Reprise. A l’occasion de sa condamnation à 21 ans de prison et non à l’enfermement en asile psychiatrique
Dossier. Si Breivik est un idéologue fanatisé et pas un fou, il pourrait aussi être vu comme un avertisseur…
Tant de choses ont été dites sur l’auteur de cet horrible massacre que l’on peut se demander s’il est encore possible d’apporter un élément d’analyse complémentaire. Tel est le défi.
En cause: les partis populistes et d’extrême droite ?
Les explications les plus diverses ont été avancées, de même que de multiples tentatives de récupérations idéologiques ont été tentées. La plus courante étant que la faute de ce genre d’acte est à l’extrême droite, aux mouvements populistes, à leur discours qualifié d’anti-étranger, d’islamophobe, de xénophobe, de raciste... Je ne pense pas que c’est là un apport très utile car cela revient à prendre les effets pour la cause, et pour la gauche notamment, à tenter de culpabiliser et de discréditer un adversaire politique. Ce n’est pas un parti politique qui a inventé et créé les problèmes sur lesquels Breivik a pris appui pour justifier ses actes monstrueux: le multiculturalisme(soutenu surtout par la gauche), l’islam, ainsi que les changements induits dans des sociétés postulées ici comme ayant été homogènes dans un passé idéalisé.
Breivik, d’abord fou
Cela montre déjà qu’il s’agit bien d’un discours politique et idéologique bien précis, même s’il est de type obsessionnel. On ne peut donc simplement qualifier Breivik de fou et croire avoir ainsi réglé le problème. En réalité, cela revient à tenter d’évacuer ce que ce massacre pose comme problème. La psychanalyse a tout simplement fait de la politique en le déclarant fou dans un premier temps, croyant nier ainsi le problème; première interprétation sur laquelle d’autres psychiatres sont vite revenus. Il y avait même risque de disqualifier cette discipline en procédant ainsi.
Breivik n’est plus fou, alors qu’est-il?
A propos de la thèse de la folie, sa non-pertinence, pour ne pas dire son absurdité, apparaît clairement à l’aune d’autres exemples, plus monstrueux et terrifiants encore parce qu’ayant fait des milliers de morts et de blessés. On pense tout de suite aux attentats du 11 septembre 2001 à New York par le groupe le plus extrémiste des islamistes. Personne n’a dit que leurs auteurs étaient fous et cherché à évacuer ainsi cet acte hautement politique et idéologique. On a parlé de fanatisme idéologique et je crois que c’est là qu’il faut chercher certains éléments d’explication. Il n’y a jamais une seule cause à un tel phénomène; c’est un ensemble d’éléments qui, en se cumulant, peuvent entraîner, dans les cas limites, de tels comportements.
Il n’y a jamais de facteur unique d’explication
Des facteurs personnels jouent aussi un rôle: l’auteur de ces actes a dit à plusieurs reprises que le type de vie mené par ses parents le dégoûtait ; il n’avait plus guère vu son père depuis son enfance, etc. Des traits de caractère bien particulier étaient présents.
Mais tout se passe comme si, dans un long processus, une dimension, un facteur, devenait dominant et subsumait tous les autres et dont le cumul a produit une puissance et une force telles que ce facteur devient central, omniprésent et finit par orienter l’ensemble des comportements.
L’idéologie poussée à son extrême
Partons de l’idée que ce facteur était dans le cas présent l’idéologie, la logique de l’idéologie. L’idéologie a en effet sa propre logique, tout à fait spécifique, avec des conséquences qui sont à peine imaginables, tant elles peuvent être terrifiantes; l’histoire nous en a donné de multiple exemples.
Une idéologie peut être partagée, intériorisée, à un degré variable, degré qui peut aller de la simple sympathie pour un courant d’idées, sans engagement réel, jusqu’au stade ou un individu ou un groupe peut être entièrement possédé par une idéologie, au point de n’agir plus qu’en fonction d’elle et, pire encore, de vouloir, à tout prix, faire en sorte qu’elle triomphe, l’emporte sur toutes les autres et sur la réalité elle-même. Tous les moyens devenant alors bons pour arriver à cette fin.
Lorsque la psychanalyse s’intéresse à l’illusion idéologique
Sur ce point, la psychanalyse, appliquée à la politique, a développé des éclairages intéressants en montrant le lien étroit existant entre illusion, croyance et idéologie. L’illusion n’a nul besoin d’être confirmée par le réel pour être agissante(il est exclu d’entrer ici dans des citations détaillées!). L’idéologie devient un système de pensée qui promet l’accomplissement de l’illusion. Le simple fait d’adhérer à une idéologie produit déjà une satisfaction, la satisfaction du désir, la satisfaction imaginaire du désir. La volonté d’accomplissement d’une illusion, d’une idéologie, peut être telle qu’elle entraîne la destruction de tous les obstacles qui entravent son accomplissement, soutenue qu’elle est par les dimensions affectives et symboliques de ce désir d’accomplissement. La psychanalyse peut faire mieux que déclarer fou; elle peut contribuer à faire comprendre la puissance agissante de l’idéologie, encore plus du fanatisme idéologique, dont Breivik est empreint.
