NDR. Nos lecteurs écrivent.
Le rejet des initiatives populaires « Ecopop », « Or BNS » et « Abolition des forfaits fiscaux » et certains commentaires qui ont suivi illustrent une nouvelle fois le poids grandissant de la désinformation et de la manipulation qui gangrènent la démocratie suisse[1]. En effet, la présentation de ces trois initiatives n’a pas été faite en toute objectivité.
D’abord, l’initiative « ECOPOP ». On a décrit cette initiative comme xénophobe pour ignorer superbement la question de l’impact du changement climatique sur les régions des Alpes et des Préalpes et par voie de conséquence sur les plaines du Rhône et du Rhin, par exemple. Pourtant des études très sérieuses (voir www.occc.ch) dressent déjà l’inventaire des problèmes à venir - problèmes que l’on ne veut pas voir. Le peuple a été amené à voter sans disposer d’une information complète et objective de la part du Conseil fédéral.
Ensuite, l’initiative sur « l’or de la BNS ». L’argumentation contre l’initiative ne repose sur aucun argument solide, mais seulement sur le fait que l’on souhaite donner la plus grande marge de manœuvre possible à la BNS. Aucune comparaison des différents scenarii envisageables en matière de politique monétaire. L’avenir de l’euro est incertain – c’est le moins que l’on puisse dire, et l’évolution de la conjoncture mondiale pour les cinq prochaines années est imprévisible. Ici aussi, le peuple a été amené à voter sans disposer d’une information complète et objective de la part du Conseil fédéral et sans connaître les tenants et aboutissants de sa décision.
Enfin, l’initiative sur « l’abolition des forfaits fiscaux ». Le scenario est le même. Il eut été correct de la part des adeptes et des opposants de chiffrer aussi précisément que possible les augmentations d’impôts qui auraient découlé, pour les citoyens, de l’abolition des forfaits fiscaux. Et dans la foulée, les promoteurs de l’initiative auraient pu informer les citoyens sur l’existence de forfaits fiscaux dans d’autres pays et sur les méthodes sophistiquées utilisées par les personnes physiques et morales pour échapper au fisc ou pour réduire leurs charges fiscales. Simplement pour que les votants puissent disposer d’une information complète et neutre.
Dans ces trois cas, on n’a pas permis aux citoyens-contribuables de connaître les vérités qui sous-tendent tous ces problèmes. Un état de fait assez désastreux pour une démocratie directe : l’impression prévaut que, progressivement, on désinforme le citoyen pour pouvoir le manipuler plus facilement. Et comme le Suisse n’a pas – ou plus – l’habitude de se défendre, le tour est vite joué. On assiste ainsi à la mise en oeuvre de la post-démocratie de Colin Crouch.
Lors de la présentation des résultats au TJ dimanche soir, la journaliste a évoqué le soi-disant problème de l’exercice des droits populaires, posant la question de l’augmentation du nombre de signatures pour l’acceptation d’une initiative ou d’un referendum : il s’agirait en l’occurrence de restreindre le dépôt d’initiatives populaires et de referendums par le peuple, donc de limiter l’expression des droits populaires – comme si on ne pouvait pas faire confiance aux citoyens de ce pays, ou comme si on pouvait plus vite faire confiance à l’objectivité du Conseil fédéral ou d’Economiesuisse.
La journaliste, à l’instar de beaucoup de ses confrères, n’a pas encore compris, ou ne veut pas comprendre, que le problème de la Suisse est très proche de celui de nombreuses démocraties dans le monde : le grave niveau d’incompétence des Autorités fédérales – du Conseil fédéral en particulier (ceci sans pour autant disculper le Parlement, l’administration fédérale et les partis politiques).
Ces dernières années, le Conseil fédéral a accumulé les erreurs : affaire du clan Kadhafi, affaire Polanski, disparition du secret bancaire, livraison des noms d’employés bancaires suisses à la justice américaine, défense des dossiers bancaires face à la France, l’Allemagne,… Le livre «La fin du secret bancaire» du journaliste Yves Genier (L’Hebdo) en dit long, à juste titre, sur le sujet (voir Le Temps du 1.12.2014). Et rien n’indique que la situation va changer.
Aujourd’hui, les compétences supérieures se dirigent vers le secteur privé, voire certaines universités, ou à l’étranger, mais certainement plus vers la politique et encore moins vers l’administration. Le principe de la cooptation en vigueur dans la plupart des administrations favorise le copinage et donc l’engagement de fonctionnaires qui n’ont pas les compétences nécessaires et suffisantes pour l’exercice de leur fonction, mais qui sauront se soumettre sans réfléchir aux ordres des supérieurs. Et comme on a déjà tendance en Suisse à couper les têtes qui dépassent, l’administration ne va pas faire des étincelles. Et de surcroît, comble de malheur, la situation en France, en Italie, en Espagne, au Portugal, en Grèce,… est telle qu’on se sent à l’abri en Suisse et que l’on ne voit pas venir les problèmes !
Pourtant, les quatre pouvoirs - politique, administratif, judiciaire et médiatique – qui tiennent l’avenir du pays en mains doivent être mis devant leurs responsabilités : favoriser l’accès des compétences aux postes de décision, pratiquer la transparence et arrêter de se soumettre avant même d’avoir cherché à négocier. C’est la seule façon de renforcer la respectabilité de la Confédération au plan international. Il est terminé le temps où, lors d’un voyage aux Etats-Unis, le Président du Conseil National et le Président du Conseil des Etats expliquaient aux sénateurs américains que l’on voulait en Suisse un Gouvernement faible, pour que les cantons puissent se gouverner indépendamment. On a certainement retenu cette leçon à Washington.
Jean-Daniel Clavel, ingénieur, professeur, 1er décembre 2014
[1] Voir à ce propos: Judith Barben, Spin doctors im Bundeshaus.
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