Chronique publiée dans le Nouvelliste – Vendredi 13.12.13
En assistant à l’océan mondial de réactions à la mort de Nelson Mandela, je me suis demandé un moment si je n’étais pas un monstre. En politique, les figures du bien ne m’attirent pas particulièrement. Je les respecte, bien sûr, notamment dans le cas présent où nous avons affaire à un prodigieux combattant pour la liberté, un rassembleur de son peuple aussi, mais enfin je n’essayerai pas ici d’être hypocrite : je n’ai dans ma bibliothèque, pourtant particulièrement fournie en biographies historiques, aucun ouvrage sur le défunt sud-africain, ni sur Gandhi. Alors que foisonnent ceux qui sont consacrés à des personnages moralement bien peu recommandables, ayant accordé bien peu de prix à la vie des hommes, ayant tué ou fait tuer, laissé couler le sang, endeuillé des familles par dizaines ou centaines de milliers. Moi, lecteur assidu de leurs vies, suis-je un monstre ?
Je n’ai pas la réponse à cette question. Si vous arpentez un jour mes bibliothèques, rayon Histoire, vous tomberez sur de Gaulle (quatre rayons complets), Churchill, Mitterrand (deux rayons), Willy Brandt, Louis XI, Richelieu, Napoléon, mais aussi Pétain, Mussolini, Marcel Déat, Hitler, Ciano, plusieurs maréchaux d’Empire, Staline. Je vous laisse juger si ces personnages sont présentables, ou non. Pour ma part, la question ne se pose pas. Je n’aborde jamais l’Histoire sous le prisme de la morale, mais avec la volonté de tenter de comprendre une époque, un contexte, et, dans le cas d’une biographie, ce qui façonne le parcours d’un être humain. Comment, par exemple, comprendre Mussolini si on n’a pas lu l’éblouissante et monumentale biographie que lui a consacrée Pierre Milza, chez Fayard ? Années de jeunesse, conditions économiques de son Emilie-Romagne natale, engagement dans l’extrême-gauche, puis tournant total au moment de « l’Intervento » dans la Grande Guerre en 1915, réseaux d’anciens combattants, premiers faisceaux, etc. Avant de juger, en Histoire, il faut s’informer à fond.
Suis-je fasciné par les figures du mal ? Suis-je un monstre ? Je n’ai pas les réponses. Je sais les crimes immenses commis par certains, mais leurs parcours de vie m’attirent. Croyez bien que je n’en tire aucune gloire, et me garderai bien d’aller chercher la protection d’Aristote lorsque, dans la Poétique, définissant la tragédie, il parle d’une purification par la crainte et par la pitié (eleou kaï phobou). Je ne cherche pour ma part nulle catharsis, mais simplement comprendre les chemins de vie. Y compris ceux des maudits. Ne voyez pas, je vous prie, dans ce billet une apologie du mal. En aucun cas. Mais l’Histoire des hommes, surtout politique, est trop complexe pour être décryptée avec les seules grilles de lecture de la morale. Non que ces dernières soient vaines. Mais réductrices, parfois, lorsqu’elles s’allient avec le manichéisme, la candeur, ou, pire que tout, l’ignorance.
Pascal Décaillet
Les interrogations existentielles et l’intérêt “pour les maudits” dont témoigne Pascal Décaillet, en dépit de leur inintérêt, relèvent bien davantage du normal que du pathologique.
Mr decaillet,
Rassurez-vous tout va bien. Mais chercher à comprendre Mussolini, pour quoi faire? On n’est pas obligé d’adorer les héros qu’on nous présente ou qu’on nous fabrique (surtout qu’on omet généralement les aspects peu glorieux de ces personnages). Mais les résistants à l’oppression, on leur doit le simple respect. Les Suisses préfèrent le photographe de Saint Gall Hausamann plutòt que Pilet-Golaz et les francais, de Gaulle à Pétain, les sud-africains Mandela à Jan Smuts.