« Ce système d’avilissement et d’oppression couvrit des espaces et des périodes immenses. Le mépris pénétra les mœurs, modela les traditions, la conscience collective et les comportements. »
Bat Ye’or
Il est difficile d’imaginer que l’on haïsse un type d’êtres humains au point de vouloir l’exterminer. Mais plus ardu encore de comprendre cette condition qui protège, subordonne et avilit. Dans ce monde de la dhimmitude, des ordonnances d’éminents juristes ont réglé dans leurs moindres détails l’organisation sacralisée des humiliations.
Enigmatique aussi l’incroyable permanence de ce statut, même allégé. Jean-Pierre Péroncel Hugoz montre que le même mépris ancestral demeure à l’égard des coptes d’Egypte, et que les Frères musulmans l’ont réactivé, pogroms à la clé, dès les années 80 (2). Le visage le plus barbare de cette condition fait un retour en force aujourd’hui dans les groupes djihadistes.
C’est sous la pression européenne et non par un processus interne à l’islam que le sultan ottoman déclare l’égalité de ses sujets à partir de 1839. Ces mesures sont rejetées avec indignation par les populations musulmanes. L’attitude d’une minorité qui fait valoir ses droits provoquera une réaction de stupéfaction puis de colère. Comme le remarque Nathan Weinstock, «l’humiliant se sent humilié».
Loi bénie, religion glorieuse
L’origine la plus profonde et la plus vivace de cette spécificité me semble être cette conviction des musulmans de représenter une espèce supérieure. En 1942, le consul de France à Tanger reçoit ce message : «S’ils (les juifs) violent une seule condition, notre loi bénie permet de verser leur sang et de prendre leurs biens. Notre religion glorieuse ne leur attribue que les marques de l’abaissement et de l’avilissement (…)». Récemment encore, un religieux discourait sur sa «sublime religion ».
Les textes fondateurs de l’islam affermissent cette perception. «Vous êtes la meilleure communauté qu'on ait fait surgir pour les hommes», dit le Coran dans un verset répété à l’infini par ses zélotes. Et encore : «Combattez ceux (…) qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux auxquels le livre fut donné, jusqu'à ce qu'ils donnent le tribut par [leurs] mains, dans le mépris.» (3) Le djihad prôné par le Coran et les Hadiths confirme l’indiscutable prééminence. Des dizaines de versets, par exemple, incitent à soumettre et à tuer, jusqu’à ce que la terre entière soit islamique. Tous les non-musulmans sont promis à l’enfer. Ça n’incite pas au respect, mot tant invoqué à notre égard par les communautés musulmanes.
Le Pacte d’Omar
C’est après la mort supposée du prophète, que le statut de dhimmi a été codifié dans le Pacte d’Omar (2e calife, 634-644). La version la plus durable semble cependant avoir été fixée au IXe siècle. Selon Bat Ye’or, un choc s’est probablement déjà produit lorsque la conviction de cette perfection s’est heurtée à la découverte de sociétés (perse et méditerranéennes) infiniment plus brillantes que leurs conquérants. Les peuples juifs et surtout chrétiens, majoritaires dans l’empire, étaient les détenteurs de savoirs et de savoir-faire que leurs occupants ne possédaient pas et dont dépendaient leurs richesses.
L’empreinte de l’esclavage
Bensoussan attribue l’origine de la dhimmitude et sa permanence à des sociétés basées sur des principes de force et au premier chef la servitude. « Cette relation modelée par l’esclavage ne peut subsister que par l’administration visible de la violence (la bastonnade par exemple). De là l’exposition des corps ou des têtes tranchées des suppliciés. Le rapport maître-esclave est le noyau à partir duquel s’articulent les relations entre le roi et ses sujets. C’est aussi le reflet de la soumission du croyant à Dieu. C’est au cœur de cet imaginaire-là que s’inscrit ad aeternam la place diminuée des juifs. »
Lorsque les juifs sont réellement protégés ou occupent des fonctions de pouvoir, la population éprouve de la jalousie, du ressentiment, voire de la haine. Le principe d’égalité imposé cause des massacres de dhimmis, des réactions sanglantes à la fin du XIXe siècle. D’Irak en Libye, de Syrie au Yémen et au Maroc, la revendication d’égalité est vécue comme une remise en cause d’un ordre immuable, qu’il faut restaurer en ramenant les juifs à la gratitude, à la déférence qu’ils doivent aux musulmans.
Pas de regard critique sur le passé… et le présent
Cette conviction d’adhérer à des textes qui fondent une religion parfaite représente aujourd’hui encore, me semble-t-il, un obstacle majeur à l’assurance d’égalité (aucun pays musulman ne la garantit), au regard critique sur son histoire et sa religion, et à l’ouverture aux autres. Entendre un leader religieux mettre en question des paroles du « Saint Coran » et des maux passés dus à l’islam est impensable. Il n’existe aucun groupement qui annonce le temps de l’exégèse.
