N’en déplaise à d’aucuns, Oskar Freysinger est bel et bien un écrivain, comme Le nez dans le soleil le laissait présager. Il suffirait aux perclus de préjugés à son égard de passer la couverture et d’oublier qui est le signataire pour s’en convaincre aisément.
Que faire quand on vous annonce que vous êtes en sursis sur Terre, que vous êtes condamné à un an de vie, tout au plus?
C’est à cette question existentielle que répond Oskar Freysinger dans son premier roman, Garce de vie, préfacé par l’excellent Pascal Décaillet.
Ce roman se passe aux Etats-Unis. Son héros, Van Cleef, qui se raconte à la première personne, mène une vie terne, sans saveur:
«A défaut d’éternité, j’avais au moins acquis une impression d’intemporalité à travers la répétition interminable d’actes banalisés par l’habitude.»
Une habitude qu’il ne rompt, la quarantaine passée, qu’en tuant des chats, la nuit. Mais ce meurtre nocturne devient bientôt lui aussi une habitude:
«Et l’habitude, c’est tuant, à la fin.»
Il a alors une occasion inespérée de rompre net avec la mortelle habitude, de fuir l’ennui qui colonise son âme depuis trop longtemps.
Van Cleef apprend en effet par son médecin qu’il a une tumeur maligne, entre le cœur et les poumons, de la grosseur d’un pamplemousse, et que les métastases se sont répandues dans tout son corps, qu’il n’a plus qu’une année à vivre.
Il peut, à choix :
- En finir tout de suite;
- Se résigner et accepter son sort;
- «Devenir une sorte de cyclone».
C’est cette dernière option qu’il choisit.
Comme il n’a plus rien à perdre, il décide de mourir «à [sa] manière, sans transformer [sa] couenne avariée en cocktail chimique», c’est-à-dire en refusant la chimio, en compensant le manque de durée par l’intensité, en effectuant le grand passage «dans la joie et l’allégresse».
Il quitte donc femme et enfants et disparaît d’un seul coup de leur vie. Ecoutant des chansons de Dylan, de Cohen, de Springsteen, des Doors et surtout de Tom Waits le caverneux, à la voix rocailleuse, gutturale, sépulcrale, il prend la route à bord d’un van dont il a fait changer le moteur :
«De l’extérieur il ressemblait à une tortue. Pourtant il y avait un Mustang à l’intérieur.»
Ce véhicule trompeur va lui permettre de sillonner à toute vitesse les States du nord au sud, d’ouest en est, et réciproquement.
Il acquiert aussi de multiples déguisements et de multiples pièces d’identité:
«J’espérais me démultiplier, transgresser les limites, connaître enfin toutes les facettes de la vie et puis, pourquoi pas, devenir un mythe.»
Pour parfaire sa préparation à sa nouvelle et courte vie, il suit pendant huit semaines une formation paramilitaire «pour cadres cherchant à se recadrer, grands gamins en mal d’enfance et sédentaires en recherche d’ultime jeunesse».
Enfin, pour accomplir son grand dessein, il a besoin de beaucoup de moyens. Alors il braque des banques et le fait avec classe, même si cela ne se passe pas toujours comme prévu. Ce qui donne droit à des épisodes rocambolesques, voire hilarants.
Plus le temps passe, moins il a à perdre. Aussi s’enhardit-il de plus en plus. Jusqu’au jour où il devient tueur d’un flic qui a voulu s’interposer:
«Celui qui porte la mort en lui sans faire son deuil finit par la répandre inéluctablement.»
Avec la fortune qu’il amasse, il nargue cette garce de vie, il l’humilie en y mettant le prix.
C’est ainsi qu’il obtient à prix d’or qu’«une belle à mourir » se vautre dans la fange devant lui:
«C’était le fait d’être payée pour jouir, c’était le frisson de faire la pute qui lui procurait l’orgasme de sa vie.»
C’est ainsi qu’il fait plus fort que Boris Vian, dont le double ne s’était contenté que de projeter d’aller cracher sur les tombes. En payant le prix, il se livre à «l’amour tombal» avec une «dinde dodue», une « opulente cavalière»:
«A la fin, c’est la main plaquée sur le requiescat in pace et le nez planté dans les tétons de la dame que j’ai vécu ma petite mort.»
Quoi qu’il fasse, Van Cleef s’en tire toujours. Il se croit de plus en plus invulnérable. Il peut désormais aller jusqu’au bout de son dessein, mettre fin à ses jours en beauté, «mourir en triomphe» comme aurait dit Jacques Laurent.
Mais, là encore, rien ne se passe comme prévu:
«Avec ce sacré destin, c’est quand tout semble fini que tout recommence.»
Pire, alors que, pendant un an, il a emporté tout sur son passage comme un cyclone, avec l’énergie du désespoir, cette garce de vie lui inocule «le pire des antidotes au suicide: l’espoir», au moment le plus inattendu.
Mené tambour battant, ce roman se lit d’une traite: le rythme est réellement trépidant et les trouvailles d’expressions réjouissantes. Il montre qu’il ne faut jamais trop tirer sur la corde, parce qu’à la fin elle se casse. Que la vie est peut-être une garce, mais que si elle peut réserver de mauvaises surprises elle peut aussi en réserver de bien bonnes.
N’en déplaise à d’aucuns, Oskar Freysinger est bel et bien un écrivain, comme Le nez dans le soleil le laissait présager. Il suffirait aux perclus de préjugés à son égard de passer la couverture et d’oublier qui est le signataire pour s’en convaincre aisément.
Francis Richard
Garce de vie, Oskar Freysinger, 120 pages, Editions Attinger
Madame Oberson a raison de rappeler l’attitude des médias lorsque Oscar Freisinger avait reçu le Prix Rilke. Aucun médias n’avait osé publier la composition du jury: il y avait trop de personnes compétences en matière de poésie!
Pourquoi Freisinger n’écrit-il pas sous pseudo? je suis certaine qu’il aurait du succès auprès des médias – qui lui feraient de la pub -s’ils ne connaissaient pas son vrai nom.
N’est-ce pas ce qui s’est passé lorsqu’il a reçu le Prix Rilke de poésie il y a 3 ou 4 ans?L’anonymat était obligatoire pour tous les participants !
S’il avait signé son texte de son vrai nom , il n’aurait jamais eu ce prix , cette reconnaissance. L’Attitude inqualifiable envers lui de l’AdS en a été la preuve flagrande.
En tout cas, son précédent ouvrage “Antifa” est à lire. C’est un livre plein d’humour, mais je doute qu’Ada Marra ait réellement apprécié.