La Lex Weber: Que la montagne est belle…

Philippe Lathion
Philippe Lathion
Administrateur de sociétés

Ainsi M. Weber, présenté aujourd’hui comme le sauveur des alpes, pourrait bien être dans un futur proche, le fossoyeur d’un tourisme de qualité, celui qui aura précipité le tourisme suisse, dans un tourisme de masse fortement industrialisé, internationalisé et subventionné.

Je vis depuis plus de 30 ans à Genève. Depuis tout ce temps, Genève construit des bureaux pour y accueillir de nouvelles entreprises facteur de création d'emploi et assurer ainsi sa croissance économique. Les m2 utilisés pour la construction de bureaux, le sont forcément au détriment des m2 constructibles pour des logements, le canton n'étant pas extensible. Du coup, on ne peut plus habiter à Genève et le trafic des pendulaires ne cesse d'augmenter, créant de vrais dommages écologiques.

Qui pourtant oserait lancer une initiative visant à limiter le nombre de bureaux construits en Ville ? Personne, parce que la croissance économique d'une ville n'est pas contestée. Elle est même souhaitée.

Or c'est exactement ce que le peuple a fait pour les destinations touristiques en acceptant l'initiative Weber.

Il a stoppé nette la croissance économique des destinations, la construction de résidences secondaires permettant à ces destinations, tout comme les bureaux à la Ville, d'accueillir de nouveaux touristes.

Alors pourquoi ce qui est vrai à la Ville ne l'est pas à la montagne ?

Parce que la montagne est belle… que l'imaginaire de la montagne, contrairement à la ville, est encore fortement marqué par des valeurs de liberté, de pureté, de source de bien-être physique et psychologique, d' « antimonde » qui s'oppose précisément au quotidien urbain.

Ne touche pas à ma montagne…

Ainsi, pour le citadin, la montagne devrait être son jardin privatif, son coin de paradis, et les montagnards devraient l’entretenir avec soin, car la montagne ne leur appartiendrait pas.

Pour le montagnard, tout au contraire, la montagne est son lieu de vie et de travail. Il doit pouvoir exploiter ses ressources de telle sorte qu’il puisse en vivre et n’a pas à subir le diktat de citadins qui ne sont pas chez eux.

Ces positions radicalement opposées expliquent le résultat contrasté des votes sur la Lex Weber (75 % de non en Valais, une majorité de oui en Suisse romande) et sont à l’origine d’un fossé entre citadins et montagnards, qui va encore se creuser dans les années à venir.

Certains d’ailleurs n’hésitent plus à parler de cohésion nationale et évoquent même la sortie du Valais de la Suisse.

Un changement culturel profond…

Si à ce stade, ces perceptions opposées de la montagne peuvent expliquer pourquoi tout débat sur ce sujet reste passionnel, il est néanmoins annonciateur d’un mal bien plus profond.

L’attitude, parfois arrogante, de certains citadins, qui accusent les montagnards de saccager leur jardin, agace le montagnard qui estime que ces braves citadins ne sont pas chez eux et qu’ils n’ont pas à vouloir exproprier « sa » montagne.

Comment améliorer l’accueil touristique dans ces conditions ?

Des voix s’élèvent déjà dans les milieux touristiques pour proposer de taxer lourdement les propriétaires de résidences secondaires qui ne mettent pas en location leur bien. C’est là une évolution dramatique qui partant du propriétaire accueilli comme un bienfaiteur pour une région touristique, glisse vers le propriétaire banni qui a voté pour la Lex Weber et en plus rapporte presque rien à l’économie touristique.

Cette nouvelle donne pourrait bien changer profondément l’approche culturelle du tourisme, privilégiant plutôt le touriste de passage au propriétaire fidélisé.

La montagne, paysage de contrastes…

Mais si le citadin rêve de vacances à la montagne seul, avec des paysages intacts et un air pur, il ne veut surtout pas voir les réalités économiques auxquels est confrontée l'industrie touristique pour lui offrir ce qu'il veut lorsqu'il se rend à la montagne.

