Si la Suisse n’avait rien à se reprocher, elle renverrait Miroslav Cvetković d’où il vient, au Kosovo. Si elle était consciente de ses responsabilités, elle lui accorderait l’asile.
Le sort de Miroslav Cvetković, à Vernayaz, a ému l’opinion valaisanne jusqu’à susciter une manifestation de soutien. Cela n’annulera pas l’ordonnance de renvoi à l’encontre de ce Serbe du Kosovo, réfugié en Suisse depuis 2003 et qui y a entretemps trouvé emploi et fondé famille. Comme des milliers de requérants d’asile, du reste, contraints à quitter ce pays des années après y être entrés. Ce délai est un scandale. Il ne fait qu’ajouter une tragédie de plus à des vies déjà tourmentées.
Le cas Cvetković me concerne à cause de mes origines. Mais pas seulement. C’est un coup majeur pour la diplomatie suisse.
Miroslav Cvetković a fui le Kosovo, comme la plupart des Serbes, parce que sa vie y était menacée. Les Serbes, de même que les Roms et autres minorités, n’y sont plus les bienvenus. Depuis l’entrée de l’OTAN dans cette province en juin 1999, la population serbe y a été divisée par six. En mars 2004, ils furent expulsés en masse sous les yeux indifférents des soldats occidentaux.
Dans l’intervalle, plus de 150 édifices chrétiens du Kosovo, la plupart de valeur historique, ont été démolis, incendiés ou saccagés. En 2010, le rapport de Dick Marty révélait des détails horribles sur le trafic d’organes humains et l’interpénétration des structures criminelles et politiques locales. Un rapport accablant, qui n’a suscité aucun démenti, aucune action concrète non plus. Comme s’il n’avait jamais existé.
Les Cvetković ne peuvent en aucun cas rentrer dans ce pays. Le 6 juillet dernier encore, un couple de Serbes qui avaient osé y retourner était assassiné. Le message est on ne peut plus clair, et Berne l’a entendu. Les Cvetković seront refoulés vers Belgrade, Serbie. Au besoin par la force.
Au mépris de sa tradition de neutralité, la Suisse s’est hâtée de reconnaître la souveraineté du Kosovo en 2008. Avec une stupéfiante naïveté, le Conseil fédéral a sans doute cru que cela règlerait les conflits ethniques et que les Kosovars reflueraient vers leur nouvel Etat. Il n’en est rien.
La moitié des pays du monde, et même en Europe, n’ont pas été aussi irréfléchis. Le statut du Kosovo varie selon d’où on le regarde: province serbe ou Etat indépendant. Pour Berne en tout cas, il n’y a aucun doute: c’est un Etat, elle a été la première à le clamer. Or, en refoulant les Cvetković vers la Serbie « restreinte », d’où ils ne viennent pas, elle s’apprête à discréditer triplement sa diplomatie à l’égard de cette région:
1) En reconnaissant que le Kosovo n’est pas un pays vivable pour ses minorités.
2) En admettant que le Kosovo est encore en quelque sorte sous juridiction serbe. Sinon, pourquoi ne pas renvoyer ses natifs en Roumanie, par exemple ?
3) En appuyant de fait, par de tels transferts de population, la politique d’épuration ethnique du Kosovo voulue par les extrémistes albanais.
Si la Suisse n’avait rien à se reprocher, elle renverrait Miroslav Cvetković d’où il vient, au Kosovo. Si elle était consciente de ses responsabilités, elle lui accorderait l’asile. En le refoulant à Belgrade, elle se renierait totalement.
1ère parution, Le Nouvelliste, 7 septembre 2012.
Votre réponse est politique et je ne la partage pas.
