Entre la mondialisation et la prolétarisation

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

C'est avec ma femme que tout a commencé. Comme Eve dans le Jardin d'Eden, elle a pourri ma vie. Pas tout de suite, c'est vrai, mais quand même. Elle a commencé avec de douces insinuations, me suggérant qu'une cravate, ça m'allait bien. Bon, me suis-je dit, je vais lui faire plaisir. J'ai mis une cravate. Ensuite, elle a fait d'autres insinuations, comme aller chez le coiffeur, mettre de l'after-shave et, finalement, un costume trois pièces.

Je me suis pris au jeu. J'avais fière allure dans mon costume trois pièces. Je ronronnais. J'avais l'air de quelqu'un d'important, d'un oligarque, surtout quand je me promenais dans les rues de Genève. J’avais une identité, je n'étais plus un être insignifiant perdu dans une foule solitaire, j'appartenais à une classe supérieure, celle qui est mondialisée aujourd'hui, bref, j’existais. Lorsque j'entrais dans les restaurants, les gens se retournaient, surtout les femmes. Tant d’yeux langoureux !  Alors, j'ai alors péché, beaucoup péché. Mais pas longtemps, parce que je ne pouvais pas garder mon costume trois pièces jusqu'au bout.

Un jour, dans une rue, pas à Genève, j'ai passé près d'un groupe de SDF. Je les ai entendus faire un commentaire. Regarde ce petit bourgeois, cette misérable grenouille qui se prend pour un bœuf ! » Ça m'a fait très mal. J'ai eu l'impression que je perdais mon identité, que je n'avais plus cette aura mondialiste qui faisait croire aux passants  que j'avais un jet privé, une somptueuse villa, une Ferrari. Rentré chez moi, j'ai enlevé mon costume trois pièces. Tout nu devant mon miroir, je me suis senti moins que rien, dépouillé de tout. Le jet privé, c'était fini. Je n'appartenais plus à une élite planétaire, je n’existais plus. Intolérable ! Il fallait tout de même bien que je fusse quelqu'un, que je parusse avoir des trésors cachés ! Mais comment faire ? Je ne voulais pas avoir l'air d'une grenouille avec mon costume trois pièces.

Je me suis décidé pour des jeans élimés et un T-shirt taché. Comme un prolo! Dès  que je suis sorti dans la rue, je me suis senti beaucoup mieux. Je me fondais dans la masse, vu que tout le monde avait le même accoutrement. C'était comme si nous portions un uniforme, sauf que nous ne marchions pas au pas. Je n’avais plus besoin de faire attention à mon apparence, de vérifier que j'avais bien noué ma cravate, de m'assurer que j’avais tiré la fermeture éclair de ma braguette. C'était extra de chalouper, anonyme, dans la masse des travailleurs, des gens simples, pas cravatés.

Hélas, un affreux soupçon s'est emparé de moi. Si je suis comme tout le monde et n'importe qui, existai-je encore ? Soudainement je me sentis encore plus nul que devant mon miroir. Si nul, si insignifiant, que j’eus l’impression que je n’existais plus, que j’occupais un point infinitésimal. Je parlai de ce hideux sentiment à un ami psychiatre. Il m'expliqua tout. Je souffrais du syndrome de Cotard. On gonfle infiniment, jusqu'à occuper tout l'univers, et ensuite on dégonfle tellement qu'on est réduit à rien. C’était très clair. Dans ma phase cravate, j’avais gonflé en me mondialisant. Dans ma phase prolo j’étais redevenu poussière.

J'ai demandé à mon ami, le psychiatre donc, s’il pouvait me guérir. Tout de suite, il m’a dit qu'il allait être franc avec moi. Je me suis mis à trembler, parce que quand un médecin vous dit ça... Et puis non. Il m'a simplement dit qu'il n'y avait rien à faire.

Je suis rentré chez moi, troublé. Qu'allais-je faire pour exister enfin ? Avec une cravate, j’étais une grenouille et avec mes jeans, un prolo insignifiant. Ma femme me regardait d’un drôle d’air, avec ma cravate dans ses mains. Brusquement, j’écartai ma femme et ma cravate pour redevenir poussière, pour rejoindre les prolétaires, pour être d’eux solidaire. J’allais souffrir d’être insignifiant, de n’être rien, mais quand on n’est rien, on peut espérer devenir quelque chose, grossir un peu.

Voilà ce que j’aime chez les gens de gauche. Ils me donnent le sentiment que je vais grossir un peu, alors même que je me ratatine dans l’insignifiance.

Jan Marejko, 23 avril 2014

Un commentaire

  1. Posté par Sergio Morosoli le

    Cher Jan,
    Soit vous êtes un imposteur ou alors vous vous moquez. Vous ne sauriez être journaliste encore moins philosophe ou écrivain car vous n’êtes pas de gauche. La culture, l’écologie l’humour et même le simple bon sens, c’est la gauche. Un costard dites-vous ? Les plus beaux sont prolétaires. Regardez la coupe d’un complet Berset et comparez avec la dégaine d’un Schneider-Machin ou d’un Blocher. Ah! quand la paille vous colle aux semelles. Le bon goût c’est rare, donc assurément à gauche. Nous parlons ici de classe…et de savoir. De quoi aurait l’air Fabius en T-shirt crasseux ? Avec un jeans en plus…

Et vous, qu'en pensez vous ?

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