Car c'est en voiture qu'il veut s'y rendre, jusque devant la télécabine et c'est un grand domaine de ski parfaitement enneigé artificiellement, avec des installations ultra modernes, qui le ravit.  Et lorsque son statut social le lui permet, c'est un appartement ou un chalet qu'il achète, signe extérieur de sa réussite, si possible dans une grande station renommée offrant de multiples activités, boutiques et restaurants. Cela s'appelle le syndrome AIE (automobile-immobilier-enneigement)!

C’est dans cette contradiction criarde qu’il faut chercher un terrain d’entente entre le citadin et le montagnard, en commençant par expliquer le modèle économique d’une destination touristique.

La montagne, une industrie….

Car une destination touristique, au risque d’écorner l’image idyllique de la montagne, n’est pas un quartier résidentiel, mais une zone industrielle.

Et l’industrie du tourisme, qui permet à toute une population de montagne d’y vivre, repose sur une équation très simple : La capacité d'hébergement d'une destination est égale à l'importance de ses infrastructures.

Plus un domaine de ski est grand, avec des installations modernes et une offre alternative bien étoffée en centre de bien-être, salle de spectacles, et autres, plus il faut de lits touristiques pour accueillir un nombre de clients suffisant pour "payer" ces infrastructures.

A titre d'exemple, le village d'Evolène, même si il est le plus beau de Suisse, à une capacité d'hébergement qui ne suffit malheureusement pas à rentabiliser ses installations de ski, à l'inverse de Nendaz ou Verbier, dont on peut critiquer l'étendue, mais pas leur capacité à générer durablement du profit.

Bien sûr cette capacité d'hébergement peut être plus ou moins invasive en termes de surface à bâtir, selon qu'il s'agit d'hôtels ou de résidences secondaires, louées ou pire pas occupées. Cela étant, la Suisse n'a pas choisi son modèle économique. Ce sont les conditions cadres qui les lui ont imposées.

Les modèles économiques du tourisme alpin…

En Autriche, l'Etat favorise, via sa banque, l'hôtellerie familiale en finançant la construction d'hôtels sur 25 ans, avec 15 % de fonds propres et en prenant en charge l'intérêt de base. Le tourisme est reconnu en Autriche comme une industrie de première importance et est largement soutenu indirectement par l'Etat.

En France, l'exploitation des remontées mécaniques est nationalisée via la Compagnie des Alpes qui appartient à la Caisse de dépôts et consignation. La loi Démessine a, quant à elle, favorisé, par des allègements fiscaux, la construction de résidences de tourisme, à savoir de résidences secondaires avec obligations de mise en location.

En Suisse, notre système politique fait obstacle à l'interventionnisme étatique et de ce fait le tourisme en est réduit à devoir appliquer la devise "aide-toi et le ciel t'aidera".

Sans aide de l'Etat, l'hôtellerie n'étant que très difficilement rentable avec un taux d’occupation à l’année de 43 % et des coûts de construction et d’exploitation bien plus élevés qu’en France ou en Autriche, la croissance de notre tourisme a été assurée par la construction de résidences secondaires.

Ces résidences secondaires ne sont pas, à de rares exceptions, des lits froids, mais sont occupés par leurs propriétaires.

Il est certes démontré que le lit loué rapporte plus pour les infrastructures touristiques que le lit occupé par un propriétaire. Cela étant, le propriétaire a aussi un fort pourvoir d'achat et va donc dépenser en station et payer pour son bien immobilier des taxes et impôts élevés. Il garantit ainsi à la destination un tourisme de qualité qui s'oppose au tourisme de masse des vacanciers de passage, beaucoup plus répandu en France, comme à Avoriaz par exemple.

La Lex Weber, un bien pour nos alpes ?

Quels seront donc les effets de la Lex Weber à long terme sur le modèle économique Suisse ?

Très certainement les grandes stations vont devoir intensifier l'exploitation des lits existants et construire de nouveaux hôtels de moyenne gamme ou des résidences de tourisme pour assurer le maintien d'une croissance économique indispensable pour répondre à la croissance des coûts salariaux et des investissements.

