Le concert d’orgue n’est bien sûr qu’un prétexte à cet article : quiconque a connu de l’intérieur une institution prestigieuse – publique ou privée- côtoie le véritable malaise sans rémission…
Dans une société aussi policée de « communication » que la nôtre, les « problèmes » se voient rarement de l’extérieur. C’est pourquoi le plus petit trou dans la façade vaut qu’on y colle l’œil… comme cette anecdote tirée du programme de la Fête de la Musique.
J’avais beau relire l’horaire synoptique de la page centrale, je ne retrouvais plus l’information. Il me semblait bien avoir lu qu’un concert d’orgue aurait lieu dans une chapelle de cimetière. Après avoir parcouru dix fois en vain la liste, j’allais renoncer, quand, glissant de mes mains par mégarde, le journal s’ouvrit juste à la bonne page. Un encadré dans un coin confirmait qu’il y aurait bien de l’orgue à la Chapelle des Rois le samedi, et dans celle de Saint-Georges le dimanche. Mais bigre, pourquoi ledit concert était-il « discriminé », voire « ostracisé » par l’horaire général ? La réponse, je l’ai sollicitée sur place, en posant la question à l’accueil de la Chapelle des Rois. « La Fête de la Musique ne veut pas qu’on fasse des concert dans les lieux de repos comme les cimetières ou les maisons de retraite ». Comment… la Fête de la Musique, c’est la Ville de Genève, et le programme du concert de la Chapelle portait aussi le logo de la Ville, à la gloire de l’orgue « instrument des anges et instrument des rois ». Oui, mais « c’est le Département de la culture et des sports qui a la haute main sur la Fête ; nos deux concerts à nous sont soutenus par le Département de la cohésion sociale et de la solidarité ». Pourquoi un Département croit-il bon de se poser en défenseur du repos des morts, et l’autre, en animateur de leur vie posthume ? Les siècles passés ont mis aux prises les tenants des mânes tutélaires passéistes et ceux des classes montantes futuristes... mais ça faisait longtemps qu’on n’avait plus vu de guerre civile entre les défunts siesteurs et les défunts danseurs. Guerre par procuration ; et dans un Etat de droit, tout est affaire de procuration. C’est même une définition possible du clientélisme; alors - pour paraphraser Voltaire - si vous voyez deux Services faire le mort avec ou sans musique, suivez l’un et l’autre... il y a des voix à gagner des deux côtés. C’est ce qu’on appelle la richesse de la « diversité » et les cultures « plurielles ».
Le sable n’est pas béton
Mais on peut voir dans cette maigre affaire un simple couac… ou un conflit de « check lists ». D’ailleurs, le patron du Service de la Culture et des sports, rencontré peu après, n’avait pas l’air d’avoir calculé son couac. Mais même les couacs administratifs ont leur « logique », comme les lapsus, et sans doute bien plus : la bienséance est la langue maternelle de toute administration. Dans notre cas, la Culture s’est-elle saisie de la liste du « respect », et la Cohésion, de celle de « l’égalité », deux mots clés de notre vie « citoyenne » lourds de subventions? Le concert d’orgue n’est bien sûr qu’un prétexte à cet article : quiconque a connu de l’intérieur une institution prestigieuse - publique ou privée- côtoie le véritable malaise sans rémission. Une fois satisfaites les exigences hiérarchiques, réglementaires, financières, protocolaires, copinesques, quotaïques, et même égalitesques… il ne reste plus un chas (d’aiguille) pour laisser glisser un fil de logique ni de justice. Ni même laisser passer un grain de sable: c’est voulu... mais est-ce béton ?
Et vous, qu'en pensez vous ?