Hélas, je ne regarde plus la RTS

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

J’éprouvais autrefois une profonde reconnaissance pour nos autorités médiatiques qui, quotidiennement, nous versaient une large rasade de news ? C'est qu'en Suisse, nous avons une télévision et une radio d'Etat. C'est pour ça que je parle d'autorités médiatiques. Elles prennent soin de nous. Tous les soirs, le peuple se retrouve devant le petit écran comme autrefois devant le crieur public. A l'âge des grandes foules solitaires, des sociétés de masse, des villes de grande solitude,  ça réchauffe. En tout cas moi, ça me réchauffait.

J’étais en effet au courant de ce qui se passait dans le monde. La pensée que la RTS pût disparaître me faisait paniquer. Ne basculerais-je pas, alors, dans un horrible état d'ignorance ? Qu'est-ce qu'un être qui n'est pas tenu au courant de ce qui se passe ici-bas ? Un rien du tout, une loque, un être qui n'a plus de place dans la société. C'est affreux de ne plus avoir de place. Ça m'est arrivé une fois. J'ai tellement souffert que je ne vais pas en parler. Enfin si, un petit peu tout de même pour dire que la RTS, à cette époque, m'a sauvé. Grâce à elle, j'ai pu savoir qui j'étais et où j'allais. 

Dieu merci, je suis donc redevenu attentif, jour après jour, aux malheurs et bonheurs du monde. Que deviendrions-nous sans journaux télévisés ? La RTS me guidait vers la compréhension des choses. Elle était mon gouvernail dans l'obscur tunnel de ma pauvre existence. Au bout de ce tunnel, je voyais de la lumière. Grâce à la RTS, mais oui ! Seules de très mauvaises langues auraient pu suggérer que cette lumière était celle de la locomotive qui allait m’écraser.

Hélas ces mauvaises langues se multipliaient. Il y avait même, disait-on alors, un site internet qui accueillait ces mauvaises langues les bras ouverts. Dans ce site, qu'est-ce qu'il devait y en avoir, des méchants !

Heureusement, Darius Rochebin et Agnès Wutrich, présentateurs des news, planaient, souverains, au-dessus de ces mauvaises langues. Ils nous retenaient au bord du gouffre de l'ignorance et de la désorientation médiatique, surtout Agnès Wutrich qui, avec son regard perçant, nous clouait sur notre fauteuil. Grâce à elle, le monde devenait lisible, je pouvais le comprendre et m’y situer. Hélas, pas toujours. Il y a eu un jour, je l’avoue, où j’ai commencé à douter.

Je me souviens d'une belle skieuse tout épanouie qui, éclaboussant la caméra au terme d'un impressionnant freinage dans une helvétique neige poudreuse, expliquait au journaliste qui l'interviewait, qu'elle venait de connaître un pur bonheur. Le contraste entre elle et les réfugiés syriens que la TV venait de nous montrer était saisissant. In petto je me suis dit que j'étais content d'être en Suisse. Je n'ai pas osé demander à mes voisins si eux aussi étaient contents d'être en Suisse. J'ai appris plus tard qu'ils skiaient tous les dimanches. Ça m'a fait plaisir pour eux. Pas tout le monde peut s'offrir du pur bonheur. En tout cas pas les réfugiés syriens. Quant à moi, je suis resté tout chose, parce que je compris, devant cette belle skieuse, que jamais je ne goûterais à un pur bonheur. Etait-ce parce que je venais de voir des réfugiés syriens ?

Le lendemain, dans sa rasade de news, la RTS avait abandonné les réfugiés syriens pour se concentrer sur la place Maidan. Comme je ne comprenais rien à ce qui se passait en Ukraine, j'avais soif du TJ. Enfin, j'allais comprendre. Au début, je fus rassuré. Rochebin ou Wuthrich, je ne sais plus, parlaient avec tant d'objectivité, de détachement, de souveraineté comme je viens de dire, que je ne doutai point qu’ils allassent m'éclairer. Eh bien non!  Je restai le bec dans l'eau. Je n'arrivais pas à croire que Poutine fût le grand méchant loup responsable de tout le malheur de l'Ukraine. Probablement parce que je réfléchis trop. Quoi qu’il en soit, le sujet traité après Maidan, mit fin à mes oiseuses réflexions.

Notre RTS bien aimée nous expliqua en effet comment nous laver les mains. Des experts et des chercheurs avaient été convoqués qui nous expliquaient comment faire. La RTS les aime beaucoup. Nous devions nous laver soigneusement les mains pour ne pas attraper la grippe. Mais à ce point, j'eus une hallucination. Je crus reconnaître, dans le geste des mains qui, dans l'évier, s'agitaient pour se blanchir, le geste de Ponce-Pilate qui, dégoûté par la difficulté de la situation à laquelle il se trouvait confronté, renonça à porter un jugement en précisant : « Qu'est-ce que la vérité ? » Et j’entendis Agnès ou Darius dirent la même chose !

Ce jour-là, je traversai une grave crise. Je compris que la RTS, comme Ponce-Pilate, ne m'apporterait plus jamais la vérité. Qu'allais- je devenir ? Depuis lors, je pleure. Heureusement que Rochebin et Wuthrich ne me voient pas, j'aurais honte. D’autant que je ne regarde plus le téléjournal. En fait, je ne m’intéresse plus à ce qui se passe dans le monde. Parfois, tout de même, je regarde de belles skieuses qui parlent de pur bonheur dans la poudreuse mais même ça, c’est devenu pénible, vu que, comme j’ai dit, elles esquissent les contours d’un royaume où je n’arriverai jamais. Normal d’ailleurs, puisque je ne sais pas skier.

Jan Marejko, 9 mai 2014

2 commentaires

  1. Posté par JeanDa le

    Pareil pour moi :
    RTS = Informations partielles, tronquées, biaisées, et en plus on nous dit quelle est la bonne opinion à avoir face aux évènements.
    Redevance “à la carte” ? OUI bien sûr !!! Pour ma part, je ne cocherai aucune des options, mis à part celle en face de “Ne plus me redemander”

  2. Posté par Alticor le

    Je vous rejoins à 100% Monsieur Marejko, vous dites êtres de ceux qui réfléchissez trop ? Ou peut-être es ce l’enfumage médiatique qui ne fonctionne plus comme avant ? Il semble que nous vivons à l’air de la ré information, on peut librement chercher de l’info crédible sur le net (pour le moment), l’exemple des groupes dissidents en Europe ne peut laisser indifférents que les cadavres aveugle, quand un Humoriste trublion affiche plus d’audience sur YouTube que le service public français, il y a coup sur le feu à la maison, et notre RTS ne fait plus illusions non plus, l’exemple des pitoyables débats dirigé dans l’émission infrarouge me fait réfléchir à une alternative pour une redevance a la carte !

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