Impressions d’un périple en Iran : Zadig ou la destinée.

Dominique Baettig
Dominique Baettig
Médecin, Ancien Conseiller national

Histoire orientale.
Comme le Zadig de Voltaire, ce voyage fait découvrir mille différences là où le conformisme des préjugés ne voyait qu’uniformité.

 

Les medias spécialisés dans le démontage agressif, le pseudo-scandale et la mentalité « people » ont voulu se « faire » les 6 politiciens UDC qui avaient organisé un voyage en Iran entre le 16 et le 26 avril 2014. Ils ont eu tort. Car la réalité est beaucoup plus complexe que la propagande « occidentale » ne voudrait le faire croire. Et ce voyage a été riche d’observations et de prise de conscience.

Non aux sanctions de guerre économique

Depuis l’élection du Président pragmatique, Rohani, en 2013, les sanctions bancaires et technologiques imposées à l’Iran sont en voie d’allégement négocié, avec le concept de la flexibilité héroïque. La population, surtout les pauvres des campagnes et des mégalopoles, soumise à des privations et des restrictions, montre une certaine lassitude. Les sanctions sont aussi une arme hypocrite, à double tranchant. Il y a même des profiteurs et des spécialistes rusés de leur contournement, dans leur seul intérêt. D’une autre part, comme je l’avais déjà entendu et constaté lors d’un voyage en Abkhazie, les sanctions peuvent être un aiguillon efficace pour se développer contre l’adversité, faire montre de débrouillardise, d’inventivité et atteindre l’autosuffisance qui semble augmenter en Iran, dans des domaines comme l’industrie d’armement et l’équipement militaire défensif, l’agriculture, l’électricité, la fabrication de médicaments, l’industrie automobile. Dans le domaine du nucléaire civil, seul revendiqué, l’Iran qui table sûrement sur un épuisement à moyen terme des ressources pétrolières et gazières, dépend de l’étranger pour le traitement de l’uranium. Les négociations portent actuellement sur ce seul sujet qui pourrait être moins important sur le rôle symbolique que d’autres thèmes. L’Iran tire de la fierté de son histoire millénaire, de son rôle incontournable de puissance régionale, de sa révolution en 1979 qui a abouti à la nationalisation de l’industrie du pétrole et du gaz. Elle est fière de sa capacité de résistance aux sanctions injustes de diabolisation et de son rôle pour la défense dans le monde des victimes, des opprimés et des sans droits, comme le peuple palestinien. Le traumatisme de la guerre d’agression (1980 à 1988) imposée par le régime irakien sur incitation permissive des Etats-Unis et de ses alliés reste très fort. Les iraniens ont payé un prix fort à cette guerre (500000 morts et disparus, 1300000 blessés et mutilés) opportuniste, conçue comme une sanction à la révolution, et qui a placé le clergé chiite dans une position de légitimité résistante. Les dirigeants iraniens sont tous issus des cadres combattants de cette époque, vivent dans la hantise d’une guerre (économique aussi) imposée de l’extérieur. Ils sont les représentants des « martyrs », enfants y compris, qui se sont sacrifiés pour sauver leur nation, leur révolution identitaire et sociale, leur souveraineté nationale. Les occidentaux n’obtiendront pas d’avancée dans leurs dossiers tant qu’ils n’auront pas admis ce fonctionnement psychologique et identitaire qui fait que le peuple iranien reste solidaire avec ses autorités légitimes, malgré les sanctions et les encoubles imposées de manière mesquine et injuste. Les sanctions, comme celles qui ont été imposées à l’Irak à l’époque, ne servent qu’à amener le chaos, à disqualifier l’Etat, mais n’amènent pas de changement politique démocratique et sain. Il suffit de regarder ce qui se passe dans les Etats « faillis » en Somalie, en Irak, en Libye, pour voir les vrais motifs de démontage d’Etats souverains afin d’obtenir un terreau favorable à la globalisation de l’Economie et de l’installation des compagnies bancaires supranationales.

Les iraniens admirent la Suisse et son système démocratique direct, sa neutralité et son bon sens. Nous avons aussi beaucoup à apprendre de la manière de résister aux sanctions économiques, dont l’UE et les Etats-Unis nous menacent régulièrement pour nous mettre au pas. L’Iran fait partie du Mouvement des non-alignés, dont elle défend activement les principes fondateurs : souveraineté nationale, indépendance contre l’occupation étrangère, le colonialisme, l’arrogance des puissances impérialistes. Ceci est tout à fait sympathique et les sanctions imposées de l’extérieur suscitent de la compassion. La Suisse, nation neutre, théoriquement, ( mais effectivement bien moins avec D. Burkhalter !) ne devrait pas s’aligner sur des mesures de guerre économique et des sanctions qui pénalisent notre économie, pénalisent la population pauvre de l’Iran, alors qu’elles sont contournées par des profiteurs et pas vraiment appliquées pour les intérêts économiques des puissances de l’Arrogance.