Cette certitude d’une supériorité divine explique peut-être aussi pourquoi il semble si naturel aux fidèles des mosquées d’Occident d’imposer à nos sociétés leurs rites et leurs mœurs, fussent-ils du plus grand sexisme et d’un conservatisme échevelé. Ceux qui s’opposent à cette imposition sont tout naturellement considérés comme des «islamophobes» ou des «racistes». De même, il semble évident pour les «vrais croyants» que nos démocraties doivent faire une exception à la liberté d’expression en leur faveur: comment ose-t-on manquer de respect au Prophète et à l’islam en général par des caricatures, des expositions, des films, etc. ? Ou interdire le port d’un vêtement qui symbolise le dramatique statut qu’a réservé cette religion aux femmes ?
Mais un défi se profile: si la religion est parfaite, elle est censée créer des sociétés idéales. Des sociétés apaisées (grâce aux sanctions de la charia) où règne la prospérité. C’est tout le contraire qui se produit. Aujourd’hui, l’ensemble du monde musulman est pris dans l’étau du littéralisme, la plupart des pays arabes sont en faillite, des tyrannies remplacent d’autres tyrannies, et beaucoup de ces sociétés sont en proie à des luttes fratricides. Au point que –quel paradoxe!-des millions de musulmans désirent vivre dans les pays des infidèles.
Les vrais coupables ? Les sociétés d’accueil
Devant le succès de l’Occident, ce complexe de supériorité devrait en prendre un coup. Rien de tel ne se produit : puisque l’islam reste parfait, les échecs sont attribués aux autres. Le regard critique est réservé aux sociétés d’accueil, à leur présent comme à leur passé. Les Frères musulmans, qui contrôlent tant de mosquées, sont particulièrement habiles dans l’art de cultiver la haine de l’Occident.
Comment s’étonner dès lors, dans les pays arabo-musulmans, de l’absence de recherches historiques critiques? On peut comme le fait Bat Ye’or souhaiter «une refonte totale des mentalités, la désacralisation du jihad historique et un examen sans complaisance de l’impérialisme islamique », un examen comparable à celui qu’opère l’Occident. On peut… rêver.
Aujourd’hui, ce sentiment d’être les meilleurs, des adeptes d’une religion parfaite, interdit que le moindre cadre religieux, le plus petit concept novateur soit créé qui préviendrait les horreurs auxquelles nous assistons. Les associations et lieux de culte se taisent, et leurs leaders poussés par la pression médiatique, se contentent d’incantations rassurantes.
Le premier pas devrait être la reconnaissance que le Coran qui comprend tant de préceptes discriminatoires et inhumains n’est pas parfait et n’a pas été écrit par Dieu. Et qu’il est arrivé à Mahomet, comme le montre la biographie officielle de l’islam, de commettre des actes considérés aujourd’hui comme des crimes et même des barbaries.
Obstacle majeur: ce serait faire vaciller le socle sur lequel repose tout l’édifice de cette religion.1) Citation de tête tirée de Bat Ye’or, « Les chrétiens d’Orient entre jihad et dhimmitude »
Mireille Vallette, 22 août 2014
(2) « Le radeau de Mahomet », 1983
(3) Sourate3, verset 110, Sourate 9, verset 29.
(4) Rappelons que l’esclavage, d’abord blanc (jusqu’à la colonisation), et négrier (un millénaire) s’est maintenu jusqu’au XXe siècle. Il est encore d’actualité en Mauritanie, et la condition de la main d’œuvre étrangère des pays pétroliers est proche du servage.
(5) Bat Ye’or, op. cit.
Chère Aude,
Dommage qu’une vision un peu plus étendue que le champ étroit de votre lorgnette focalisée sur l’islam vous contrarie. Vous me donnez cependant raison !
D’abord, en comparant l’islam, que je ne défends absolument pas, au nazisme, vous admettez
que l’être humain peut devenir un loup pour ses semblables, même s’il n’est pas musulman.
En effet, le national-socialisme n’est pas né de l’islam, pas plus d”ailleurs que le silence de Pie XII
devant l’holocauste.
Secondement, en appelant bagatelles et petites guerres de clocher les exactions commises par les chrétiens, vous minimisez des réalités historiques aussi dérangeantes que peu reluisantes, sans toutefois pouvoir les nier. Vous montrez donc par là implicitement que l’ étiquette religieuse dont on se pare, est , comme pour la plupart des gens, la meilleure.
Votre subjectivité vous fait confondre anathème et culpabilisation avec un simple constat de réalités historiques. Je ne vous en veux donc pas d’assimiler mes réflexions aux techniques des musulmans fondamentalistes….
Enfin, votre citation biblique ne saurait mieux tomber, car c’est précisément chaque fois que l’Eglise s’est prise pour César au lieu de lui rendre ce qui lui revient, qu’ont eu lieu des guerres de religion!
Et je doute que vous puissiez nier que, de nos jours encore, c’est en grande partie pour l’intérêt de son institution que l’Eglise, sous le couvert de tel parti ou de personnages influents, s’insinue si habilement dans le monde de la politique .
Monsieur Matile, je ne partage pas vraiment votre point de vue.
