Une biographie qui se transforme en Mémoires tant Jean Christophe Ruffin transcende son sujet et s’immisce dans les recoins les plus secrets de la vie de celui qui a créé et développé les principes du libre échange au lendemain de la guerre de Cent Ans. Un récit exceptionnel qui nous fait redécouvrir cette période intrigante du Moyen Age.
Né en 1400 à Bourges, décédé dans la pauvreté en 1456 à Chios en Grèce, après avoir été l’homme le plus riche de France, Jacques Cœur incarne à lui seul le progrès et ses corollaires, à une époque où Charles VII, en partie sous son impulsion d’ailleurs, met un terme à la guerre de Cent Ans et ses écorcheurs et brigands qui terrorisèrent un royaume désuni et corrompu par les conflits entre princes et ducs. La France quitte alors le temps des Croisades et entre dans celui de l’échange et du commerce, sources de prospérité.
Il a 15 ans lorsque la défaite d’Azincourt (1415) sonne le glas de la chevalerie et son monde désormais passéiste. C’est la fin du Moyen Age.
Mais durant ce siècle de guerre, la France et ses duchés se sont recroquevillés dans leurs châteaux forts. En 1432, Jacques Cœur découvre Florence et ses palais ouverts, ses jardins luxuriants et ses artistes soutenus par les princes. Ce voyage, ainsi que bien d’autres dans les pays du Levant (Palestine, Jordanie, Egypte…), feront naître en lui la stratégie de développement commercial fondé sur l’échange permanent, qu’il mettra en place en France avec l’aide du roi Charles VII, conscient du besoin de développement nécessaire à son Etat affamé et appauvri par la guerre.
Grand argentier du roi, il devient surtout un entrepreneur. Il met en place un réseau de distribution des marchandises entre le Levant, le sud de la France et les Flandres, sans oublier l’Espagne, l’Italie et toute région qui présente des artisans sachant travailler la matière: soie, étole, argenterie, bijoux… La France a besoin de tout car la guerre est terminée, et il est désormais nécessaire de favoriser la création et la production de produits de qualité, d’encourager les artistes à créer. C’est une période dont les objectifs sont sans limite. Jacques Cœur en deviendra si riche qu’il réveillera la jalousie du roi. Celui-ci le fera arrêter, torturer et condamner à mort en 1451 pour crime de lèse-majesté. C’est une vieille manie en France – Fouquet la connaîtra deux cents ans plus tard – que de punir sévèrement ceux qui osent dépasser le roi en fortune et biens acquis, même en toute honnêteté.
Figure de proue de son enfance, Jean-Christophe Ruffin (né à Bourges comme Jacques Cœur) évoque avec une passion féline le destin hors norme de celui qui mènera la France vers une étape importante de sa modernité. Sans le savoir il crée l’import-export et les grandes liaisons navales avec l’Orient. Cet autoportrait peut-être rêvé, que l’auteur rédige à la première personne, porte le souffle du romanesque et la précision de la biographie. Ruffin décortique le processus de création et de mise en place du réseau de distribution sur terre et sur mer que Jacques Cœur met en place avec ses amis d’enfance de Bourges qui lui resteront fidèle jusqu’à la fin.
Les intrigues de cour, la duplicité d’un roi chétif jouant sur sa faiblesse afin de mieux cerner ses opposants, son amour respectueux pour Agnes Sorel, la belle de l’époque, Le Grand Cœur est un roman qui rend hommage à l’un des personnages les plus importants de France et qui a transfiguré son pays.
Geoffroy de Clavière
Le Grand Cœur, de Jean Christophe Ruffin, Gallimard – 498 pages
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