La nuit est tombée bien tôt en cette fin d’automne. Rentré chez moi après une journée de labeur intense, il me semble déjà être au milieu de la nuit, alors qu’elle ne fait que commencer l’égrènement de ses heures.
Dans mes mains je tiens un livre qui n'est pas bien long à lire. Il correspond parfaitement au recueillement spirituel auquel mon âme aspire, gagnée par la lassitude que mon corps fatigué a fini par lui transmettre.
En effet ce livre parle d'un pèlerinage effectué à l'automne 1996, de la mi-septembre à la mi-octobre sur le Camino, le chemin qui va de Saint Jean-Pied-de-Port, au Pays Basque que j'aime, jusqu'à Santiago de Compostela, en Galice.
Compostelle, une étoile dans mon coeur, de Bernard Reymond, en est à sa troisième édition cette année aux éditions de L'Aire, les deux premières étant auxEditions du Béhaire. C'est dire que ce livre a trouvé son lectorat et qu'il n'y a pas de hasard, auquel, de toute façon, je ne crois pas.
Son auteur a entrepris ce pèlerinage passée la cinquantaine. Il nous est présenté comme un homme d'affaires avisé, un collectionneur d'art, un amoureux de la culture russe.
Pourquoi un tel homme a-t-il éprouvé le besoin de prendre son bâton de pèlerin et d'effectuer à pied des centaines de kilomètres? Il l'a fait, écrit-il, pour plusieurs raisons, qui lui semblent être de trois ordres, celui de la spiritualité, celui de la rupture avec notre société et celui de la religion, par le fondement de son éducation.
La spiritualité? Se situer face au monde, en analysant ses propres échecs et ses propres succès:
"Et c'est par un long silence d'émotions, empreintes de grandeur et de générosité, que pas après pas, Dieu pénètre mon esprit, et fouille, et questionne, et trouble mes entrailles."
Cette méditation lui ouvre alors l'espace qui l'entoure.
La rupture avec notre société? La quitter quelque temps pour ne plus voir certaines personnes exécrables et oublier la politique aberrante de nos sociétés faîtières:
"La loi du marché est la seule doctrine incontestable que l'homme se doit d'exalter pour apparaître encore hors de l'exclusion."
Le lecteur habitué de ce blog sait ce que je pense à ce sujet. Il n'existe pas pour moi de loi du marché. Elle a été inventée par ceux qui veulent asservir les autres et empêcher que les échanges entre les hommes se fassent librement et respectueusement.
Aussi je comprends que cette conception dénaturée, mécaniste et utilitariste, du marché ne puisse guère satisfaire ceux qui ont d'autres aspirations que la réussite matérielle.
La religion? Comprendre mieux le mystère d'un être suprême et prier mieux "dans le silence et l'isolement d'espaces inconnus".
Pour avoir éprouvé la même alternance, lors d'un pèlerinage de Paris à Chartres, sur les traces de Charles Péguy, je me reconnais dans ce qu'écrit l'auteur:
"J'ai crié la foi retrouvée un jour, et le lendemain pleuré le doute renaissant."
Bernard Reymond ne se veut pas autre chose qu'un pèlerin ordinaire et son livre est sans prétention. C'est pourquoi il se lit avec bonheur par ceux qui apprécient les vertus de la simplicité.
Dans ce livre se côtoient réflexions sur la dureté de la route, joies que procure l'effort permettant de transcender les douleurs, évocations historiques que suscitent les villes traversées, poèmes aux vers libres qu'inspire à l'auteur en chemin paysages et émotions.
Il marche, il marche, il marche cet automne-là jusqu'à la cathédrale promise. Pourquoi? Il ne le sait, Dieu le sait:
La force qui, moi, me pousse
La force qui, moi, m'attire,
Je ne sais même pas l'expliquer.
Seul Celui d'en haut le sait.
Tout ce qu'il sait en définitive, c'est que le but atteint n'est pas une fin en soi, mais le commencement du vrai chemin...
Compostelle, une étoile dans mon coeur, Bernard Reymond, 74 pages, L'Aire
Francis Richard
http://www.francisrichard.net/
Et vous, qu'en pensez vous ?