Un modèle de défense sur les principes « asymétriques »

A cause des sanctions et de la guerre avec l’Irak, qui s’est terminé sur le modèle du « pat », l’Iran n’a pas des moyens militaires technologiques ultra-modernes. Elle a développé par contre un modèle d’armée qui repose aussi sur une partie de la population qui peut être mobilisée rapidement, Bassidj : force d’intervention et de mobilisation rapide. Cette force repose sur les principes de la résistance asymétrique face à un agresseur technologiquement et numériquement supérieur. Une telle expérience pourrait, pourquoi pas, être utile à la Suisse.

Visite dans le monde réel.

A vrai dire, l’effet des sanctions n’est pas vraiment visible. Le Coca-Cola est omniprésent, les I-phones, les voitures luxueuses, l’accès aux chaînes de TV privées aussi. La population est sympathique, cherche le contact et il n’y a pas de harcèlement à vendre, comme en Tunisie ou en Turquie. L’habillement est coloré, de nombreuses femmes ne couvrant que l’arrière de leurs cheveux. Nous avons même visité une discothèque où se côtoyaient, sans danser et boire de l’alcool, des jeunes des deux sexes. Les valeurs morales islamiques, la décence apparaissent comme plus librement intériorisées, avec souplesse, sans être appliquées au pied de la lettre, comme pendant la révolution et la guerre. Les femmes, 60% des universitaires, sont omniprésentes dans la société iranienne dont elles représentent le vrai pouvoir. Elles ne se comportent pas en victimes et n’évitent pas le regard. La décence, le refus du matérialisme sont des concepts qui semblent bien réels dans ce pays qui pourrait bien réussir la synthèse des valeurs spirituelles, du tiers-mondisme, de la modernité technologique et de la souveraineté nationale, avec un petit zeste d’ultralibéralisme économique. L’Iran est à découvrir et ses valeurs à respecter. Comme le Zadig de Voltaire, ce voyage fait découvrir mille différences là où le conformisme des préjugés ne voyait qu’uniformité.

Dominique Baettig, 4 mai 2014

 

2 commentaires

  1. Posté par john Simpson le

    Très intéressante description. ça donne envie d’aller en Iran et de découvrir son peuple!

  2. Posté par Stephane Montabert le

    “Les sanctions (…) n’amènent pas de changement politique démocratique et sain. Il suffit de regarder ce qui se passe dans les Etats « faillis » en Somalie, en Irak, en Libye, pour voir les vrais motifs de démontage d’Etats souverains afin d’obtenir un terreau favorable à la globalisation de l’Economie et de l’installation des compagnies bancaires supranationales.”

    Ah pitié, M. Baettig se sent encore obligé de nous livrer les émanations de sa complotite aiguë! Qu’on nous explique en quoi l’effondrement de la Somalie ou de la Libye serait nécessaire ou même utile à des compagnies bancaires (“supranationales” évidemment, le terme connoté qui attend toute PME qui a l’audace de sortir des frontières…)

    “Les iraniens admirent la Suisse et son système démocratique direct, sa neutralité et son bon sens.”

    Bien sûr, comme le vote contre les minarets… Pensons à la liberté de religion inscrite dans la constitution ou le droit d’initiative ou de référendum… On croit très fort à leur prochaine adoption par l’Iran… Une chose est sûre, les Iraniens sont près à mentir beaucoup pour plaire à leurs invités, lesquels gobent le tout avec empressement. Le débat n’a visiblement pas porté sur les institutions iraniennes comme le Conseil de la Révolution Islamique. La démocratie, on l’admire de loin!

    L’Iran est un régime totalitaire bâti sur la folie religieuse islamique, cimenté par le nationalisme et la paranoïa, et accessoirement en train de préparer une apocalypse nucléaire. Mais bon, pour M. Baettig qui n’a pas beaucoup su percevoir les innombrables commissaires politiques surveillant tout le monde, les valeurs morales islamiques “apparaissent comme plus librement intériorisées, avec souplesse…” Tout va bien!

    Mme Calmy-Rey avait défrayé la chronique en portant ostensiblement le voile en Iran. Mais n’est-il pas pire comme ici de porter un voile intellectuel?

    Aller si loin pour comprendre si peu, quelle déception.

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