Quel avenir pour le tourisme suisse?

Roland Schegg, professeur dans la filière tourisme de la HES-SO Valais et chercheur au sein de l’Institut de Tourisme (ITO), répond aux questions des Observateurs. Un point de vue serein, dépassionné et quelques solutions. Un professionnel du tourisme averti en vaut deux.

Lesobs: - Quelle est la situation du tourisme en Valais et en Suisse en général ?

RS: Comme toutes les régions alpines en Suisse, le Valais a subi en été une baisse de fréquentation, principalement de la clientèle étrangère. Les prévisions pour la saison d’hiver ne sont guère plus positives. Au niveau national, seules les villes ont résisté quelque peu à la baisse de la demande, car l’économie suisse se porte encore relativement bien, malgré quelques signes de faiblesse.

- Hausse du franc, cherté des prestations, pensez-vous que notre pays a les moyens de résister à la concurrence des pays voisins ? 

Les meilleurs prestataires touristiques du pays pourront probablement s’en sortir sans trop de pertes, malgré une concurrence accrue et des conditions cadres économiques délicates. La Suisse, comme pays touristique, a des atouts indéniables comme l’ont démontré les derniers rapports du World Economic Forum à Genève (Travel & Tourism Competitiveness Report).

On retrouve dans ce rapport les caractéristiques d’une Suisse propre et sûre qui fonctionne grâce à ses bonnes infrastructures, la qualité des ressources humaines et des ressources naturelles (paysage, nature) et culturelles.

La situation peut cependant devenir critique pour les prestataires touristiques « en perte de vitesse », notamment ceux qui ont profité d’une situation de rente ou qui n’ont pas généré un cash flow suffisant pour investir dans leur appareil productif et adapter les produits aux nouveaux besoins du marché. Etant donné la part élevée des coûts fixes dans ce secteur, beaucoup de prestataires touristiques risquent d’être confrontés à des problèmes majeurs en cas de crise prolongée.

- Il y a quelques temps, Genève tourisme tirait la sonnette d'alarme expliquant que l'insécurité croissante faisait fuir les touristes par milliers. Pensez-vous que ce genre de constat soit exagéré ?

Comme la Suisse est perçue à l’intérieur et à l’extérieur comme un pays très sûr, toute atteinte à cette image, même mineure, a potentiellement des conséquences négatives sur la perception des touristes, malgré le fait que notre pays, dans une perspective internationale, reste un havre de paix, ce que souligne l’analyse du WEF citée ci-dessus. Cependant,  il faut relativiser la probabilité que ces faits divers puissent réellement faire fuir les touristes par milliers. Si l’on pense que des régions touristiques qui ont vécu des attentats comme l’Egypte ou l’Indonésie ont récupéré les pertes seulement quelques mois après les évènements, l’on devrait atténuer quelque peu l’impact de la discussion sur l’insécurité à Genève. Paris ou Londres, qui ont un niveau d’insécurité plus élevé que les villes suisses, attirent toujours des millions de visiteurs chaque année. Ceci dit, il faut néanmoins être attentif à  la situation de la sécurité dans les centres urbains en Suisse, car elle représente un avantage compétitif pour l’économie suisse en générale.

- Quelles sont les nouveaux types d'offre qui pourraient assurer l'avenir du tourisme suisse ?

Le tourisme suisse doit développer des marchés à plus forte valeur ajoutée, des marchés avec une sensibilité plus faible au prix (car la Suisse doit compter avec son niveau de vie et les coûts qui en découlent) qui cherchent la qualité ainsi que des produits touristiques qui permettent d’attirer les clients en dehors des hautes saisons classiques. Il faut que « l’appareil productif touristique » puisse tourner toute l’année pour atteindre la viabilité économique à long terme.

Les produits classiques (le ski et le tourisme d’affaires) resteront les produits phares du tourisme suisse, mais il faut à l’avenir faire encore plus d’efforts au niveau de la diversification de l’offre et dans l’innovation du produit touristique. Il s’agit de développer de nouveaux produits répondant aux nouvelles attentes d’une clientèle de plus en plus exigeante, respectivement de développer des niches. Les mots-clés dans ce contexte peuvent être: tourisme culturel, tourisme industriel, tourisme lent, oeno-tourisme, agritourisme haut de gamme, tourisme gastronomique, etc.