Reprenons les principaux contenus de son «programme politique»: la puissante détestation affective du multiculturalisme, de l’islam et de ses défenseurs, en l’occurrence du socialisme, (pour lui), et l’attachement indéfectible à la culture traditionnelle de son pays perçu comme profondément menacée. Tout le monde peut être touché par tel ou tel aspect de ces divers facteurs mais le point essentiel réside dans le degré d’attachement à ces éléments et qui, dans son aboutissement ultime, se nomme fanatisme, que plus rien et plus personne ne peut arrêter. Il y a fanatisme lorsque quelques idées simples deviennent le moteur et le guide ultime de tous les comportements et que ces idées doivent impérativement être traduites dans la réalité. C’est bien cela l’objectif de ceux qui endoctrinent d’autres pour les pousser à l’action, au sacrifice de leur vie. La mort devenant une délivrance héroïque au nom de la cause défendue jusqu’au bout, inconditionnellement, totalement. Plus la traduction des idées dans la réalité est atteinte plus le fanatisme est accompli. Faire plier la réalité à son système d’idées, quels que soient les moyens et les conséquences, tel est le fanatisme idéologique, qu’il soit politique, religieux ou autre.
Breivik accuse les médias
Dans les premiers jours du procès certains médias ont relaté minute par minute les détails de son déroulement. Une fois ces médias mis en cause par Breivik, les médias sont devenus étrangement moins loquaces.
« Tous les journalistes européens soutiennent le multiculturalisme.Je ne suis pas raciste, je suis un antiraciste…si les médias norvégiens n’avaient pas mené une campagne contre le Parti du progrès, je n’aurais pas mis en scène mon attaque… ». Breivik déplore encore « que les médias norvégiens ne donnent pas davantage de place aux « conservateurs » tels que lui…J’ai tenté d’approcher différents médias , ils n’ont pas voulu m’écouter »(Journal 20 Minutes du 20 avril, 9h20 et 9h23 du procès).
La logique de l’idéologie
Il est possible de préciser davantage le fonctionnement de la logique idéologique qui est, d’autre part, à l’opposé total de la logique de la recherche scientifique par exemple. Breivik n’est donc pas fou: la réalité de son pays, telle qu’il la percevait, lui devenait simplement à ce point insupportable et inaudible que le passage à l’acte lui semblait la seule solution pour ramener à son idéal une réalité perçue comme profondément pervertie et inacceptable.
La croyance idéologique ne connaît pas le doute; elle est certitude, affirmative, nécessaire, impérative. La croyance idéologique nie et affirme de façon absolue. Une idéologie qui doute n’est plus une idéologie. Quelques grands axes d’interprétation simples et systématiques permettent de tout comprendre. Ici on ne s’embarrasse pas des multiples nuances et aspects contradictoires de toute réalité sociale, comme on tente de le faire dans la recherche.En idéologie, à la précision et aux faits on préfère la généralité et le bon sens. Le langage, les mots, sont évocateurs, figuratifs, imagés, suggestifs, prestigieux et surtout émotionnels et affectifs. Pas de langage froid et analytique comme en science. L’idéo-logique ne fonctionne pas suivant le schéma du juste et du faux, mais en termes de Bien et de Mal, du Même ( moi, mon pays, ma culture…) et de l’Autre( l’étrange, l’étranger..).L’idéo-logique est constitutivement dichotomique, manichéenne. Son aspect moral permet à la fois de louer(soi-même) et de condamner (tout ce qui est autre).
Le croyance idéologique, plus réelle que la réalité
La croyance idéologique devient plus réelle que la réalité, elle transcende cette réalité; elle relève du désir, pour ne pas dire du rêve, de l’imaginaire. C’est pour cela qu’elle a un impact aussi puissant et qu’elle peut entraîner des adhésions aussi totales et inconditionnelles. C’est cela le fanatisme idéologique et Breivik vit bien dans un univers fantasmatique alimenté par une logique propre au fanatisme.
Le fanatisme idéologique ne tombe pas du ciel
Mais le fanatisme idéologique ne tombe pas du ciel; il naît plus facilement dans un contexte à problèmes considérés comme graves, voire intolérables par une partie non négligeable de la population. Les membres d’une telle société réagissent de manière variable, qui va de la frustration rentrée à l’exaspération vive et qui peut effectivement tourner dans sa phase ultime, chez certains individus, au fanatisme aveugle et inconditionnel.
Une sonnette d’alarme ?
