A l’ouverture de la saison d’hiver, Francis Scherly, professeur honoraire de la faculté de HEC à l’université de Lausanne, administrateur d’Interconsulting Montreux et d’Eurofin Hospitality et spécialiste des questions relatives au tourisme, livre un bilan sans concession de la situation actuelle.
Une vision empreinte d’un brin de cynisme réaliste mais cependant optimiste, pour autant que le tourisme suisse, face à la déferlante mondiale, sache jouer la carte de l’« intelligence du coeur ». Pour Francis Scherly, il y a urgence et « l’urgence est devenue affective ! »
Interview:
Les Observateurs: - Quel est, à votre avis, le bilan général de la situation du tourisme en Suisse ? Quels en sont les aspects positifs et négatifs ?
Pr. Francis Scherly: N’en déplaise aux inconditionnels de la méthode Coué, il est incontestable que le tourisme réceptif suisse souffre eu égard à des conditions-cadres globalement défavorables (cherté du franc, contributeurs principaux des pays voisins en crise, météo peu optimale)... Il en est ainsi résulté – dans l’espace alpin principalement – une diminution de l’ordre de 15 à 20 % des nuitées au cours des 18 derniers mois, sur la seule saison estivale.
Soyons honnêtes: même si le taux de change et la météo sont des facteurs qui agissent prioritairement et de façon imparable sur la demande, la Suisse de la fin du siècle dernier a été trop souvent victime de la perversité de son opulence passée: heureusement, une prise de conscience réparatrice est intervenue dès le milieu de cette première décennie du 21ème siècle. Le règne dominant du « prêt-à-jeter » sur celui du « prêt-à-porter » avait placé le tourisme suisse dans un univers de réflexes de court terme; la crise européenne a paradoxalement changé la donne.
Mais il faut raison garder et l’espoir est de mise: les pays émergents représentent à moyen terme déjà des marchés de substitution non négligeables tandis que dans nos pays, et en un peu moins d’un siècle, les « megatrends » sont paradoxalement rassurant : un seul exemple avec l’espérance moyenne de vie qui est passée de 48 ans à plus de 80 ans... Désormais, un homme arrivant à 65 ans peut escompter vivre plus de 17 ans et une femme près de 21 ans. Conséquemment, le temps de loisirs (ni travail ni sommeil) est passé grosso modo de 75'000 à quelques 320'000 heures… A cet élément-clé s’ajoute les fantastiques progrès réalisés dans les domaines de l’information et de la mobilité: tout porte ainsi à penser que la demande comporte en soi des éléments-clés autorisant des scénarios de développements touristiques orientés positivement.
- Crise, cherté du franc, le tourisme suisse a-t-il vraisemblablement les moyens de faire face à la concurrence européenne ?
On peut en effet sérieusement s’interroger sur la fréquentation globale à moyen terme de la montagne estivale et de l’entre-saison au sens large face aux tendances nouvelles privilégiant des produits de substitution étrangers « boostés » par des offres incroyablement basses au niveau des coûts (les prix ont diminué d’un tiers en deux ans sur les destinations étrangères les plus prisées de la clientèle helvétique).
Mais ce phénomène n’est de loin pas exclusivement suisse: l’Autriche que l’on cite si souvent en exemple et qui a vu l’hiver dernier l’explosion de ses ventes, a également tiré la langue durant la période estivale.
Comment y faire face ? Sans aucun doute en adoptant davantage d’attitudes de « value base pricing », c’est-à-dire en offrant des produits à plus haute valeur ajoutée à une clientèle de moyen et haut de gamme orientée « diversification et excellence ». En d’autres termes, les acteurs du tourisme suisse n’ont plus le droit de proposer des offres d’une « moyenneté tenace », encore trop présentes même si en perte de vitesse depuis les années 2000 grâce notamment à l’introduction des labels « Q » sur l’ensemble de notre territoire. Le temps est venu d’adopter systématiquement des stratégies de croissance qualitative (innovations répondant à des urgences affectives) au lieu d’en rester trop souvent encore à la croissance prioritairement quantitative.
- Les offres thématiques (oeno, éco etc.) et autres marchés touristiques de niche sont-ils la panacée dans la situation actuelle ? A votre avis, survivront-ils à l'effet de mode ?
Il convient tout d’abord de faire un «distinguo » entre le tourisme d’affaires – dont les perspectives restent bonnes – et le tourisme de villégiature pour lequel les marchés de niche représentent en effet les créneaux offrant le plus de potentiel. Nous vivons une époque où le règne du quantitatif est devenu inquiétant, or chacun sait que l’industrie d’exportation helvétique est avant tout active sur des marchés de niches, dans lesquels la valeur ajoutée (économique et non-économique) doit impérativement être accrue pour l’emporter: il en va de même dès lors pour le réceptif, qui s’assimile à de l’exportation invisible.
Mais on ne peut d’un jour à l’autre remplacer les offres de base « standard » existantes: les mutations vont donc s’opérer progressivement, grâce notamment à la création de nouveaux événements et à la généralisation – dans les communautés à intensité touristique marquée – du développement d’organisations et de laboratoires d’idées proactifs.
