Doris Leuthard préparerait un scénario misant sur la construction de centrales à gaz pour compenser les cinq centrales nucléaires qui devraient être abandonnées d’ici à 2050, assurait la “NZZ am Sonntag”. Elle donne du crédit aux gaziers suisses qui ont élaboré un scénario pour compenser au moins 57% du courant nucléaire manquant dans une première phase. Interview du directeur général de Gaznat, René Bautz.
Du gaz polluant au lieu de l'atome? Les écologistes qui ont réclamé le démantèlement des centrales nucléaires suisses - Mühleberg en tête - après l'explosion du réacteur de Fukushima de mars 2011, ne souriaient pas à la lecture de la NZZ am Sonntag. Le quotidien dominical annonçait que Doris Leuthard comptait en partie sur des centrales à gaz pour remplacer l'énergie manquante. La réalité semble un peu différente, le Conseil fédéral ne parle plus que d'une centrale: "Quoi qu'il en soit, nous nous préparons à faire face", commente René Bautz, directeur général de Gaznat, à Vevey. Cet ingénieur électricien de l’EPFL est thurgovien d’origine, mais a suivi sa scolarité entre Genève, Nyon et Lausanne. Après un stage au Canada, il a travaillé à Neuchâtel (ENSA), aux Câbleries de Cortaillod, avant de diriger les Services Industriels de Bienne, puis les Forces électrique de l’Aubonne:
Après l’accident de Fukushima, les autorités fédérales n’ont rien trouvé de mieux que le gaz pour sortir du nucléaire, un aveu d’impuissance ?
Certes, il ne s’agit pas d’énergie renouvelable, mais le gaz permettrait d’assurer la transition jusqu’à ce que les énergies renouvelables gagnent en importance.
Les centrales à gaz ne sont pas inoffensives pour l’environnement…
Elles émettent aussi du CO2, mais c’est quand même l’hydrocarbure qui a le taux de carbone le plus faible. Chaque fois que l’on peut remplacer une production d’électricité à partir du charbon ou du pétrole, on dégage moins de CO2. Il faut aussi tenir compte des compensations de CO2: dans le futur, la production électrique à partir du gaz devrait être complètement compensée au niveau CO2. Nous sommes par ailleurs en train de créer à l’EPFL une chaire de géoingénierie pour développer des techniques permettant de capter et de séquestrer le CO2 dans des couches géologiques pour éviter qu’il ne parte dans l’atmosphère.
Combien de centrales à gaz suisses pourraient être construites à l’avenir ?
Trois projets existent en Suisse romande: dans le Chablais valaisan, il s'agit de l'ancienne usine thermique de Chavalon avec une production pouvant aller jusqu’à deux tranches de 400 MWe. Dans le canton de Neuchâtel, il existe à Cornaux un projet situé à côté de la raffinerie de Crissier, où l'on pourrait construire une nouvelle usine de 400 MWe. Par ailleurs, il existait également un projet de couplage chaleur-force à Vernier qui a été abandonné en févrrier dernier par le gouvernement genevois. Ce projet à 200 millions de francs aurait vu les Services industriels de Genève installer une usine produisant à la fois de la chaleur pour le chauffage à distance et de l’électricité (réd: les SIG pourraient tout de même avoir leur centrale chaleur-force au Lignon, en format réduit, en transformant la chaufferie à gaz qui alimente le réseau de chaleur à distance Lignon-Avanchets-Meyrin-Aéroport). A moyen terme, on pourrait aussi imaginer de mettre en service trois à quatre centrales du type Chavalon A Chavalon, où l’usine pompait du pétrole lourd de la raffinerie alimentée depuis Gênes, il s’agira de construire un prolongement du gazoduc pour amener du gaz en quantité équivalente à la consommation annuelle de Genève. Avec sa cheminée dominant les couches thermiques du plateau valaisan, l’usine polluerait beaucoup moins qu’avec le pétrole lourd issu des résidus de la raffinerie. Il reste deux obstacles à surmonter, celui de la compensation de CO2 et du coût de production, car il n’est pas possible d’utiliser la chaleur pour le chauffage à distance.
La catastrophe de Fukushima donne un nouvel élan inattendu aux gaziers…
Il y a un avant et un après-Fukushima. Pour l’Association suisse de l’industrie gazière, l’abandon progressif du nucléaire nécessite une solution intégrant le recours accru au gaz. Nous sommes prêts à jouer le jeu. L’avantage du gaz est sa flexibilité d’utilisation. Il délivre de la puissance lorsque les autres énergies ne sont pas en mesure de le faire : absence de vent, manque de soleil ou pics de consommation. A l’horizon 2018-2023, il va falloir remplacer les trois plus anciennes centrales nucléaires de Beznau I et II, Mühleberg ainsi que les contrats de fourniture passés avec la France. L’économie gazière est en mesure de remplacer au moins 57% de la consommation électrique d’origine nucléaire suisse manquante ou même 93% de la production du mois le plus chargé, celui de janvier. Dans une deuxième phase (2035-2045), où il faudra remplacer Gösgen et Leibstadt et où le recours à des énergies renouvelables entraînera des besoins moins importants en gaz, les gaziers pourraient couvrir en tous les cas 33% de la consommation électrique nucléaire manquante et 53% au mois de janvier. L’avantage est que les centrales à gaz peuvent être réalisées rapidement et à relativement bon prix en utilisant les infrastructures existantes, vu que le réseau de transport de gaz n’exige pas de gros développements.
