La seule façon d’échapper à la fascination que ces ombres exercent sur nous (comme le fait quotidiennement le journal télévisé), c’est de se convertir, de détourner son regard de ces ombres. Ensuite, mais seulement ensuite, on peut retourner dans la caverne et allumer sa télévision. Après cette conversion, le petit écran ne coupe plus du monde. Seul problème : lorsqu’il est revenu dans la caverne pour expliquer que les ombres n’étaient que des ombres, Socrate a été tué. Les montreurs d’ombre n’aiment pas être montrés, désignés, repérés.
Qu'est-ce que l'épistémologie ? C'est très simple. Quand nous nous interrogeons sur la manière dont nous connaissons quelque chose, nous entrons dans le domaine de l’épistémologie. Par exemple, comment est-ce que je connais la nature ? Est-ce que je la connais par la lecture de mythes me parlant de la course du soleil ou par des théories scientifiques sur la gravitation universelle ? On pourrait croire que la réponse va de soi et nous entendons déjà des voix s'exclamer : "Bien sûr que la science est la seule méthode pour connaître la nature !" En fait, c'est loin d'être certain. Lorsqu'on interroge des élèves, on s'aperçoit qu'ils ne savent pas ce qu'est un solstice, l'un des plus impressionnants phénomènes de la nature. Ils sont devenus presque aveugles au cours des astres en raison des théories scientifiques qu'ils ont reçue dans leurs cours de physique. En nous demandant si ce ne serait pas le mythe plutôt que la physique moderne qui nous permet de connaître la nature, nous posons une question légitime. Nous posons une question d'épistémologie. Nous essayons de savoir comment nous pouvons mieux connaître un objet, dans ce cas, la nature. Plus simplement encore : quand est-ce que notre connaissance nous permet de percevoir la présence du soleil et de ses mouvements, des oiseaux dans le ciel, des arbres sur la terre ?
Cette question est plus que jamais d'actualité dans le déferlement d'informations auquel nous sommes confrontés et qui provoque en nous un désarroi épistémologique. Il se manifeste, ce désarroi, lorsque nous nous demandons si ces informations nous rapprochent de la réalité. Nous sentons bien que non et que, comme des élèves immergés dans la physique moderne, nous perdons le contact avec le monde, collés que nous sommes à un écran d'informations. Devrions-nous alors nous débarrasser de toute information ? Absurde ! Alors que faut-il penser ? Nous ne savons pas trop. Nous sommes, véritablement, dans un désarroi épistémologique.
Certains croient qu'avec plus de vérification des sources ou plus de concurrence entre les médias, nous pourrions sortir de ce désarroi. C'est en grande partie une illusion. En fait, la question n'est pas là. Elle est dans le rapport entre information et présence du monde. Un tsunami d'informations fait écran entre le monde et moi, il cache les êtres et les choses, il me coupe du réel. A quoi me serviraient des sources vérifiées ou concurrentielles si je ne suis plus dans le monde parce que je suis perdu dans un brouillard informationnel ? Dans un tel brouillard, la question de savoir si les informations que je reçois sur le monde sont vraies ou fausses n'a plus de sens, tout simplement parce qu'il n'y a plus de monde. Si le soleil, les oiseaux et les arbres ne sont plus présents pour moi, des informations sur eux, qu'elles soient justes ou fausses, ne servent à rien. Pour parler comme un philosophe encore un peu connu, Heidegger, l'être s'est évanoui. Il n'y a plus rien. A quoi bon être informé sur le rien ?
Platon nous instruit encore mieux que Heidegger. Pour lui, dans cette sombre caverne qu'est notre existence, il n'y a pas rien, le néant, mais des ombres que nous prenons pour des réalités. La seule façon d'échapper à la fascination que ces ombres exercent sur nous (comme le fait quotidiennement le journal télévisé), c'est de se convertir, de détourner son regard de ces ombres. Ensuite, mais seulement ensuite, on peut retourner dans la caverne et allumer sa télévision. Après cette conversion, le petit écran ne coupe plus du monde. Seul problème : lorsqu'il est revenu dans la caverne pour expliquer que les ombres n’étaient que des ombres, Socrate a été tué. Les montreurs d'ombre n'aiment pas être montrés, désignés, repérés.
Jan Marejko, 8 janvier 2014
Et vous, qu'en pensez vous ?