Le démantèlement des centrales nucléaires a fait l’objet d’un nouvel article dans l’Hebdo du 19.12.2013. Son titre « Un démantèlement non maîtrisé », il est signé de Philippe Le Bé. Dans le prolongement du documentaire d’Arte du 21.05.2013 (voir l’article de Dominique Grenêche http://www.lesobservateurs.ch/2013/05/31/arte-desinforme-sur-le-demantelement-des-centrales-nucleaires/), de l’article du Temps du 29.07.2013 (voir http://www.lesobservateurs.ch/2013/07/31/nucleaire/), et de beaucoup d’autres articles, l’investigation journalistique se limite à répéter les mêmes clichés : le démantèlement ne pose que des problèmes non résolus de coûts et de faisabilité.
Des clichés loin de la réalité
Ce qui a été dit dans les deux articles cités des Observateurs reste valable pour l’article de l’Hebdo. Le démantèlement des centrales nucléaires et la gestion des déchets nucléaire sont, en Suisse particulièrement maîtrisé, techniquement et financièrement. Toutes les opérations qui resteront à réaliser après la mise en service des centrales nucléaires font l’objet de directives et d’un programme soigneusement mis en oeuvre sous la responsabilité de l’Office fédéral de l’énergie OFEN. Les coûts sont réévalués périodiquement par une commission paritaire Confédération – Producteurs d’électricité nucléaire. Les montants à provisionner sont placés dans un fonds géré par la Confédération. Il y a bien sûr des incertitudes, mais elles ne sont pas liées à une supposée malédiction du nucléaire ou à une prétendue irresponsabilité des exploitants de centrales. Elles sont dues à des éléments inhérents à tous gros travaux techniques dont il s’agit de fixer les montants 20 ans au moins à l’avance. S’ajoute aussi le risque de raccourcissement de la durée pendant laquelle les fonds vont être alimentés par mise hors service prématurée – et politique - des centrales nucléaires. Ceci a incité d’ailleurs Doris Leuthard à lancer une révision de l’ordonnance concernée. Cela a déclenché une avalanche de gros titres dans la plupart des médias annonçant des menaces graves pour le porte-monnaie des Suisses. Il n’a pas été relevé qu’aucune technologie et aucune activité industrielle ne fait l’objet de précautions si poussées en matière de travaux et de financement du démantèlement et de la gestion des déchets. Et le fait de renforcer encore ces dispositions n’est pas négatif en soi.
L’article de l’Hebdo reprend tous les clichés habituels et ignore largement les informations accessibles à tous sur Internet de la part de la Confédération et des exploitants de centrale.
Deux experts sont abondamment sollicités : Walter Wildi et Marcos Buser. Ils ne sont pas particulièrement connus pour leurs compétences en matière de démolition de structures contaminées. Ils ont surtout défrayé la chronique en se profilant comme experts « contestataires » et en démissionnant avec éclat de commissions d’experts dont ils étaient membres en accusant de copinage les Autorités suisses de sécurité». Les Observateurs en ont parlé sous http://www.lesobservateurs.ch/2012/07/23/nucleaire-suisse-denigrement-et-desinformation-des-medias/ et sous http://www.lesobservateurs.ch/2012/07/27/surete-nucleaire-et-rumeurs-de-copinage-desinformation-suite/ . Ces rumeurs de copinage ont fait l’objet d’une enquête de la Confédération : elles se sont révélées infondées. Mais elles ont contribué à occulter les résultats de l’expertise post-Fukushima faite par l’Inspectorat de sécurité nucléaire sur les centrales suisses : au lieu d’apprendre que les événements de Fukushima révélaient l’insuffisance des équipements de sécurité nucléaire de ces réacteurs, on a surtout fait comprendre à l’opinion publique que les Autorités de sécurité n’étaient pas dignes de confiance.
Le silence coupable des responsables
Voilà pour le jeu d’experts comme MM. Walter Wildi et Marcos Buser. Mais il faut ici soulever une autre question de fond. La gestion du démantèlement et des déchets nucléaires est sous la responsabilité directe de la Confédération et des exploitants de centrales nucléaire. Comment se fait-il que l’Hebdo ne s’adresse à aucun des spécialistes impliqués et à aucun membre de la commission paritaire ad hoc ? Mais surtout, et plus grave : comment se fait-il que lorsque la désinformation est si manifeste, aucun des partenaires impliqués ne réagisse par un démenti officiel ? Dans une telle situation, il est clair que le citoyen peut être manipulé sans qu’il puisse s’en rendre compte. Une analogie pour mieux comprendre : imaginons que des individus lancent une (fausse) alarme selon laquelle le Sida pourrait se transmettre comme la grippe par simple promiscuité dans les transports publics. Il est très clair que dans une telle situation on verrait l’Office fédéral de la santé publique, et les médecins cantonaux, monter avec raison aux barricades pour dire haut et fort 1) que cela est faux et 2) qu’il est irresponsable de déclencher une panique qui peut présenter ses propres dangers. La Confédération est-elle si engagée dans sa politique anti-nucléaire qu’elle en vient à accepter ce genre de désinformation comme utile politiquement à sa stratégie ? Les exploitants de centrales nucléaires n’ont-ils pas à cœur de défendre leur honneur professionnel et celui de leurs collaborateurs ? Ou sont-ils complètement inféodés aux élus politiques et hostiles au nucléaire qui composent une part influente de leurs conseils d’administration ? En démocratie, le silence des détenteurs de connaissances et de responsabilités est aussi grave que la désinformation de certains médias.
Le nucléaire mériterait d’être désigné « zone sinistrée de l’information », en analogie avec les zones sinistrées par des intempéries.
Une lueur d’espoir dans l’information nucléaire.
Des journalistes courageux osent remonter le courant du prêt à penser dominant en matière de politique énergétique comme Peter Morf de Finanz und Witschaft dans son dernier article (en allemand) intitulé « Les bases de la stratégie énergétique se dégradent encore ». À lire sur http://www.fuw.ch/article/basis-der-energiestrategie-brockelt-weiter/
Jean-François Dupont, 29 décembre 2013
Et vous, qu'en pensez vous ?