Les forages entrepris sous le Léman par Petrosvibri à Noville (VD) ont prouvé la présence de gaz méthane…
Les premiers échantillons recueillis à 3500 m de profondeur ont été analysés par des experts mandatés par Petrosvibri. La présence de gaz méthane a été constatée. C’est un très bon signe. Il s’agit maintenant de déterminer les quantités exploitables. La Suisse n’a connu qu’un seul forage d’exploitation à Finsterwald, dans l’Entlebuch (LU). De 1985 à 1994, des petites quantités de gaz ont pu être injectées dans le réseau suisse. A Noville, il a été dépensé près de 30 millions de francs, soit plus que le budget de 22,5 millions. Les foreurs ont connu de mauvaises surprises avec les têtes de forage, bloquées en profondeur et qui ont dû être découpées à l’explosif. Le puits d’exploration est maintenant fermé et l’on verra s’il est possible de l’utiliser pour l’exploitation. Il faudra peut-être forer d’autres puits. Dans le monde, il existe des puits creusés jusqu’à 10'000 m, mais les structures géologiques de Noville confirment qu’il est inutile de forer plus profond. Il est clair que la qualité de gaz extrait joue un rôle. Son traitement est plus ou moins simple en fonction des sous-produits qu’il contient ou de son taux d’humidité.
Quels seront les premiers bénéficiaires du gaz du Léman ?
Si le site de forage se situe à Noville (VD), les poches de gaz sont vraisemblablement à cheval sur Vaud, le Valais et la France. Dans ce cas, il faudra opérer une répartition géographique et négocier au niveau diplomatique entre Berne et Paris.
Près de Payerne, il est aussi question d’extraire du gaz de schiste…
Un Suisse émigré au Texas, Martin Schüpbach, le fondateur de Schüpbach Energy à Dallas, a demandé des autorisations pour effectuer des recherches en Ardèche, mais aussi en Suisse, près de Payerne, sur Vaud et Fribourg. Grosso modo, les réserves prouvées de gaz conventionnel en Suisse sont estimées entre 50 à 100 milliards de m3. Pour le gaz de schiste, si l’on extrapole les estimations faites en Ardèche, les réserves devraient atteindre plusieurs dizaines de milliards de m3. Un chiffre à comparer aux 3 milliards de m3 de la consommation annuelle suisse.
Mais l’extraction du gaz de schistes nécessite de grandes quantités d’eau pour fractionner la roche...
Les foreurs injectent des centaines de m3 d’eau pour un seul puits, y compris certains types d’adjuvants pour améliorer la fracturation et la migration du gaz. Outre-Atlantique, les Américains ont utilisé certains adjuvants – on parle de 700 à 800 types différents - qui peuvent être toxiques pour certains. Mais d’après certains spécialistes, il serait possible de réduire et mieux contrôler ces adjuvants. Il faudrait imposer un cadre bien défini et des contrôles. Les Européens pourraient tirer des enseignements des erreurs commises aux USA. Il faut aussi prendre soin de garantir l’étanchéité des puits de forage quand on traverse des nappes phréatiques. A Fribourg, le conseil d’Etat a annoncé un moratoire sur l’exploration, tout comme en Ardèche.
Par rapport au gaz conventionnel, que coûterait l’exploitation du gaz de schiste ?
Un tout petit peu plus cher, mais cela dépend des couches géologiques traversées. C’est surtout le forage dirigé (réd : incliné ou en courbe par rapport au forage vertical) qui nécessite une technique plus évoluée. Ce serait une erreur de tout arrêter, car il existe un potentiel méritant d’être exploré dans un cadre clair et précis pour protéger l’environnement. Selon les estimations mondiales, les réserves prouvées de gaz conventionnel dépassent 60 ans de consommation annuelle. Avec les réserves non-conventionnelles comprenant aussi le gaz de charbon et le gaz « piégé » dans d’autres roches que du schiste, on dépasse les 200 ans de consommation.
Si vous souhaitez avoir un aperçu des “bienfaits” des gaz de schistes visionnez le documentaire “Gasland” de Josh Fox. Est-ce vraiment cela que l’on souhaite pour notre pays?
Je suis entièrement d’accord avec le commentaire de Daniel Paul concernant le remplacement de l’énergie nucléaire à court terme. Je suis aussi d’accord avec Conrad Haussmann au sujet de la dépendance de l’approvisionnement à plus long terme.
Mais, avant d’invoquer à la légère l’utilisation à grande échelle d’énergies renouvelables, il faut porter une vision globale sur la manière dont ces sources potentielles d’énergie (ensoleillement, vent, vagues, hydrologie) participent au fonctionnement de la “machine écologique” dans laquelle nous vivons.