Dit en d'autres termes, les grandes destinations touristiques vont définitivement devoir opter pour un tourisme de masse, privilégiant désormais le vacancier de passage au propriétaire fidèle de la station.

Elles vont ainsi renforcer encore leur position monopolistique au détriment des petites destinations qui, sans possibilité de construire des résidences secondaires, seront définitivement condamnées. L'Etat devra alors voler à leur secours avec l'argent du contribuable.

Ainsi M. Weber, présenté aujourd'hui comme le sauveur des alpes, pourrait bien être dans un futur proche, le fossoyeur d’un tourisme de qualité, celui qui aura précipité le tourisme suisse, dans un tourisme de masse fortement industrialisé, internationalisé et subventionné.

Les changements culturels qui s’identifient déjà, vont dans ce sens et ce risque est plus inquiétant encore que les emplois à court terme qui immanquablement vont être perdus.

Lorsque la Lex Kohler a été adoptée, il s’agissait à l’époque de restreindre le bradage du sol. Résultat, pour obtenir une autorisation de vendre aux étrangers, il fallait construire en hauteur, en occupant le moins de terrain possible. C’est cette loi qui est à l’origine des tours d’Aminona ou d’autres immeubles construits dans les années 70. Comme quoi une loi peut dans son application conduire à un résultat contraire à celui souhaité.

Pourquoi n’en serait-il pas de même pour la Lex Weber ?

 

2 commentaires

  1. Posté par Olivier Pitteloud le

    M. Brouze : en d’autres termes, vous nous expliquez que c’est pour éviter au Valais de faire les mêmes erreurs que lui que le canton de Genève a voté oui à l’initiative ? Il est vrai qu’en matière de saccage du territoire, ils s’y connaissent mais de là à faire la leçon aux autres….

    Et s’il est reconnu qu’ils ont mal géré leur territoire, pourquoi ne recevraient-ils pas eux aussi une pénalité ? Après tout, d’ici 2-3 ans au plus, des dizaines ou centaines de familles vaudoises et valaisannes vont devoir composer avec la perte d’emploi d’un (ou plusieurs) des leurs car évidemment, les entreprises ne vont pas garder des employés à ne rien faire : si elles ne peuvent plus construire, elles ferment.

    Et ne croyez pas que cela ne concerne que le secteur de la construction car le brave père de famille qui perd son travail va évidemment renoncer à sortir au restaurant, changer la TV du salon, payer des cours de piano à son fils ou à aller au cinéma ! Au fil du temps, ce sont d’énormes pertes dans tous les domaines qui sont à craindre si le nombre de personnes qui arrête de dépenser au profit de l’épargne augmente trop vite.

  2. Posté par Jacky Brouze le

    Bonjour,
    Monsieur Lathion, j’avais l’intention de relever tous les arguments boîteux et les contre-vérités dans votre texte, mais j’y renonce devant l’ampleur de la tâche !
    Vous voulez une exemple ? En voilà un qui me fait beaucoup rire : Vous écrivez « Qui pourtant oserait lancer une initiative visant à limiter le nombre de bureaux construits en Ville ? Personne, parce que la croissance économique d’une ville n’est pas contestée. Elle est même souhaitée. […] Alors pourquoi ce qui est vrai à la Ville ne l’est pas à la montagne ? ».
    Dois-je expliquer ? Un élève d’école enfantine vous dirait que c’est justement parce qu’on ne veut pas que la montagne ressemble à la ville que l’initiative Weber a été acceptée.
    Je suis convaincu que le tourisme valaisan sortira renforcé de cette épreuve dès qu’il aura cessé ce combat d’arrière-garde pour enfin réaliser qu’il a beaucoup mieux à faire en vantant la nature plutôt que le béton. Pour ce qui est de la « qualité » des touristes qui seront attirés, elle est bien entendu fonction de la qualité de ce que nous avons à lui offrir, qualité qui ne se mesure certainement pas en m3 de béton ni en nombre de lits froids.
    Bon courage, j’ai toute confiance.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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