Les résultats des élections européennes sont maintenant connus. Il va falloir les analyser, les interpréter et tenter de leur donner un sens. Et ce ne sera pas chose facile car chacun va tenter de tordre une réalité complexe et surdéterminée dans le sens qui lui sera le plus favorable.
Le combat des consultations électorales, c'est non seulement le vote, mais l'interprétation que l'on veut faire passer des résultats. C'est le règne du « je vous l'avais bien dit », du « si on m'avait écouté ».
Digression.
Ainsi, Juppé, qui n'est jamais le dernier à proposer de fausses solutions, a tout de suite dit, face à la déroute de l'UMP: « il faut retrouver notre positionnement au Centre afin de tendre la main aux formations centristes ». Ce qui se traduit par l'absurde: « nous avons perdu des parts de marché sur notre droite, abandonnons encore plus ce terrain pour aller là où la place est déjà prise par d'autres ». Ou encore, « la demande des Français est à droite, donc allons sur la gauche »! Ce commentaire à chaud montre que les leaders politiques se soucient peu de représenter les citoyens, ils se soucient de cosmétique, d'apparence. En effet, le propos de Juppé ne signifie qu'une chose: en tendant la main au Centre, nous nous réunifierons et donc nous aurons l'apparence de moins perdre. Ah, politique, quand tu nous tiens! Le mal est profond, le vice qui fait marcher sur la tête est bien ancré.
A ce stade, seules des remarques de bon sens, mais superficielles, sont possibles. Tenter de résumer et caractériser une réalité aussi complexe que la réalité européenne serait trop hasardeux. Et pourrait conduire à proposer des interprétations et donc des suggestions erronées.
Un exemple. L'une des composantes du séisme, c'est le score du Front National français. Il est devenu, prétend l'affiche du Front, « Le Premier Parti de France ».
Souvenez-vous de ce que nous prétendons, la propagande sert à donner un aspect de vérité, sinon au mensonge, du moins à ce qui n'est pas tout à fait vrai. Le score du FN n'en fait pas le premier parti de France. C'est un score circonstanciel, obtenu par de nombreux amalgames, un vote en partie d'adhésion, un vote en partie de sanction, un vote en partie par défaut, bref, un vote ambigu.
L'interprétation de la performance du FN (et de Marine), dépend des objectifs futurs. Marine se projette dans les Présidentielles de 2017, donc elle prétend que le vote transforme, par un coup de baguette magique, le FN en une machine électorale susceptible de la porter en 2017. Ce n'est pas faux, mais c'est prématuré.
Le FN est encore, passez-nous l'expression, elle n'est pas désobligeante, « une boutique » au sens que l'on donne à ce mot traditionnellement à l'extrême-droite. Elle a dépassé le stade de la boutique de JMLP, c'est une grosse boutique, mais une boutique quand même. Et l'enjeu de la période, et de la consultation de ce week-end, c'est cela: la transformation d’« une boutique » en un Parti. Parti avec un grand « p ».
L'enjeu pour le FN, c'est le recrutement, la collecte financière, l'utilisation des fonds en dehors de la boutique familiale, les cadres, la mise en place organisationnelle, les permanents, le territoire à occuper, la formation, etc. Le FN, par exemple, est inexistant à Paris! Sans parler de l'élaboration et de la clarification programmatique.
Ainsi, le Rassemblement Bleu Marine se trouve maintenant confronté à la responsabilité de se transformer en un authentique parti, ce n'est pas la même chose que se prétendre « Premier Parti de France ». Est-ce que le FN a des fondations suffisamment solides pour que l'on puisse construire dessus l'édifice d'un vrai Parti politique, telle est la question posée par... le succès.
Que dire de L'UMP?
La première des choses est de constater.
Alors que le rejet de la gauche et des socialistes est patent, l’UMP, comme lors des élections municipales à Paris, a été incapable de surfer sur la vague de désapprobation.
Ceci prouve qu'en tant que Parti, en tant que machine, la formation n'est pas en ordre de marche. Il y a un problème de casting, comme dans le cas de NKM à Paris, et ce problème de casting révèle, tout en la masquant, une faille profonde aussi bien organisationnelle, qu'idéologique et identitaire. Une faille de la pensée et une faille philosophique. L'UMP est incapable de penser la modernité, le changement, la dialectique du mouvement. Incapable de situer la France concrètement dans le monde global. En ce sens, elle est semblable aux énarques du PS et à l'entourage de Hollande.