Notre unique apport d’énergie inépuisable est le rayonnement solaire. Les 47 Térawatts (TW. Un TW vaut mille milliards de Watts) que l’humanité consomme actuellement à chaque instant ne représentent qu’un dix millième de cette puissance qui nous vient constamment du Soleil – une quantité négligeable à première vue. Environ 17 TW de notre consommation viennent de la combustion de produits pétroliers et 2 TW de réacteurs nucléaires – donc par consommation de notre “capital” énergétique. Ce sont ces derniers qui devraient être en un premier temps générés par des processus renouvelables.
L’énergie contenue dans le vent, vagues, courants marins et vapeur d’eau précipitable dans l’atmosphère – en d’autres termes ce qui détermine notre climat – est dérivée de la chaleur du rayonnement solaire et ne représente qu’une faible proportion de cet apport primaire d’énergie. Si nous nous mettons à capter ces sources d’énergie secondaires de manière importante il est probable que notre “empreinte écologique” climatique puisse alors devenir préoccupante à la manière de ce qui se passe avec le CO2.
Axel Kleidon, un chercheur à l’Institut Max Planck en Allemagne, a modélisé certains de ces scénarios et sa conclusion est que l’utilisation à très grande échelle de l’énergie éolienne influerait sur la circulation atmosphérique d’une manière comparable aux effets de l’augmentation actuelle du CO2.
L’option la moins nocive, et plus productive à long terme, serait d’utiliser directement l’énergie solaire sans “parasiter” l’énergie que notre système écologique a capté avec un faible rendement initial. Toutefois, la captation de l’énergie solaire elle-même soulève toute une série de problèmes techniques en regard du rendement, du coût, de la localisation géographique des installations et des problèmes politiques liés à ces derniers.
Les solutions ne sont pas simples et ce ne sont pas des décisions hâtives et démagogiques qui les résoudront.
Que ferons-nous quand Russes ou Ukrainiens sous un prétexte ou un autre fermeront le robinet ?
Le vrai choix énergétique que devront faire les parlementaires et plus tard, citoyens de ce pays sera entre le gaz et le nucléaire pour produire leur électricité.Bien sûr, nous augmenterons la proportion d’électricité d’origine renouvelable, mais la part annoncée de 20 % en 2020 est assez irréaliste. Rappelons que la proportion de photovoltaïque était de 0.12 % en 2010 et la part d’éolienne de 0.06 la même année. Il convient d’augmenter cette part autant que faire se peut, mais sans rêver. Avec un peu de chance, la géothermie fournira un petit supplément d’ici dix ans.
Les économies d’énergie seront également indispensables, mais là également, les plans prévoyant de diviser par trois la consommation d’énergie “per capita” en Suisse, pour l’amener à 2000 watts ne seront probablement pas acceptables pour le peuple.
L’augmentation de la proportion d’électricité d’origine hydraulique (aujourd’hui env. 55%) sera difficile à réaliser. Qui voudra de nouveaux barrages dans sa vallée ? Qui acceptera de ré-hausser les barrages existants? La micro hydraulique n’apportera qu’un petit supplément. De plus, selon certaines prévisions, la production d’électricité hydraulique pourrait commencer à se réduire d’ici deux décennies avec la disparition des premiers glaciers.
Le vrai choix se fera bien entre le gaz et le nucléaire.
En ce qui concerne le gaz, la vision de grandes centrales est-elle la plus judicieuse? De récents progrès dans la micro co-génération (micro CHP ou micro CCF) donnent des résultats très intéressants. En effet, ces petites installations micro CHP, utilisant des piles à combustible alimentées au gaz naturel offrent des rendements atteignant 90%, (65 % d’électricité, 25 % de chaleur). Ces installations décentralisées dans des immeubles, des maisons individuelles, des appartements s’intègrent très bien dans les réseaux intelligents ou “smart grids”. Elles sont programmables à distance, ce qui permet au gestionnaire de réseau de les mettre en fonction, de controler leur puissance ou de les arrêter en fonction de la demande en énergie électrique. Le réseau de distribution de gaz naturel existe et la mise en oeuvre semble aisée. Cette décentralisation complique par contre la séquestration éventuelle du CO2 émis. Le problème du “peak de production” des combustibles fossiles et de l’approvisionnement du pays en gaz naturel demeure une incertitude qui pourrait peser sur cette option “gaz”.
En ce qui concerne le nucléaire, l’approvisionnement en combustible sera peut être plus facile et “assuré” pour une durée plus longue, surtout avec l’option thorium. Les restrictions d’électricité et d’énergie en général pousseront elle le peuple à oublier quelque peu la peur du nucléaire provoquée par un accident, puis que certains politiques et nos chers medias ont inlassablement cultivée ?
De toute manière dans le domaine de l’énergie un arbitrage s’imposera entre économies, part de renouvelable, et les deux vecteurs principaux, le gaz ou de nucléaire qui constitueront une bonne partie du cocktail.