Mais où est donc passé l’intérêt général ?

Christian Vanneste
Président du RPF, député honoraire

 

A quelques jours de cette Fête Nationale dont la France est si fière, on peut s’interroger sur l’extraordinaire aptitude de notre pays à se mentir à lui-même. D’abord,  beaucoup de Français se trompent sur ce qu’on célèbre. Pour nombre d’entre eux, nous commémorons le massacre d’un gouverneur et des invalides qui gardaient à la Bastille une poignée de prisonniers qui avaient d’ailleurs toutes les raisons de s’y trouver.  Cette interprétation a le malheur d’identifier la liberté avec sa conquête violente, et de justifier que la France ait du mal à « progresser » par le dialogue et la réforme plutôt que par l’affrontement et la révolution. Cette lecture épique de notre histoire nous habitue à valoriser des jours et des images de violence révolutionnaire, comme le fait le célèbre tableau de Delacroix, « La Liberté guidant le peuple », en oubliant que beaucoup de pays ont évité la gloire et le tumulte et ne s’en portent que mieux. Officiellement, c’est le 14 Juillet 1790 dont le souvenir est rappelé, c’est-à-dire la Fête de la Fédération, ce jour où les Français réconciliés autour de leur roi constitutionnel pouvaient croire la révolution achevée par des réformes raisonnables, comme la fin des privilèges. On peut regretter qu’après un an de « rapides », le cours de notre histoire ne soit pas devenu un long fleuve tranquille.

De même, la France aurait pu compter parmi les grands pays libéraux. De Turgot à Raymond Aron, des réformateurs, comme Benjamin Constant, des économistes comme Say ou Bastiat, des penseurs comme Montesquieu ou Tocqueville ont porté la pensée libérale. La France a préféré Rousseau à Montesquieu, Marx à Tocqueville et Sartre à Aron, comme si le mauvais choix était inscrit dans ses gènes. Les grands moments de notre histoire ont toujours correspondu à l’affirmation de la supériorité morale et politique du collectif sur l’individuel. La fille aînée de l’Eglise, lors de la renaissance capétienne du XIIIe siècle, définit l’idée thomiste du Bien Commun. Le classicisme du XVIIe qui correspond à l’apogée de notre pays invente l’idée d’un Etat centralisé porteur de l’ordre et de la raison et instrument de cette puissance publique qui l’emporte sur les droits et les intérêts privés. La République a continué dans cette voie en soumettant les intérêts particuliers à l’intérêt général, en sacrifiant au besoin les premiers au second. Le préambule à la Constitution de 1946, repris en 1958, est explicite. Tout service public doit être nationalisé. La religion du service public et l’idée que l’Etat a la vocation de se l’approprier sont inscrites dans notre idéologie dominante. L’Etat sauveur, le service public avec son efficacité parfaite due au dévouement de ses agents, font partie de nos illusions nationales.

Lorsque le voile se déchire, on découvre une réalité diamétralement opposée. Le Bien commun, l’intérêt général, le service public, sont souvent d’excellents moyens de satisfaire des intérêts très particuliers. La République française est un vaste plateau de fromages. Parmi ceux qui masquent leurs appétits privés derrière la rhétorique républicaine, deux menteurs institutionnels ont carrément franchi les bornes de la décence commune. Les premiers sont les politiciens qui ont fait du service du Bien Commun une activité professionnelle très rémunératrice. Chaque jour nous apprend que ceux qui prétendent résoudre les problèmes collectifs, sans y parvenir, d’ailleurs, ne négligent en rien leurs intérêts privés, et s’exonèrent des difficultés communes. L’audit réalisé à l’UMP évoque des salaires mirobolants, des emplois confortables pour les proches, des prises en charge inconvenantes qui permettent à un certain nombre de personnes dont le talent nous a échappé de mener un train de vie luxueux, grâce à l’argent des autres, que ce soit celui des généreux donateurs ou celui des contribuables. La critique du PS n’est pas excessive, puisque la situation y est la même.

Christian Vanneste, 10 juillet 2014

Evidemment, il est difficile pour les politiciens qui donnent cette image de faire la leçon aux syndicalistes. L’arme des seconds contre les premiers n’est pas élégante. Lorsque des truands parlent à d’autres truands, le chantage, le rapport de force sont des moyens ordinaires. Ce sont eux qu’emploient les syndicats arc-boutés sur la défense du service public en apparence, mais soucieux avant tout de défendre des situations privilégiées au détriment de la collectivité qui les finance. La grève à la SNCM asphyxie la Corse à l’époque de l’année où celle-ci peut bénéficier de la venue des touristes. Peu importe que les vacanciers préfèrent l’étranger ! C’est le meilleur moment pour faire plier le gouvernement. Tandis que la compagnie privée Corsica Ferries concurrente fonctionne normalement, la SNCM dont le service est souvent de mauvaise qualité, est en déficit, en raison des avantages octroyés à ses salariés et révélés par le rapport Derrien. Par ailleurs, elle est tenue par la Commission Européenne de rembourser à l’Etat une aide illégale de 440 Millions . Son actionnaire privé, minoritaire en fait par rapport à l’Etat et à la CDC, veut se retirer. Pour s’opposer à l’inévitable redressement judiciaire, les marins CGT de la SNCM n’ont pas hésité à saccager les bureaux et à bloquer un bateau d’une autre compagnie. Devant ces méthodes de voyous, cédant au chantage, l’Etat recule et annonce un moratoire. Cette affaire condense le mal français, ce mensonge permanent de notre pays à lui-même.  L’image faussée de la Révolution justifie le recours à la force pour faire valoir de prétendus droits. Au nom du sacro-saint service public, certains syndicats, la CGT le plus souvent, n’hésitent pas à bafouer l’intérêt général, à nuire au Bien Commun pour préserver des situations d’une inégalité criante. L’Etat, dont les responsables n’ont plus la légitimité morale nécessaire, au lieu de résister, tergiverse et cède. Comment pourrait-il faire triompher l’intérêt général quand il est lui-même l’abri de tant d’intérêts particuliers ?

 

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