Outre l’évidence d’une publicité gratuite de votre livre, il se trouve que le Père Boulad, religieux copte du Caire, parle lui aussi de dhimmitude sans avoir consulté, au préalable, Mme Bat Ye’or. Il en connaît certes un bout sur l’Islam…
Mais encore, je ne vois pas vraiment l’amalgame avec l’Eglise catholique ou autres religions chrétiennes. Vous jetez allègrement l’anathème ci et là, néanmoins, il n’est pas souhaitable de rentrer dans votre jeu culpabilisant au demeurant. Culpabilisation, arme imparable que savent manipuler avec art les musulmans fondamentalistes pour établir leur suprématie..sur les chrétiens. Ils ne parlent pas de pauvres pêcheurs.. mais de soldats d’Allah…Ce qui appartient à Allah..leur appartient en propre. Les biens d’autrui pour autant qu’ils proviennent d’infidèles et contribuables de surcroît sont considérés comme la dîme leur étant due .L’aide sociale dont ils bénéficient n’est pas argent du peuple mais celui d’Allah. (dîme en arabe provient de dhimm -dhimmitude)
Dois-je vous rappeler les paroles du Christ: “Rend à César ce qui appartient à César”…..(sic)
Leur comportement n’a pas de racines strictement religieuses mais tout aussi politiques. Il s’approche par nature au national-socialisme ou nazisme sous plusieurs aspects: le totalitarisme, la conviction de supériorité (race), l’élimination systématique des opposants ou apostats….Voilà le vrai visage de l’Islam.
Je vous accorde la faveur d’une remarque: la déchristianisation de l’Occident. Nonobstant, je pense le contraire quant au proche avenir de la chrétienté. Car une confrontation aussi violente qu’est celle d’un Islam rigoriste et conquérant en terre chrétienne avec son cortège de sauvageries..en fera méditer plus d’un sur ces racines de tradition chrétienne. A plus long terme, la donne peu s’inverser. La perspective d’une guerre de religion en Occident n’est de loin pas à exclure. Les petites guerres de clocher, dont vous semblez friand, sont bagatelles face à une menace autrement plus inquiétante…..
Que retenir de l’article de Mireille Valette ?
Précisons d’abord que les dhimmis sont des citoyens non-musulmans d’un Etat islamique, liés par un “pacte de protection” basé sur la force et la servitude, et appliqué en divers endroits depuis le VIIe siècle de manière plus ou moins drastique. C’est d’ailleurs par imitation du mot servitude que
l’auteure juive Bat Ye’or a inventé le mot “dhimitude”.
Au fond, Mme Valette ne dit rien de très original quand elle déplore que les autorités musulmanes persistent à se considérer comme les représentants d’une espèce supérieure.C’est le propre des religions et plus encore de leurs diverses sectes! Qu’on m’en cite une dont les autorités ne sont pas persuadées qu’elle est la meilleure, le plus vraie, la plus authentique ! C’est pour cette raison que je définis la spiritualité comme ce qui reste quand on a décontaminé la religion !
Pas surprenant donc qu’elle constate qu’il n’existe aucun groupe d’exégèse susceptible d’entreprendre une critique des textes islamiques dépassés pour remettre en cause certains passages du Coran ou les agissements de Mahomet.
En fait, la manière évidemment répréhensible dont les musulmans se comportent avec les juifs ou les chrétiens qu’ils n’ont pas le choix de côtoyer correspond tout à fait à l’intolérance et au mépris que les hommes de toutes latitudes sont capables de monter quand ils sont en position de force.
L’histoire abonde en exemples analogues.
D’abord entre musulmans ! Regardez les chiites irakiens qui massacrent leurs frères sunnites à tour de bras, au nom de leur même Allah !
Et les Serbes, quand ils rêvaient d’une grande Serbie, que faisaient ils pour tenir en laisse les Bosniaques et les Kosovars ? Et les huguenots après la révocation de l’Edit de Nantes, ils n’étaient guère mieux que les coptes en Egypte ! Et c’est pareil en cas de domination politique : le petit Père Staline, croyez-vous qu’il faisait le détail ? Et les Français sous l’occupation allemande, pensez-vous qu’ils rigolaient ?
Mme Valette parle plus loin du succès l’Occident. Quel succès ? Economique, peut-être.
Mais au niveau religieux, la déchristianisation progressive de lOccident, est plus dangereuse que l’Islam! Le christianisme officiel, figé dans des dogmes arbitraires vieux de plusieurs siècles et dépassés par nos connaissances actuelles, court à sa perte, malgré un pape plus habile que son prédécesseur, ce qui n’était pas bien difficile.
Les philosophes du XVIIIe siècle et combien d’autres depuis lors ont tiré la sonnette d’alarme: l’Eglise n’a rien voulu entendre et maintenant, ce sont les gens qui réfléchissent qui deviennent sourds…
A la suite de ce réflexions sur la dhimitude, il me reste à vous proposer la lecture de mon livre:
LE MIROIR DES EGLISES que vous pouvez commander à l’adresse [email protected]
Tél. 032 853 31 55 Un sujet de réflexion que vous ne regretterez pas ? Merci à vous !
Pingback: Mirelle Vallette: 3. Dhimmis: l’empreinte indélébile d’un complexe de supériorité » Savoir ou se faire avoir