Contre la barbarie, durement !

Christian Vanneste
Président du RPF, député honoraire
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« Le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie ».

Cette phrase de Levi-Strauss interdit à celui qui la connaît d’employer facilement le mot. On doit pourtant prendre conscience que cette formule dénonçait l’ethnocentrisme, la tendance spontanée des membres d’un groupe culturel à rejeter ceux d’un autre groupe en fonction de leurs pratiques ou de leurs croyances. Pour autant, le relativisme culturel de l’ethnologue est scientifique. Il n’est pas « moral », puisque ce mot revient à la mode. (C’est toujours quand la chose vient à manquer que le mot qui la désigne connaît un regain). Toute société a ses règles. Certaines tentent même d’établir un fondement universel qui les impose ou les justifie pour tout homme qui sait entendre raison. C’est ce qui permet de condamner les crimes du nazisme, certes conformes en partie au droit positif allemand de cette époque, mais qui constituent une dérive insupportable par rapport aux règles d’une société chrétienne européenne du XXe siècle et qui sont une insulte à la raison humaine. En évoquant Auschwitz ou la Shoah par balles, le mot « barbare » prend à nouveau tout son sens. Il ne désigne plus l’autre culture, mais une double trahison envers « sa » culture et envers les principes universels d’humanité et de réciprocité qui doivent prévaloir dès lors que les cultures du monde entier communiquent les unes avec les autres. C’est pourquoi le mot « barbare »est légitime pour désigner non pas ce qui contredit nos valeurs culturelles, de l’extérieur, mais ce qui les trahit. Deux exemples, que la Justice met sur le devant de l’actualité, ont malheureusement illustré ce constat : le meurtre du jeune Alexandre Junca à Pau et celui de Mohamed Laidouni sur l’autoroute A13.

Dans les deux cas, sans véritable préméditation, avec une violence  inouïe, en groupe ou avec des complices, des « êtres humains » ont ôté la vie à un homme, pour satisfaire des subjectivités monstrueusement égocentriques, aussi incapables de réciprocité que sans doute dépourvues d’intériorité. Comment peut-on comprendre qu’on puisse s’acharner à coups de marteau sur un gosse de 13 ans, et le dépecer, pour la simple « raison » qu’il passait par là et qu’on avait « la rage » ?   Comment admettre qu’une bande de quartier puisse traiter un visage d’homme comme un ballon de foot, devant ses proches, pour un banal accrochage entre voitures ?

Devant de tels actes, des questions angoissantes se font jour. La première est celle du degré d’inconscience ou d’hypocrisie d’une société qui déborde de bons sentiments, d’appels aux Droits de l’Homme et à la République, et qui « produit » de tels comportements. Ce n’est pas l’inégalité sociale ni le chômage qui font d’un retraité le complice d’un assassin. La seconde question pointe le narcissisme des Belles-âmes, de Badinter à Taubira, en passant par beaucoup d’autres, adulées par une presse superficielle, sans doute éprises de leur image de générosité éthique, sans cesse penchées sur les victimes qu’elles confondent volontiers avec les coupables. Leurs discours séduisent les beaux quartiers de la pensée, mais désarment une société qui ne joue plus à armes égales avec le mal. La peine de mort existe toujours, mais ce sont les criminels qui l’appliquent sans remords, comme des tyrans, pour leur simple jouissance. Les prisons sont inconfortables, mais la mort de la victime de celui qui a été libéré trop tôt est infiniment plus révoltante. La troisième question interroge la société elle-même, non pas les inégalités qu’elle peut engendrer, mais la barbarie qu’elle secrète. Certes, il y a toujours des voleurs de bicyclette, mais sous la Big Mother social-démocrate française et ses 56% de dépenses publiques, la misère n’a pas le même visage que dans l’Italie de 1945, si le délabrement moral ne l’accompagne pas. Or, le désordre immoral ne vient pas des conditions socio-économiques, il est est généré par une éducation déficiente, sans certitude sur ses valeurs, et partant, sans autorité. Et il ne s’agit pas seulement de l’école, mais de la famille qu’on s’acharne à détruire, d’une immigration qu’on n’a plus l’énergie d’assimiler, d’une culture qui aime tant jouer avec le feu et semble parfois fascinée par la beauté du diable.