Les parrains au sens maffieux de l'UMP sont écartelés. Le groupe des Parrains n'est plus homogène et il veut, ou laisse faire des choses contraires, voire antagoniques. Qu'il s'agisse des positions face à l'Europe, face à l'Allemagne, face au grand large américain ou global, une partie des soutiens de l'UMP est sur les mêmes positions que les kleptos socialistes, donc il est évident que cela est incompatible avec les glissements à droite (?) d'une partie de la clientèle. En suivant la ligne de plus grande pente de l'argent des Parrains, l'UMP se coupe du pays profond. Ils ont beau retirer leur costume trois pièces et faire semblant d'aller sur les marchés, ouvrir leur col de chemise, ils sont loin du peuple, loin des classes moyennes productives qui sont les bastions de leur formation politique. Loin de leur clientèle.
Clientèle, le mot est lâché. Tant que le Parti raisonnera en termes de clientèle, il chutera, s'affaissera. Il lui faut inverser et retourner à la base, cesser de considérer qu'il s'agit d'une clientèle à capter ou à séduire par la peur du FN.
Si l'UMP veut continuer d'exister, ce qui n'est pas acquis, il lui faut faire sa grande mutation. Il lui faut se poser la question de savoir: de quelles couches sociales souhaitons-nous être l'expression. De quel Projet, pour ces couches d'abord, puis pour la France ensuite, souhaitons-nous être porteur? De quel courant historique considérons-nous que nous sommes héritiers? Il faut abandonner l'ambition ENANISTE, symétrique de celle des élites socialistes, de savoir mieux que ceux que l'on représente, de savoir mieux que ceux qui permettent d'exister et même de gagner sa vie.
Une page du métier politique est tournée pour l'UMP.
Son déclin est encore masqué par le rejet des socialistes moribonds et les insuffisances du FN, mais, en tant qu'entreprise humaine, l'UMP est dépassée, touchée par la péremption, l'obsolescence.
Les bricolages idéologiques, les compromis programmatiques et personnels ont fait leur temps. La vétusté et l'inadaptation de l'appareil se donnent à voir. Elles se donnent d'autant plus à voir qu'elles « bénéficient » d'une forte couverture médiatique. L'UMP n'existe encore que parce que le PS existe encore, ils sont les pendants d'une même pièce démonétisée. Le PS, c'est l'arbre qui retient et soutient la corde du pendu UMP. Il y a solidarité profonde, organique, entre ces deux formations issues de bricolages d'une autre époque, et seulement vivifiées par les ambitions personnelles sans cesse renouvelées. Le pire est que, dans ces deux équipes, machines à perdre, il n'y a plus, comme c'est encore le cas au football, d'individualités de génie capables de sauver les matchs. Ils n'ont ni Ronaldo, ni Ibrahimovitch.
La soirée électorale a donné un bien triste spectacle. Les qualificatifs n'ont pas manqué, la besace des banalités était pleine, visiblement bien remplie dès les réunions de Com de la veille ou du matin. Mais quelle misère. Quelle indigence. Qu'avez-vous appris que vous ne sachiez déjà? Tels qu'en eux-mêmes dans leurs insuffisances, dans leurs prétentions manipulatrices, c'est ainsi qu'« ils » sont apparus.
La première des choses, quand on a failli, c'est de concéder, de reconnaître ses responsabilités, ses fautes, ses erreurs. C'est l'étape première, celle de la prise de conscience, d'une part, et de l'aveu face à ceux qui avaient fait confiance, d'autre part. Hélas, la concession, n'est ni dans leur mentalité, ni dans leur culture. La prétention et surtout « la soupe » sont trop déterminantes. Au lieu de concéder, on qualifie, on qualifie par un vocabulaire d'autant plus fort et excessif, qu'il est destiné à masquer la « non-concession ». L'objectif n'est pas changer, mais de crier fort, de proclamer et de déclamer pour, précisément, ne rien changer.
En bonne logique, le Front de Gauche doit se saborder. Il est mort-vivant, tant en raison des erreurs stratégiques de Mélenchon qui n'aurait jamais dû faire voter Hollande aux Présidentielles, et des choix tactiques du PC, qui veut perdurer dans la soupe de son agonie et demeure accroché aux basques de celui qui l'a tué, le PS. Ces gens n'ont aucune analyse de fond, ni marxiste, ni sociologique, ils n'ont rien compris au monde dans lequel nous nous battons, ils radotent, glosent, lisent et relisent les mêmes imbécilités. Ils font du commentaire de texte là où il faudrait ouvrir les yeux et écouter.
Le grand écart face au PS lors des Présidentielles était une faute contre l'intelligence. Mélenchon n'a pas vu que la crise allait cliver. Cliver, entre ceux qui allaient gérer au profit des Dominants, les socio-démos et ceux qui allaient subir et devoir se révolter contre cette gestion inique, les Dominés. Il a été incapable de décortiquer la Crise, de montrer ses enjeux et sa logique. Il est allé du côté des Dominants en tenant un discours de victime et de Dominé.
