syrie Coprésidente du Parti de l'union démocratique, la principale force kurde du pays, Asya Abdullah a combattu le groupe Etat islamique à Kobané.
JULIE CONNAN
Asya Abdullah, quel rôle ont joué et jouent encore les femmes kurdes dans la libération de Kobané, et plus globalement dans la lutte anti-EI en Syrie?
Les femmes n'ont pas attendu l'offensive de l'Etat islamique pour jouer un rôle capital dans la société kurde. Nous sommes très organisées et bien formées au combat. J'étais moi-même à Kobané avant que la bataille ne commence et je n'ai quitté les armes qu'à quelques exceptions pour me rendre à des réunions politiques. J'y étais pour défendre nos droits. Partout où il y avait les djihadistes, il y avait des femmes en face. Depuis le 15 septembre, et tout au long de la bataille de Kobané, la femme a joué un rôle de meneur, un rôle décisif dans cette guerre.
Les djihadistes ont peur de combattre des femmes et pensent qu'ils n'iront pas au paradis s'ils meurent de la main de ces combattantes. Mais cet atout majeur fait également d'elles des cibles privilégiées...
L'Etat islamique constitue un grand danger pour la femme et son statut. Là où l'organisation est implantée, il n'y en a pas, que ce soit physiquement ou culturellement. A Sinjar, le plus grand massacre qu'il y a eu (réd: le 3 août 2014) visait particulièrement les femmes: les yazidies sont des milliers à avoir été capturées et à avoir subi des pratiques inhumaines (vendues comme épouses aux djihadistes ou réduites à l'état d'esclave sexuelle).
Nous avons aussi pu le voir avec la kamikaze Arin Mirkan (qui s'est fait exploser le 5 octobre au milieu de djihadistes, tuant des dizaines de combattants) qui, pour ne pas céder aux forces obscures de l'EI, a été jusqu'à sacrifier sa vie. Elle nous a montré la voie.
Et même si nous ne sommes pas en faveur des attentats suicides, son action illustre la détermination des Kurdes à vouloir éliminer ces forces obscures. Pour ne pas tomber entre les mains djihadistes et se soumettre, les femmes persisteront jusqu'à la mort.
La branche militaire du PYD compte environ 4000 femmes. Comment s'organise la répartition entre les hommes et les femmes au combat?
Nous avons développé un enseignement théorique et pratique de la guerre dispensé dans les académies de la femme présentes dans Kobané et les deux cantons autour (Afrin et Cizîrê). Elles participent à ce conflit en toute connaissance de cause, avec une conscience politique, contrairement à la plupart des guerres où elles sont juste embrigadées. Il y a deux façons de s'organiser dans la lutte armée: soit à travers des unités exclusivement composées de femmes, avec femmes colonels et commandantes, au sein du YPJ, la branche féminine des unités de protection du peuple (YPG). Soit au sein d'unités mixtes, où des femmes peuvent aussi très bien être amenées à commander des hommes.
Qu'est-ce qui a été déterminant, selon vous, dans la libération de Kobané, le 26 janvier?
Il y a vraiment eu une très grande résistance qui s'est organisée à Kobané. Le bilan de ces quatre mois de guerre a été très lourd pour le YPG et le PYD puisque nous avons recensé 408 martyrs (contre plus d'un millier du côté djihadiste). Pendant cette bataille, nous avons bénéficié d'une large solidarité, de la part de la coalition avec les bombardements aériens,
mais aussi d'une partie de l'Armée syrienne libre.Nous avons également reçu les renforts des peshmergas (combattants kurdes irakiens), des Kurdes à l'échelle nationale (comprendre des Kurdes de Syrie, de Turquie, d'Irak et d'Iran) et internationale. Ce soutien envers notre résistance à Kobané a fait que nous étions certains que nous finirions par triompher contre l'EI. Nous avons toujours été convaincus que la victoire était possible.
Comment reprendre les villages autour de Kobané, qui sont toujours aux mains des djihadistes?
Après la victoire de Kobané, le deuxième acte a débuté. Et le YPG est en marche pour cela. Ses opérations continueront pour libérer tous les villages autour de la ville qui sont encore sous l'emprise de l'EI.
La ville symbole a été largement détruite: comment appréhendez-vous sa reconstruction?
Nous avons tout d'abord besoin de camps pour permettre le retour des réfugiés qui ont dû quitter la région (200
000 Syriens ont trouvé refuge en Turquie depuis le début de l'offensive djihadiste). Une commission du canton de Kobané a été constituée pour préparer cette reconstruction. Elle est en plein travail, mais il nous faut aussi un soutien aussi bien national (kurde) qu'international. Nous avons également besoin d'un accès, d'une porte, d'un corridor. Il y a deux possibilités pour cela: soit des corridors entre les cantons disjoints du Rojava (la région à majorité kurde de la Syrie), qui permettraient de soutenir les trois à la fois, soit un corridor via la Turquie. Mais dans ce cas, il faudra alors le placer sous contrôle des autorités internationales ou des Nations unies.Comment garantir un avenir démocratique dans le Rojava et, plus largement, pour le peuple kurde?
Nous avons une certaine expérience en la matière, depuis que nous avons mis en place un système démocratique via les cantons du Rojava, dans lequel nous impliquons toutes les populations (Arméniens, chrétiens, Cyriaques...) et pas uniquement pour les Kurdes, pour que toutes les nations, cultures et religions puissent coexister.
Notre objectif est de mettre en place une Syrie démocratique non centralisée, où les droits de tous les peuples qui composent la mosaïque syrienne soient garantis et dans laquelle l'autonomie du Rojava s'inscrirait. Il faut empêcher une partie de la population d'en écraser une autre et placer au centre l'égalité entre l'homme et la femme.
Pour toute la Syrie, le peuple kurde constitue une opposition sérieuse très importante au régime de Bachar el-Assad. Et nous avons un projet et une feuille de route pour pouvoir aboutir à une solution politique. Nous avons une certaine responsabilité en ce qui concerne l'union des peuples de Syrie. La lutte du Rojava peut être une lutte pour une Syrie libre.
LE FIGARO
Extrait de: Source et auteur
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Alors là, sans même lire l’article, je suis pour la féminisation!