Je vous invite donc amicalement à relire la convention sur le statut des réfugiés, notamment : “Dans le cas d’une personne qui a plus d’une nationalité, l’expression «du pays dont elle a la nationalité» vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s’est pas réclamée de la protection de l’un des pays dont elle a la nationalité.” (art. 1§2)
😉
Lorsqu’un pays se profile fortement en faveur de la dislocation d’un autre pays pour des raisons “humanitaires”, il est capital qu’il ne retourne pas ensuite sa veste pour retomber dans la realpolitik. La Suisse a voulu un Kosovo indépendant au motif que cela mettrait fin au conflit ethnique et au “nettoyage ethnique” prétendument perpétré par les Serbes.
Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que les non-serbes ont pratiquement tous été expulsés, souvent violemment, du Kosovo; que cet “Etat” est officiellement gouverné par la mafia la plus brutale d’Europe; que c’est la région du continent où la vie humaine est au plus bas prix; que l’on y a pratiqué de manière systématique l’un des crimes les plus abominables que l’esprit puisse concevoir: l’enlèvement d’innocents aux fins de prélever leurs organes et de les vendre. Selon Dick Marty, ce trafic implique les plus hautes structures de l’Etat. Selon la déposition du témoin protégé de ces actes, les organes étaient souvent prélevés à vif et sans anesthésie (ainsi le cas du jeune homme de 19 ans qu’il a personnellement saigné).
Se fermer les yeux sur cette réalité, aujourd’hui, c’est en être complice.
M. Cvetkovic a peut-être de la famille en Serbie restreinte. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas de là qu’il provient. Au moment de sa fuite en 2003, il avait un passeport serbe — comme TOUS les ressortissants du Kosovo à l’époque, Albanais compris. Etant natif du Kosovo, il devrait être traité par la Suisse, qui a voulu cet Etat, comme un de ses citoyens. A moins que l’on accepte la prémisses des racistes: le Kosovo appartient au peuple albanais.
Le projet de renvoyer cet homme en Serbie, plutôt que de lui accorder l’asile ou de mettre en cause l’épuration ethnique albanaise, constitue une lâcheté et une page infamante de la diplomatie suisse que les historiens étudieront demain comme un exemple classique de compromission. “On savait et l’on n’a rien fait”: cela vous rappelle-t-il quelque chose?
PS Au vu de tout ceci, il va de soi que les considérations économiques invoquées par M. Favre apparaissent déplacées.
J’oubliais : je ne comprends absolument pas votre argument numéro 3.
A vous suivre, parce qu’une personne quitte le Kosovo et que la Suisse ne veut pas l’accueillir sur son sol, elle se rendrait complice d’une “politique d’épuration ethnique” ? Bien étrange argument… cette personne n’a-t-elle pas déjà quitté le Kosovo ? en quoi la Suisse est responsable de ce choix ? parce qu’elle offre des conditions de séjour trop attractives ? ;o)
Ce billet repose sur une prémisse erronée. Pour la Suisse, cette personne possède deux nationalités (Kosovo et Serbie). Elle a dès lors le choix de rentrer volontairement au Kosovo ou en Serbie. Si la Suisse menace de l’expulser par la contrainte vers la Serbie, c’est sans doute qu’elle y a résidé avant de venir en Suisse, y possède de la famille ou a requis un passeport serbe.
Enfin, je n’ai pas connaissance que la Suisse reconnaîtrait des persécutions au Kosovo (c’est pas un “safe country” ?) et donnerait l’asile aux minorités. Tout au plus peut-être une admission provisoire s’il s’agit de familles avec enfants ou de personnes malades ?
A mon avis, ce billet repose donc sur une prémisse erronée et je le regrette. La situation doit être déjà assez humainement difficile pour toutes les personnes concernées, à commencer par cette famille.
Au-delà de l’aspect politique…. même à entrer dans votre présentation polémique, le cas se présente à X reprises également pour des Coréens du Nord. Personne ne remet pourtant en doute la pratique de l’ensemble des Etats qui renvoient les Coréens du Nord au Sud, parce que le Sud ne reconnaît pas la partition… Seulement voilà, la Corée du Sud offre de meilleurs perspectives économiques que la Serbie ? 😉 Est-ce vraiment un élément à prendre en compte ?