Last but not least: en empoignant de manière ferme et déterminée les problèmes considérés comme les plus graves et intolérables par une partie de la population, une société donnée peut aussi limiter les risques d’éclosion du fanatisme. Lorsque un problème social «brûlant»devient par trop insupportable, il y a tôt ou tard des actes, individuels ou collectifs, désespérés, extrémistes, voir de justice dite populaire. Si Breivik est un idéologue fanatisé et pas un fou, il pourrait aussi être vu comme un avertisseur, si l’on tient compte de la partie invisible de l’iceberg qui se cache derrière la terrifiante atrocité de ses massacres idéologiques.
Uli Windisch, 24 août 2012
Un livre de Richard Millet vient de paraitre en France :
“Langue fantôme (suivi) de Eloge littéraire de Anders Brévik”…
Millet , sur Brévik, rejoint votre analyse.
Millet s’en prend au multiculturalisme et à la décadence d el’Occident et n’est pas tendre envers l’islam qui s’impose.
Mais la polémique fait rage. Sa tête est quasiment mise à prix et des collaborateurs de la maison d’édition Gallimar où il est éditeur, demandent son .
Heureusement, il y a d’honnêtes et intelligents journalistes qui ont compris ce qu’il a voulu dire dans cet ouvrage et qui prennent sa défense… mais ils sont tout autant mis à l’index par la bienpensance –
http://www.robertmenard.fr/2012/08/30/en-defense-de-richard-millet/
Que de discours sur ce drame tout d’abord juteusement exploité par les médias en général. Le tout récent drame de Denver Aurora confirme une fois de plus que ce genre d’individus n’est ni classable dans les catégories de criminels et/ou de désaxés. Ces individus sont des erreurs de la nature (elle se trompe parfois) et méritent une éradication physique, sans trop chercher à comprendre et à disserter.
A M. U. Windisch. Je me dois de rectifier: vous n’êtes nullement suspect pour personne de cautionner cette tuerie, j’ai été mal compris. Empathie signifie “se mettre (souffrir) à l’intérieur de quelqu’un” et non cautionner sa pensées ni encore moins ses actes. Je remarquais simplement que votre empathie pour les personnes touchées par ce drame avaient été omises, probablement parce qu’étrangère à votre propos, c’est ce qui m’a gêné. Mais c’est finalement votre droit le plus strict. On peut disserter longtemps sur le fanatisme idéo-logique mais il s’agit d’abord d’une réalité irrationnelle qui par définition résiste totalement à l’analyse. Me reviennent à l’esprit les propos de Jean-François Kahn (“citation du jour” prise dans le Temps ), même si c’est horriblement défaitiste j’en conviens: “Je ne crois plus que le journalisme puisse changer le monde. J’ai été journaliste cinquante ans, j’ai créé des journaux, mais ça n’a servi à rien”.
Bonne analyse et le crime est certainement guère influencé par des partis de droite. D’ailleurs il faut rappeler que les plus grands dictateurs criminels de l’histoire étaient communistes ( Mao, Staline, Pol Pot, etc) ou socialistes (Hitler, National-socialiste)
On se demande s’il ne faudrait pas, systématiquement, faire psychanalyser les psychiatres!! Et, pour la règle générale on remarque que, dans nos sociétés occidentales, berceau de la démocratie et des libertés on n’avait, toujours pas compris que, les règles de démocratie et de la liberté doivent être appliquées uniquement à des personnes resp. des états qui les respectent! Or, on remarque que l’on s’investit bien plus dans la défense des assassins que dans celle de leurs victimes! Triste déclin d’une culture millénaire.
la remarque de E. Coquoz est typique de notre époque où on doit, en toute analyse (et je parle bien d’analyses, pas de discours politique), reconnaître d’abord les victimes (vraies dans ce cas, supposées dans d’autres cas) et faire allégiance à l’esprit du temps du genre “je dois d’abord souligner que je ne suis pas ceci ou cela, que je ne soutiens pas telle thèse etc”. Et curieusement, les commentaires se focalisent sur l’arbre et non sur la forêt…
Suis vraiment désolé mais je vous prie de bien vouloir relire attentivement mon papier car en rien mon propos revient à justifier de telles atrocités(quelle horreur!) mais au contraire à en éviter d’autres.Mon article est le résultat d’une très longue recherche qui cherche à montrer à quoi peut amener le fanatisme idéologique sous toutes ses formes.Pensez simplement aux différents totalitarismes, tous issus de logiques idéologiques.UW
Accorder à un tueur la fonction salutaire d’être un avertisseur n’est pas inintéressante en soi mais ne justifiera jamais aucune tuerie. Celle-ci fut particulièrement abjecte et la parade ne se trouvera jamais au bout d’une plume, si cultivée fut-elle. Votre seule empathie pour le tueur, jamais pour ses victimes est étonnante, même on apprécie souvent votre façon de sortir des sentiers battus. Que vous arrive-t-il M. Windisch ? Revenez parmi nous.