Une société libérale est toujours entre paradis et enfer. Rien n’est plus enthousiasmant et énergisant que la Liberté : de penser, de s’exprimer, d’agir, de se réunir, de se déplacer, d’entreprendre, de posséder. Cette liberté est la porte du bonheur, si celui-ci existe. Mais cette liberté n’est pas sans rivage. Elle n’est possible qu’à trois conditions : d’abord, il faut qu’il y ait une croyance commune forte, comme Weber pensait que l’Ethique Protestante avait été indispensable au capitalisme. Ensuite, il est nécessaire qu’entre l’individu et le monde dans lequel celui-ci peut s’évanouir, une fois son forfait accompli,  il y ait des Etats dignes de ce nom capables de faire respecter leurs lois à ceux qui vivent sur leurs territoires. Le meurtre de l’A13 est significatif. Il s’agissait pour les habitants d’un quartier sensible de ne pas appliquer la loi des « Français ».  Pour ne pas signer un constat, ils ont massacré un homme qui, lui, était un modèle d’intégration. Serait-il injuste de retirer la nationalité française à ceux des assassins qui auraient une double allégeance ? Enfin, il y a, comme pour une pièce de monnaie, deux versants de la liberté. Le premier c’est la volonté, mais le second, c’est la responsabilité. Il est absurde qu’une démocratie libérale applique des peines légères parce qu’elle excuse des comportements en raison d’un déterminisme social qui est revendiqué par les idéologies de ses adversaires et qu’elle privilégie la réinsertion de tous les condamnés comme si tous étaient victimes de ses manquements. Parce qu’elle croit à la liberté, la démocratie libérale a le droit et le devoir d’être dure avec ceux qui en ont fait un mauvais usage. Le travail devrait être, non une possibilité, mais une obligation pour les condamnés, y compris à des peines de perpétuité.  Ne serait-ce que pour couvrir leurs frais de séjour. On se souvient du très beau texte de Foucault sur « l’éclat des supplices »par quoi le pouvoir écrasait l’individu, avec un luxe de cruautés sans limite. Ces cérémoniels féroces nous paraissent aujourd’hui barbares. Mais faut-il accepter pour fuir ces horreurs que des individus s’arrogent le « droit » de les commettre ?

Christian Vanneste

 

2 commentaires

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Merci pour cet article bien ficelé! Eut égard à sa belle facture c’est humblement que j’ose balbutier. En signalant que si la famille est un facteur, de stabilité (etc.), elle est aussi un vecteur! Je me garde de l’ériger, telle qu’elle peut être, au statut de modèle! Il faut donc chercher plus loin, et creuser plus profond. Je puis relayer un témoignage. Celui d’une femme qui me fut proche. Dont je savais qu’elle a été violée par le père. Mais, à la faveur de la patience et des années, j’ai appris que le viol n’était que la pointe de l’iceberg! Il peut s’en passer des choses derrières les belles facades ornées de géraniums. Passons car je suis secoué de sanglots!
    Ceci dit le mot démon vient à l’esprit! Ici je vous prie de faire preuve de patience. Jésus chassais les démons. Je me demande le pourquoi de l’histoire des pourceaux, en espérant que vous la connaissez. Et il affirme que ses disciples en feront autant. A ce point je retiens deux mots: “chasser” et “démon”. Chasser a plusieurs sens. Chasser une mouche pour ne plus être importuné. Chasser le lièvre pour se délecter de sa chair. L’élan pour la viande et le trophée. Le rhinocéros et l’alligator. Mais, selon le Robert étymologique, chasser est “prendre avec la main”! Ce qui m’envoie à démon! Or “démon”, en hébreu, est aussi le champ! Pensez aux bêtes des champs! Annick de Souzenelle a évoqué ces champs comme des potentialités. Bonnes mais dont la réalisation peut ne pas l’être. Or, la négation du “mauvais” implique de le chasser (comme le naturel qui revient au galop)! Ce qui s’oppose à “prendre avec la main”! Je me suis engagé dans un vaste sujet! Vous me pardonnerez donc mon insuffisançe. Mais ne voyez-vous pas le problème? La relation avec l’arbre du centre du jardin! Au lieu de manger l’arbre car beau et bon on s’est baffré du fruit pour “être comme Dieu”! Qui plus est “connaissant le bien et le mal”! Ou “le bon et le mauvais”! Or, en hébreu, le bon berger contient bon et mauvais! J’ajoute que le fameux prochain de “tu aimeras ton prochain comme toi même” est aussi le mal! Le tien donc! Ça décoiffe, non? Bien! Vous êtes en guerre! La pureté contre la débauche, l’ordre contre l’anarchie, gauche contre droite! Chiites contre Sunites? Et ainsi de suite ad nauseam! ?
    Pour conclure sur une note récréative, voici une “histoire” juive. Je la cite de mémoire. Mémoire d’un livre de Ouaknin, ou de Halévy. Un dialogue entre un sage juif, une lampe sainte, et ses disciples! Le sage leur demande que est le plus grand malheur d’Israel. L’esclavage en Égypte? Le veau d’or? L’exil à Babylone? La destruction du temple? Non! Non et non! Quoi alors? Le plus grand malheur est quand on a fait de la Thora une religion! J’ai ri en lisant, car j’en pense autant de l’évangile! J’en ri d’autant plus joyeusement que je viens de raconter â mon ancien patron, esclavagiste notoire, la parabole du Maître de la vigne!

  2. Posté par Jan Marejko le

    Excellente définition de la barbarie. Elle surgit lorsqu’il y a des individus pour qui le visage de l’autre est un ballon de football. Emmanuel Levinas aurait applaudi.

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