« Soumission » de Michel Houellebecq

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Le mot d'islam veut dire soumission. Le titre du dernier roman de Michel Houellebecq n'est donc pas choisi par hasard. Car il est effectivement question d'islam dans Soumission et de... soumission.

Nous sommes en 2022. En 2017, François Hollande a été réélu et son deuxième quinquennat a été aussi médiocre que le premier. L'histoire débute au moment du premier tour des élections présidentielles qui lui donneront un successeur.

Le narrateur, François, aura bientôt 44 ans. Pendant sept ans il a fait une thèse sur Karl-Joris Huysmans, qu'il a soutenue en juin 2007 et qui lui a valu les félicitations du jury à l'unanimité. C'est une thèse de poids - sept cent quatre-vingt huit pages -, devenue depuis lors un ouvrage de référence.

Sa voie était toute tracée: "Les études universitaires dans le domaine des lettres ne conduisent comme on le sait à peu près à rien, sinon pour les étudiants les plus doués à une carrière d'enseignement universitaire dans le domaine des lettres - on a en somme la situation plutôt cocasse d'un système n'ayant d'autre objectif que sa propre reproduction, assorti d'un déchet supérieur à 95%."

Il est parmi les plus doués. Il deviendra donc professeur de lettres à l'Université Paris III, qui est juste un cran en-dessous de Paris IV...

Jeune, François n'a pas eu d'ambition matrimoniale, et considère qu'à son âge il est maintenant trop tard pour y songer. A ses relations amoureuses annuelles et épisodiques d'étudiant avec une de ses petites camarades d'études ont succédé des relations amoureuses annuelles tout aussi épisodiques de professeur avec une de ses étudiantes. Il fait la jonction estivale avec des escort girls...

Pendant la soirée électorale du premier tour des élections présidentielles, la candidate du Front national, Marine Le Pen, étant arrivée largement en tête avec 34,1 % des voix et celui de la droite traditionnelle étant éliminé avec 12,1% des voix, il faut attendre minuit pour départager le candidat qui lui sera opposé au second tour: celui du PS ou celui de la Fraternité musulmane, parti créé cinq ans plus tôt. C'est ce dernier candidat, Mohammed Ben Abbes, qui finit par l'emporter, dans un mouchoir, avec 22,3% des voix contre 21,9%.

La relation de François avec Myriam, 22 ans, qui ne semble pas l'avoir remplacé, serait-elle plus sérieuse que les autres? Voire. En tout cas il lui est reconnaissant pour tout le plaisir qu'elle lui a donné... Myriam vit chez papa maman. Or, ces derniers sont inquiets de la tournure que prennent les événements en France et décident de partir en famille pour Israël, Myriam comprise, laquelle est bien triste de quitter François, mais lui donne, en guise de cadeaux d'adieu, des plaisirs que de bons musulmans pourraient considérer comme des dépravations... François, pas rassuré non plus - les Universités ont été fermées sine die -, quitte Paris par la route et rejoint Martel dans le Lot...

Dans l'entre-deux tours des troubles éclatent. Il est bien difficile de savoir s'il faut les attribuer à des groupes djihadistes ou à des groupes identitaires. Le jour même du second tour, des bureaux de vote sont saccagés, ce qui va conduire à son invalidation et en reporter la tenue à une date ultérieure. Entretemps l'UMP, l'UDI, le PS se rallient à Mohammed Ben Abbes, musulman modéré, pour faire échec au Front national et obtenir des ministères dans le futur gouvernement, qui sera présidé par François Bayrou... Avec ces ralliements les jeux sont faits et l'élection ne se sera finalement pas faite sur l'économie mais sur les valeurs...

Avec l'élection de Mohammed Ben Abbes, qui s'avère être un président fort habile et qui ambitionne de reconstruire l'Empire romain en négociant l'entrée dans l'Union européenne du Maroc et de la Turquie, les choses évoluent, mais en douceur, grâce à la participation au pouvoir de tous les partis à l'exception du Front national, c'est-à-dire grâce à leur soumission: la délinquance baisse, le chômage itou ("C'était dû à la sortie massive des femmes du marché du travail - elle-même liée à la revalorisation considérable des allocations familiales"), de même que les dépenses sociales, dont la réduction de 85% est prévue sur trois ans.