Quelques exemples: la création d’observatoires du tourisme (on en trouve déjà en Valais et l’on en disposera dans le canton de Vaud dans un futur proche) ou la tenue généralisée de séances de brainstorming horizontales orientées « incubateurs d’événements et d’innovation ». Plusieurs initiatives se mettent en place actuellement un peu partout car le défi des années 2010 et de l’horizon 2020 est devenu celui de la coopération: on parle actuellement « dynamiques de réseaux », d’interdépendance, de regroupements et d’efficacité nouvelle dans la tolérance pour les acteurs concernés. A titre d’exemple ponctuels toujours, la ville touristique de Montreux avec la Riviera est en phase de mutation: de station de villégiature, elle devient ville d’événements… le Grand Genève «bouge » en étroite coordination avec son aéroport à succès… ou encore les trois festivals d’été d’Avenches collaborent désormais au profit de leur développement global. Tout comme dans l’industrie – avec l’exemple du « boom » horloger et de l’orfèvrerie – l’avenir appartiendra sans doute aux acteurs réceptifs du tourisme suisse qui sauront profiler des offres à haute valeur ajoutée, des solutions taillées sur mesure, à la manière de l’orfèvre qui taille un diamant brut… Alors seulement – mais seulement pour ceux-là – je reste persuadé que nous ne pourrons plus parler d’un effet de mode !
- Connaissez-vous de nouvelles issues à l'offre touristique dans notre pays, de nouvelles expériences que nous pourrions adapter ici pour contrer les effets de la crise du secteur ?
Trois mots pour cela : qualité, innovation et intelligence du cœur ! Car tous les acteurs du tourisme réceptif ou émetteur savent désormais que sans un engagement éclairé pour la qualité, l’échec est au bout du chemin. Tous les modèles stratégiques sont par terre si l’enthousiasme et la volonté de bien faire – en remettant en permanence l’ouvrage sur le métier pour innover – ne sont pas au rendez-vous. Sur des marchés devenus à la fois saturés et incroyablement plus accessibles grâce au développement de la mobilité – le consommateur de loisirs n’achète plus seulement sa prestation ou son produit par besoin, mais veut parvenir en sus à une satisfaction psychologique: l'urgence est devenue affective !
Pour assurer la pérennité du tourisme réceptif suisse à terme, il importe ainsi, de développer davantage de relations de travail toniques au sein des entreprises, des relations empreintes d’innovation et de défi certes, mais aussi de gratitude, de tact, de reconnaissance, de confiance en soi, de créativité, d'aisance relationnelle et de volonté d’aller vers l’autre avec l’intelligence du cœur, celle qui fait de plus en plus souvent la différence. Sans oublier l’humour (l’ingrédient inattendu) qui permet très souvent d’assurer le succès final. Les compétences techniques et les QI élevés ne sont en effet plus suffisants pour réussir, les nouvelles attentes « internes » sont pragmatiques: elles s’expriment désormais en unités de plaisir !
- Comment s'annonce la saison à venir ?
Selon le SECO citant le BAKBASEL, « l’été 2012 en Suisse a été caractérisé par une forte érosion de la demande touristique », mais un retour à la croissance est annoncé pour l’année touristique 2013, le tourisme suisse touchant le creux de la vague avant de renouer progressivement avec la croissance. Par exemple pour l’année touristique 2014, BAKBASEL table sur une croissance de 2,7%, escomptant un effet de rattrapage après cinq ans de vaches maigres. Eu égard à ce début de décembre exceptionnel – et bien que BAKBASEL prévoie un recul de 0,9 % des nuitées hôtelières – tout porte à croire que la saison d’hiver ne sera pas décevante, compte tenu de l’effet stabilisateur de la demande intérieure et malgré une demande externe qui restera confrontée au franc fort.
Car les milieux touristiques – à commencer par l’organisation faîtière marketing, Suisse tourisme, multiplient actuellement les parades et autres initiatives: heureusement, la stratégie est redevenue un art dans le tourisme suisse !... et le revirement de tendance s’amorce grâce notamment aux efforts déployés sur la toile via les réseaux sociaux; tout cela autorise un espoir raisonnable, dans la mesure où l’on se rend compte enfin qu’en 2012, sans investissement prononcé de dynamisme « high touch » associé à l’excellence technique (« high tech »), il n’y a pas de salut ! Car avec l’extraordinaire montée en puissance des offres à la fois planétaires et multi-optionnelles, l’industrie du tourisme est définitivement passée d’un marché de vendeurs à un marché d’acheteurs; or, même si les déficits de high touch sont encore trop présents chez nous, on peut avancer que le high tech approche de sa vitesse de croisière. De quoi voir l’avenir avec plus de sérénité.
“Lausanne va fermer un tiers de ses WC publics”!
Lausanne devient une ville du tiers-monde, mendiants, dealer, toilettes ouvertes, insécurité, nuissance nocturnes!
Qui est le responsable du pôle d’insalubrité!?