L’année 2013 a battu un record, celui de la plus faible fréquentation des salles de cinéma en Suisse. Depuis 1980, première année avec des statistiques précises, le nombre de spectateurs est passé de près de 21 millions à un peu plus de 13 millions et demi en 2013.
Les causes en sont bien connues avec le développement de la télévision, des cassettes, puis des DVD et enfin de la vidéo à la demande sur tous les supports possibles du smartphone au home cinema. Les données que vient de publier l’Office fédéral de la statistique sont une mine de renseignements pour tous les amateurs du septième art.
Un lieu commun est confirmé par les chiffres. Oui, les Romands fréquentent davantage les salles obscures que les Alémaniques. En 1984, nos compatriotes d’Outre-Sarine voyaient 2,5 films par habitant contre 3,7 pour les francophones. En 2013, nous en sommes à 1,6 et 2,1. Mais l’érosion a été plus rapide dans nos cinémas que dans ceux de Suisse alémanique. Les raisons n’en sont pas évidentes alors que la vitalité du cinéma français est éclatante dans le monde francophone et que les grosses productions américaines connaissent le même succès tout autour de la planète.
L’explication se trouve peut-être dans le nombre de cinémas, à distinguer du nombre de salles. Dans le canton de Zurich, on passe de 33 cinémas en 1993 à 34 en en 2013. Dans le canton de Berne, de 51 à 53. Par contre dans le canton de Vaud on chute de 40 à 28 et à Genève de 19 à 12. Bien sûr des Multiplex modernes ont souvent remplacé des salles uniques vétustes, mais le réseau géographique a été maintenu chez les Alémaniques alors qu’en Suisse romande des régions entières sont devenues des déserts cinématographiques.
La statistique la plus intéressante est celle des 500 plus grands succès du cinéma suisse depuis 1976, sans doute la première année où les chiffres des entrées par film ont été comptabilisées. Malgré les journées de Soleure, le festival de Locarno et les discours lénifiants, le Röstigraben reste une dure réalité. Dans les 30 premiers, on ne trouve que trois films romands: Les petites fugues d’Yves Yersin occupe la 5° place, La Dentellière de Claude Goretta est 13° et Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 d’Alain Tanner est à la 26° place. Ces trois films sont tous antérieurs à 1980, alors que quatorze des films alémaniques situés aux 30 premières places sont postérieurs à l’an 2000.
Parmi les films dont le succès a été national, l’incontournable Faiseurs de Suisses de Rolf Lyssy occupe bien sûr la première place; Grounding, le documentaire de Michael Steiner et Tobias Fuerter sur la chute de Swissair est 6° et le frissonnant Höhenfeuer (L’âme sœur en version française) de Fredi Murer se retrouve 10°. Mais sur les 30 premiers films suisses en nombre d’entrées, plus d’une vingtaine ont fait l’objet d’une diffusion confidentielle en Suisse romande, voire n’ont tout simplement pas franchi la Sarine.
La part de marché du cinéma suisse tend d’ailleurs à augmenter ce qui est plutôt réjouissant. Elle était de 3,1% en Suisse alémanique et de 1% en Suisse romande en l’an 2000 et elle est respectivement de 7,5% et de 3,4% en 2013. Nos compatriotes vont donc plus volontiers voir les films suisses que les Romands, mais ce chiffre est assez logique, car les productions les plus importantes sont parfois en dialecte et conçues avant tout pour le public alémanique.
La critique française porte aux nues en ce moment la nouvelle génération romande, les documentaristes comme Fernand Melgar ou Jean-Stéphane Bron et les auteurs de fiction comme Ursula Meier ou Lionel Baier. Cette génération est certes très talentueuse, mais les chiffres des entrées restent bas et le franchissement de la Sarine toujours aussi difficile.
Le génie helvétique / Mais im Bundeshuus de Jean-Stéphane Bron sur le travail en commission au Parlement fédéral a su passer la barrière des langues, mais il n’est que 37° à ce classement des entrées du cinéma suisse. L’enfant d’en haut d’Ursula Meier est 64° malgré son prix à Berlin; La forteresse de Fernand Melgar a provoqué en Suisse romande des débats passionnés sur les requérants d’asile, mais il n’occupe que la 83° place, alors que Vol spécial est 101°. Cleveland contre Wall Street, consacré à la crise financière de 2008, encensé par les médias, bien reçu aux Etats-Unis, est 116° et Les grandes ondes (à l’ouest) de Lionel Baier dont toute la presse française a fait l’éloge voici quelques semaines se retrouve 131°…
Le cinéma a beau être un art visuel, l’espace culturel propre à chaque langue reste un élément déterminant dans la diffusion d’une œuvre. Seul le cinéma américain y échappe. Mais l’histoire de la domination de Hollywood, appuyée sur la victoire dans la deuxième guerre mondiale, la diplomatie des États-Unis et l’amortissement des films sur un immense marché national permettant de les vendre à bas prix à l’étranger nous entraîne loin, très loin du cinéma suisse.
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