Une autre piste intéressante dans le contexte du tourisme suisse serait le développement de certains segments comme le tourisme des seniors ou le tourisme médical. La pyramide des âges se modifie, en Europe et dans le monde entier. En 2050, une personne sur cinq aura 60 ans ou plus et présentera donc un important potentiel économique. Il y aura donc plus de personnes âgées qui voyageront et la Suisse a beaucoup d’atouts à faire valoir, ce qui nécessitera d’adapter l’offre aux besoins de cette clientèle.

- Connaissez-vous de nouvelles techniques de management qui pourraient accroître la rentabilité des exploitations ?

Ces techniques de management sont connues depuis des années dans le monde touristique et sont appliquées par les grandes chaînes hôtelières ou les stations de ski intégrées aux Etats-Unis ou en France. Ces grandes entreprises touristiques, s’organisant de manière industrielle au niveau parfois global et en utilisant des systèmes de réservation et de gestion modernes, ont réussi à réduire leurs coûts et à optimiser leur rendement en profitant des économies d’échelles. Dans un secteur où les coûts fixes sont élevés  et où la demande varie fortement selon la saison, ce type de gestion permet de rester compétitif car une gestion intégrée arrive à produire une rentabilité satisfaisante, des perspectives de bénéfice et une bonne capacité d’investissement.

- Pensez-vous qu'il soit possible que la Lex Weber ait, en fin de compte, des effets positifs sur l'hôtellerie de montagne ? Si oui comment ?

La Lex Weber est arrivée dans une situation économique difficile et représente un défi majeur pour le secteur touristique et l’économie régionale de montagne en général. Toutefois, elle ne laisse pas d’autre choix que de repenser la gestion et la stratégie touristiques, notamment dans les régions qui n’auraient pas eu une utilisation optimale des terrains et des infrastructures. Chaque région devrait donc repenser sa stratégie de développement économique et chercher des pistes pour renforcer la viabilité économique et sociale à long terme. Les mots-clés dans ce contexte seront innovation, efficacité et compétitivité,  ce qui nécessitera à la fois un positionnement clair et la coopération des diverses parties prenantes.

- La petite annonce de Christian Constantin semble avoir lever le voile sur la précarité de la branche. Les exploitations familiales et de petite importance sont-elles condamnées ? La pression des taxes aura-t-elle raison de l'hôtellerie de montagne ?

Ce n’est pas une question de pression des taxes, mais bien plutôt une question fondamentale de gestion touristique dans les régions alpines. Le problème de base pour l’hôtellerie (et tous les autres secteurs touristiques connexes) est la saisonnalité. Les entreprises ne fonctionnent à plein régime que sur une saison en hiver (certains diraient même quelques semaines) et une demi-saison en été. Le taux d’occupation dans l’hébergement touristique à l’année est donc très faible et ne permet que difficilement la viabilité économique.

- Quelles pourraient être les conséquences, en termes d'emploi, d'un effondrement partiel du secteur ?

Dans une station, tous les domaines sont interdépendants: les remontées mécaniques, les commerces, l’hôtellerie, la restauration, le commerce et l’immobilier. Comme les prestataires de l’économie locale et régionale sont très liés, un effondrement, même partiel, de l’hôtellerie de montagne aurait des conséquences graves pour toute l’économie à commencer par les remontées mécaniques. La résistance des stations à ce genre de scénario est difficile à chiffrer et demanderait une sorte de « stress test » comme on le connaît dans le secteur bancaire.

Un commentaire

  1. Posté par André Guinnard le

    Les professionnels de la location, hôteliers, agents immobiliers et autres gérants de comping, savent bien que l’hôtellerie de montagne dépasse rarement 35% de réservation sur l’année. Les loueurs de logements de montagne ont un taux de réservation bien plus élevés, jusqu’à 70%.
    Ainsi, ce n’est pas l’hôtellerie qu’il faut promouvoir, mais l’afflux de touristes vers les régions de montagne. Pas si facile! Suisse Tourisme et autres Cantons Tourisme dépensent près de 200 millions de francs par année, surtout pour l’hôtellerie d’ailleurs, et le résutat est négatif: il y a de moins en moins de touristes dans les alpes depuis 30 ans.
    Ainsi, nous constatons que nos stations tirent davantage de revenus de l’entretien de leur parc immobilier que des dépenses des touristes. Mais aussi que ce ne sont plus les hôtelirs qui construisent les hôtels : ce sont les promoteurs immobiliers…

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