Lorsque le bavardage politicien abuse d’un mot, il faut immédiatement mettre en éveil le soupçon que l’abus du mot cache l’absence de la réalité qu’il désigne. Le nom de la rose peut dissimuler la disparition de la chose, le mot de transparence servir d’écran au brouillard qui enveloppe le microcosme politique. L’animal qui est le plus proche des politiciens est la seiche. Cette bête n’est pas courageuse. Elle préfère la fuite au combat. Mais pour voiler sa retraite, elle jette son encre. C’est ainsi que le grand public est tenu à l’écart des jeux politiques. Chacun des vecteurs de l’information se retourne plus ou moins volontairement pour devenir un écran de fumée qui épaissit le mystère.
Dans une démocratie représentative, ce sont les parlementaires qui doivent servir de relais entre le citoyen et le pouvoir, informer le second des souhaits et des frustrations du premier, et éclairer le premier sur les intentions et les décisions du second. Dans notre pays, le pouvoir législatif est aux ordres, sauf dans le cas devenu très improbable d’une cohabitation. Même alors, le pouvoir est à Matignon au lieu de l’Elysée, jamais à l’Assemblée, ni au Sénat. Les conseillers, les visiteurs du soir, les antichambres jouissent d’une « écoute » plus importante que les élus du peuple et les chambres où ils siègent. Quelle est la légitimité d’un BHL ? Quel rôle a-t-il joué dans l’intervention française en Libye ? Quelle a été la nature des relations entre le dictateur libyen et le Président de la République ? La même question se pose à propos de Bernard Tapie. L’affaire Buisson nous a au moins appris que ni le Président ni ses conseillers ne nourrissent d’estime pour les Ministres de la République. Mais cette révélation a été faite par qui et dans quelle intention ? L’Assemblée veut évidemment sauver les apparences. Elle sort son sabre de bois : la Commission d’Enquête. C’est risible. Cahuzac n’a rien dit à ses anciens collègues en se réfugiant derrière le risque d’interférence avec la procédure judiciaire. Une mascarade, aux dires d’un député de l’opposition. Et quand l’Assemblée enquête sur la Justice et que les parlementaires se déguisent en juges pour tirer les conclusions de la catastrophe judiciaire d’Outreau, qu’en sort-il ? Une réforme typique des majorités de « droite »: quelques mesurettes sur la détention provisoire, la garde à vue et la collégialité des magistrats, sans s’assurer des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre. Pas de réforme structurelle de la procédure. Certains ont même contesté cette Commission qui aurait porté atteinte à la séparation des pouvoirs. Comme s’il n’appartenait pas au pouvoir législatif de voter les lois qui organisent l’autorité judiciaire et définissent les buts et les modalités de son action ! Il est vrai que beaucoup d’élus ont toutes les raisons de craindre et de respecter les magistrats… La Justice est d’ailleurs un autre vecteur de la transparence. C’est à elle qu’il appartient de faire la lumière. Le ballet de robes rouges et noires autour de l’ancien Président de la République a au contraire créé un grand trouble dans l’opinion publique. Celle-ci passe d’un jour à l’autre du noir soupçon sur un pouvoir, qui semble décidément avoir été bien sulfureux, à la sympathie pour la victime d’un acharnement politico-judiciaire révélateur d’une collusion entre l’exécutif et certains magistrats orientés. Le résultat est évident : le doute s’accroît, la distance augmente entre le bon peuple et les pouvoirs, qui règnent, entre eux au-delà du nuage de fumée. La Justice réputée indépendante doit faire son travail, notamment poursuivre les délinquants quels qu’ils soient. Pour autant, elle doit respecter le sanctuaire du secret professionnel de l’avocat, lequel appartient aux droits constitutionnels de la Défense. Mais le secret de la défense n’est pas comme celui du médecin. Le malade est victime. La personne poursuivie est éventuellement coupable, et son avocat peut-être son complice, comme cela se voit dans les organisations criminelles. En sanctuarisant l’avocat, c’est peut-être le crime qu’on sacralise… Le bon sens suggère qu’on ne puisse « écouter » un avocat que dans la mesure où sa complicité ou sa culpabilité seraient étayées auparavant. Mais le bon sens ne croit pas trop à la désincarnation des magistrats. Le Parquet informe bien sûr le Ministre et les auteurs du Mur des Cons auront du mal à faire croire à leur impartialité. Les deux camps tournent résolument le dos au bon sens. Faut-il préférer une injustice à un désordre ? Le débat idéologique entre la justice et la liberté paraît seulement avoir inversé les rôles entre la droite et la gauche dans un match dont les spectateurs se désintéressent parce qu’ils n’y comprennent plus rien. Il reste un espoir : c’est la presse, grâce à la liberté dont elle jouit, qui doit faire la clarté sur ces affaires qui obscurcissent l’horizon politique. Mais là encore, la liberté gagne-t-elle lorsque la transparence progresse ou quand le secret de la vie privée ou celui de l’instruction sont respectés ? C’est d’ailleurs un troisième secret qui permet de violer les deux autres : le secret des sources du journaliste. Entre l’intrusion dans l’intimité par souci de vendre et le devoir d’informer les électeurs sur la manière dont vivent les élus avec les moyens qu’ils leur ont donnés, il n’y a guère de place pour la morale. Entre l’enquête sur un malfaiteur et la complicité avec lui pour ne pas l’avoir dénoncé, la déontologie attribue-t-elle le privilège d’être au-dessus des lois pour le plus grand bénéfice d’une carrière ? L’implication politique, le copinage, la vie de couple parfois tissent des réseaux de collusion où le souci de la vérité n’apparaît guère. La pensée unique et le politiquement correct tissent les décors à la mode qui vont cacher les coulisses au public. Les journalistes s’accommodent fort bien des restrictions de la loi sur la liberté de la presse qui sont en harmonie avec le tableau. Ils s’en font même parfois les zélateurs dans certaines chasses aux sorcières. L’encre avec laquelle les journalistes écrivaient le mot liberté est depuis longtemps sèche. Pour un marin, la politique française, c’est décidément le pot-au-noir. Christian Vanneste, le 11 mars 2014 |
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