D'autres changements majeurs interviennent, dans les domaines de l'éducation et de l'économie. La scolarité obligatoire s'arrête à la fin de l'école primaire. Le financement de l'enseignement secondaire et supérieur devient entièrement privé. La Sorbonne, par exemple, Paris III et Paris IV, est désormais financée par les Saoudiens et ne pourront y enseigner que des musulmans. Mohammed Ben Abbes a choisi en matière économique le distributivisme, troisième voie entre le capitalisme et le communisme. Il se traduit, dans la pratique, par la suppression des aides de l'Etat aux grands groupes industriels, par l'adoption de mesures fiscales en faveur des artisans et des auto-entrepreneurs.

Absent de Paris pendant plus d'un mois, François a été démis d'office de ses fonctions de professeur d'université. Il touchera en compensation la retraite qu'il aurait touchée à soixante-cinq ans. Cette démission est regrettée par le nouveau président de Paris III, Robert Rediger, qui va employer les grands moyens pour qu'il revienne enseigner dans son université.

A cette fin, dans un premier temps, il lui fait proposer par Gallimard de s'occuper de l'édition des oeuvres de Huysmans dans la Pléiade, en qualité de spécialiste reconnu; dans un deuxième temps, il le reçoit chez lui dans son hôtel particulier de la rue des Arènes à Paris où ils ont tous deux une longue discussion sur la religion et la philosophie - Robert s'est converti à l'islam et François fait chez lui la connaissance de ses deux épouses -, et il lui offre un ouvrage de vulgarisation de son cru, Dix questions sur l'islam.

Lors d'une réception, Robert explique à François pourquoi il convient de rejeter aussi bien l'athéisme que l'humanisme (là il n'a pas de mal à le convaincre parce que ce mot seul fait vomir François) et lui vante la nécessaire soumission de la femme - les marieuses existent pour trouver aux hommes les épouses qui leur conviennent -, et le retour au patriarcat. Il ne reste plus à François qu'à se convertir, c'est-à-dire à faire soumission aux lois du Créateur, s'il veut meilleur traitement, ne pas avoir à se préoccuper de trouver celles qui partageront sa couche et trouver le bonheur.

Ce livre est une fiction qui pourrait pourtant bien se produire un jour en France, pour des raisons purement démographiques (2022 est peut-être une échéance un peu trop proche toutefois pour être plausible). Dans cette hypothèse, Michel Houellebecq construit un scénario on ne peut plus probable, compte tenu de ce qu'on peut savoir des pays dirigés par des musulmans, qui ne sont de loin pas des islamistes radicaux.

A lire ce livre superbement écrit, qui a la vertu de le faire rire par moments ("le confit de canard ne paraissait pas compatible avec la guerre civile"), le lecteur ressent cependant un malaise, parce qu'il ne sait pas très bien où l'auteur veut en venir avec ce récit. Mais le sait-il lui-même? Il semble que cette histoire, à partir du moment où il en avait posé les prémices, lui ait échappé et acquis son autonomie de créature littéraire. Quoi qu'il en soit, elle donne matière à réflexion.

Son  narrateur de personnage, incapable de vivre pour lui-même, se sent, dit-il au début, "aussi politisé qu'une serviette de toilette". Il semble surtout, ce qui n'est pas incompatible, au contraire, vouloir saisir sa chance quand elle se présente et il n'est pas mécontent, après tout, avec ce changement paisible de régime, d'appartenir à la gent masculine, ce qui est bien confortable et lui permettra d'oublier Myriam...

Francis Richard, 8 janvier 2015

Soumission, Michel Houellebecq, 304 pages, Flammarion

Publication commune lesobservateurs.ch et Le blog de Francis Richard

7 commentaires

  1. Posté par Pierre Chappaz le

    Merci Francis pour cet article qui me rappelle que je dois acheter ce livre ce week-end, avant qu’il ne soit épuisé.