Les analyses concordent, 45 à 48% des ouvriers ont voté FN! Le Front de Gauche a lâché la proie du monde des classes productives, pour l'ombre des profiteurs, c'est à dire des assistés et des fonctionnaires. Pas assez puissant pour exiger une place au gouvernement, pas assez convaincu pour être convaincant pour faire descendre les gens dans la rue, Mélenchon paie ses erreurs. Le tout couronné par une pirouette de dernière minute sur une recherche d'alliance et front commun avec les écolos durs... Ces ennemis de la production.
Paix à l'âme de Mélenchon et au défunt Front de Gauche.
Valls, fossoyeur de ce qui restait de gauche, est apparu habillé de noir, sinistre et menaçant, comme à son accoutumée. Il n'a pas perdu l'apparence qu'il s'était construite en tant que ministre de l'Intérieur. Il s'est d'emblée déconsidéré par son positionnement Com. On pousse des cris (toujours d'orfraie), puis on assure que l'on ne changera pas de cap, puis on annonce que l'on va poursuivre... les baisses d'impôts... pour les classes moyennes. Puis on pédale dans la choucroute européenne de la croissance et du « on va voir ce que l'on va voir avec les Allemands ». Derrière les yeux noirs et le costume strict, se profile déjà le regard du clown triste.
Hollande impérial, empereur d'un empire de carton-pâte, a laissé tomber, comme une pythie, comme son maître Mitterrand : « des leçons doivent être tirées ».
La formulation fait tiquer, « des » leçons ? Pourquoi pas « la » leçon. Le choix de « des » suggère déjà une ou des entourloupes. Il n'y a qu'une conséquence, qu'une leçon à tirer. C'est « je n'ai plus aucune autre légitimité autre que celle de vous garder contre le chaos ». A partir de maintenant, ma fonction est seule régalienne, maintenir l'unité et la sécurité du pays. A la rigueur de déposer les chrysanthèmes et couper les cordons d'inauguration. J'ai été désavoué à deux reprises dans ma gestion, dans ma conduite des affaires, je dois me replier sur l'aspect régalien de ma fonction, la continuité et l'unité du pays.
La logique de la Constitution, c'est que le Président doit vérifier de temps à autres, que le contrat lié au moment des élections présidentielles tient toujours. La vérification a été faite par trois fois. Par les sondages concordants, par les municipales, par les européennes. Sans compter par le pire de tout, le ralentissement de l'économie.
En 2006, Hollande avait évoqué cette situation de rupture du contrat passé entre le peuple et le Président élu. Il avait d'un revers de main écarté la cohabitation car, avait-il dit, « ce n'est pas démocratique ». Il avait suggéré que, si une crise profonde se produisait et que la rupture était consommée, ce qui est le cas, il démissionnerait, « il quitterait la présidence ». Le quinquennat disait-il est un exercice de cohérence. Comment rétablir cette cohérence? Telle est la question, la seule question au niveau politique, politicien. Démissionner était une gaminerie irresponsable, démissionner dans l'état actuel de la France et face à la situation extérieure serait un crime.
Là où Hollande va dans la bonne direction, c'est quand il dit et fait dire: « cet événement interroge tous les partis qui ont fait le choix de l'Europe ». Oui, c'est la bonne voie. Mais il faut oser aller plus loin, parler clair et fort.
Cet événement pose une question qu'il faut savoir, qu'il faut avoir le courage de mettre en mots:
- le choix de l'Europe est-il un bon choix?
- ne peut-on choisir une autre Europe tout en étant européen?
- la voie de sortie de crise imposée par l'Union, la défense de la monnaie unique, l'alignement atlantiste, cette voie est-elle le choix fondamental des citoyens et de la société française?
Et cette question, ces questions ne doivent pas être posées aux partis, aux syndicats, au MEDEF, à la CFDT, aux sociétés de pensée, aux clubs, aux médias, aux lobbys, aux bailleurs de fonds, non, elle doit être posée aux Français. Sans intermédiaires.
Prétendre, comme on en prend le chemin « nous avons les moyens de changer l'Europe » en s'exonérant de savoir de quelle Europe les Français veulent, est une escroquerie. Avant de changer, il faut faire le point et ensuite savoir où on va.
Il faut sortir de la politique. Revenir au réel, se ressourcer. La réalité est ailleurs et elle est bien plus vaste que la représentation politique.
La France est incohérente à force d'avoir voulu détruire sa cohérence nationale, familiale, sociétale. C'est un pays éclaté, divisé, déchiré, proie des ambitions extérieures, dont une partie de la population constitue le cheval de Troie.
Seule une consultation nationale peut rétablir, générer, une volonté de vivre et de faire ensemble. Rétablir une confiance.
Bruno Bertez, 26 mai 2014
Et vous, qu'en pensez vous ?