiaires de l'asile au sens de la Convention de Genève proviennent d'un tel État?

Ça cloche déjà sur le fond. Les Offices suisses de l'asile estiment que 50 à 60% des migrants d'Afrique du Nord sont de vrais réfugiés au sens de la Convention de Genève. Ce chiffre est beaucoup trop élevé. Il sert plutôt à justifier les taux de reconnaissance en hausse, actuellement autour de 25%. Chez les Érythréens, il est proche de 52%, chez les Sri-Lankais, il serait même d'environ 71%. Ces taux élevés d'admission entraînent un nombre croissant de demandes d'asile. La Suisse crée en quelque sorte elle-même cette migration illégale de la pauvreté qui abuse du droit d'asile – avec le concours de l'administration.

Pénétrer illégalement dans une maison fait l'objet d'une sanction. Pénétrer illégalement dans un État peut permettre d'accéder à des prestations sociales et de bénéficier d’un traitement indulgent. Cela doit cesser. La misère à la frontière sud de l'Europe montre que plus la fuite s'avère prometteuse et les conditions attrayantes dans le pays cible, plus le nombre de migrants illégaux qui se mettent en route augmente. La Suisse devrait de toute urgence réduire son statut attrayant d'eldorado pour les réfugiés économiques. La volonté politique d'appliquer strictement la législation sur l'asile n'est que très partielle. Espérons que la récente tragédie méditerranéenne nous ouvrira finalement les yeux.

Source :  Die Weltwoche, Editorial, Roger Koeppel, 3 mai 2015

 

Un commentaire

  1. Posté par coocool le

    La Suisse doit absolument cesser tout asile autre que les chrétiens du Moyen-Orient, qui n’ont nulle part où aller.

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