  2. Posté par Jac Etter le

    Merci pour le résumé, me réjouis de le lire. M. Houellebecq a toujours été efficace pour pointer et mettre en évidence l’énergie sexuelle dégénérée cachée derrière l’étiquette de bienséance de nos sociétés. Son dernier livre semble donc s’attaquer à un monument en la matière : toute la religion des soumis est construite sur une pyramide de déviances sexuelles, un régal pour un maître en la matière.

  3. Posté par Marie-France Oberson le

    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/01/08/97001-20150108FILWWW00405-houellebecq-suspend-la-promotion-de-son-livre-soumission.php?pagination=5#nbcomments
    Où- est -le-becq ? Choqué par la mort de son ami, Bernard Marris, tué au siège de Charlie hebdo, Houelebecq aurait « quitté Paris pour se mettre au vert, à la neige », a précisé son éditeur Flammarion,
    Et si Houellebecq était, en Suisse… à la neige ? C’est la question que je me pose, par déduction, à la lecture du Figaro Magazine de ce vendredi dans lequel l’écrivain s’exprime à propos de son livre « Soumission » dans un entretien qui a l’évidence a eu lieu avant le carnage chez Charlie.
    Houellebecq était partie vivre quelques années en Irlande après la parution de son livre
    « La carte et le territoire »…. à cause des impôts trop élevés en France
    « On aime la collectivité, d’accord, mais pas plus de 50%.C’est une erreur d’avoir supprimé le bouclier fiscal. On a des devoirs envers la collectivité, envers ses semblables, mais jusqu’à un certain point.Au delà, ce n’est pas tolérable. »*
    Puis il est revenu en France car ce n’est pas la France qui lui manquait, dit-il mais « c’est le français qui me manquait. C’était aussi pour revoir mes amis. Peut-être aussi, secrètement, pour écrire ce livre..Parce qu’il est indéniable que j’ai été frappé, étant parti plus de dix ans, par une profonde détérioration de la situation en France (…) car si j’étais fidèle à mes convictions politiques, j’irais vivre en Suisse, non pour des raisons fiscales, puisque le taux d’imposition dans les cantons francophones y est élevé, mais parce que c’est le pays de la votation »*
    Il déclare aussi être contre l’Europe, car « Je pense que nous jouerons mieux nos cartes maîtresses si nous sommes seuls »*

    On comprend mieux pourquoi la bien-pensance médiatique lui a dressé un bûcher
    *  » Houellebecq l’insoumis « La France, l’islam et moi » *dans « Le Figaro Magazine » du 9 janvier 2015 . Une lecture qui fait remonter Houellebecq dans mon estime et que je conseille…

  4. Posté par Ecriture le

    Une tête de loubard, un regard serein, un intellect discret, Houellebecq anticipe, flingue, polémique, déchaîne, contredit, s’en fout (- Les gens pensent ce qu’ils veulent, dit-il), dérange, libère l’écriture, détourne la censure, ne juge pas….

  5. Posté par Derek Doppler le

    La seule vraie probabilité en dehors des prédictions de Raspail, Zemmour ou Houellebecq, entre autres, est bien celle de la persistance absolument ahurissante des idiots utiles déblatérant leur inepte conformisme narratif. On se demande bien ce qui parviendra à les faire taire définitivement?

  6. Posté par Marie-France Oberson le

    @jean-paul : lorsque Jean Raspail publia son livre, en 1975 « Le Camp des Saints », la bienpensance eu la même réaction que vous. Ce qu’il se passe dans ce livre en trois jours (c’est un roman : unité de temps, de lieu etc..) se passe en réalité en quelques décennies…
    A lire ou relire..

  7. Posté par jean-paul le

    « Ce livre est une fiction qui pourrait pourtant bien se produire un jour en France »
    « Michel Houellebecq construit un scénario on ne peut plus probable »

    Qu’est ce qu’il faut pas écrire comme bêtise à propos d’un livre de science-fiction totalement incohérent pour justifier sa propagande anti-musulmans. Triste.

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