Hélène Richard-Favre, histoires d’espoirs et de paranoïa

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C’est dans un style simple, poétique et limpide qu’Hélène Richard-Favre, au travers de brefs dialogues et de monologues, livre le récit de vies minuscules et singulières, fantasques et absurdes.

Linguiste et slaviste genevoise, Hélène Richard-Favre se situe en permanence sur le fil de l’étrange et se joue des failles du langage dont elle exploite les silences et les marges.

Histoires de couples, de deuils, de vieillesse, de mémoire et d’oubli, histoires d’espoirs et de paranoïas, elles tiennent en quelques lignes et tirent leur force de cette économie de moyens, de leur précision tendue et de la tonalité particulière des voix qui les portent. Avec sobriété et un art consommé de la chute, Hélène Richard-Favre livre ainsi de petits bijoux minimalistes qui oscillent entre folie et raison, drame et fantaisie et, sans avoir l’air d’y toucher, questionnent le monde et le langage. (Perles minimalistes, critique d’Anne Pitteloud, « Le Courrier», le 26 août 2011)

L’écrivain, par ailleurs, s'exprime aussi à travers des blogs sur le site de La Tribune de Genève et sur les réseaux sociaux de VillepinCom.net et de VillepinNet,  et des courriers de lecteurs dont 16 ont été publiés en un an par Le Temps, La Tribune de Genève, Le Matin et Le Matin Dimanche.

Ses nouvelles ont été traduites en cinq langues, russe, anglais, géorgien, italien et arménien et sont toutes parues en éditions bilingues, sauf la première  édition, en français à Turin en 1988.

Ses recueils ont été présentés dans les universités, instituts français et grandes librairies de Moscou, Saint-Pétersbourg, Tbilissi et Rome.

Des mises en lecture bilingue par deux comédiens professionnels anglais et français ont été soutenues par le D.I.P pour 600 élèves de classes bilingues des Collèges de Genève.

Une soirée bilingue a été organisée à Genève par deux comédiens professionnels géorgiens et français et une lecture plurilingue au Festival de la Cité à Lausanne.

Lien de référence: http://www.culturactif.ch/ecrivains/richard_favre.htm

La nouvelle Théâtre ouvre le prochain recueil d’Hélène Richard-Favre, à paraître à Moscou en édition bilingue russe-français.

Le texte de la nouvelle Théâtre :

                         On pleure parfois les illusions avec autant de tristesse que les morts.

                                                                                                                    Guy de Maupassant

- Qui cherchez-vous, ici, il n’y a personne. J’avais un fils. Il n’est plus là.

- Justement, parlez-nous de lui!

- Il est parti.

- Où?

- Si je le savais. Il était malade. Un faible, un nerveux, que j’ai choyé  mais qui a pourtant choisi d’abréger ses jours à cause de préceptes qui le tueraient, me répétait-il sans cesse. Mais comment aurais-je souhaité la mort de mon enfant? Serait-ce bien raisonnable de mettre au monde des êtres dont on s’acharnera à rendre l’existence impossible? Cependant, voyez-vous, Monsieur le Commissaire, derrière celui qu’on croit connaître, se cache toujours un être qui vous échappe, vous scrute et se tait, tandis que celui qui vous sourit se moque de qui vous êtes, s’en désintéressant complètement. Car ces gens-là ne se situent qu’en deçà de notre monde et de nos critères pour l’apprécier et y évoluer. Ils ont déterminé des univers parallèles qui leur parlent davantage que celui commun à chacun de nous. Essayez donc de les en arracher et vous constaterez les dégâts! Pis encore que ceux que leur aveuglement provoque lorsqu’ils assurent être dans le vrai tandis que nous tous, nous nous trompons. Et parfois, ils vont chercher si loin leurs explications que vous vous y perdez mais les contrarier génère d’impressionnantes crises difficiles à maîtriser. Alors vous laissez faire et vous attendez que ça passe. Vous vous épargnez ainsi un flot de méchancetés inévitables si vous vous mettez en tête de contrarier le cours des événements. Oui c’est pénible de s’adapter à un fou sans faire montre de souplesse. Or la récompense est variable. Parfois, l’ingratitude est telle qu’elle incite à désinvestir. Et soudain un geste, un cadeau vous tombe du ciel et vous l’accueillez avec une émotion telle que vous n’en éprouverez jamais avec qui que ce soit d’autre de normal. Et pour ces instants-là, on continue de supporter.

Faire ce choix implique, non seulement qu’on ne songe plus à soi ou à l’image qu’on voulait donner  mais encore qu’on se consacre à cet intrus qui a décidé que son sang était uni au vôtre. Même si l’imposture ne vous a pas échappé, vous devez jouer le jeu du fou! Il faut donc s’improviser mère, en assumer toutes les charges sans attendre comme autre retour que ses pires aspects. Alors au début on supporte, on s’amuse même du quiproquo car il met plutôt en valeur, mais à la longue on réagit et on tempête. Parce que de la mère on n’en a rien, de la fausse mère, on ne peut parler et de la réalité de l’histoire, tout le monde s’en moque. Or elle m’a dépassée et je ne m’y suis soudain plus retrouvée.

Car il ne suffit pas de savoir qu’on vit avec un fou pour que ça ne se passe pas trop mal, il faut encore se rendre à l’évidence qu’il ne sera là que pour lui et à aucun moment pour vous! On s’imagine ne plus être seule alors qu’au contraire, on s’enfonce dans un isolement bien plus dangereux en ce sens qu’il ne sera pas perceptible de l’extérieur. Pourquoi, ce jour-là, ai-je accepté de l’aider?

Il était si triste de fuir cette maison où il se sentait de moins en moins chez lui, tant la présence de son grand-père occupait l’esprit de sa mère et les lieux aussi! Elle n’a pu témoigner d’intérêt à cet enfant qui attendait tout d’elle. Elle était prise de crises soudaines et jetait le garçon par terre pour ensuite s’effondrer sur lui et le serrer si fort dans ses bras qu’elle manquait l’étouffer. Un jour, il n’a plus rien compris aux caprices de cette femme qui le rejetait, le dévorait et l’oubliait pour aller s’endormir, seule dans une chambre, tout en haut de la maison. Et l’enfant attendait le retour de sa mère, qui ne revenait parfois plus avant le lendemain ou le surlendemain.

Le soir où il a décidé de partir, je me trouvais chez des amis, voisins de sa mère et m’apprêtais à monter dans ma voiture quand il s’est adressé à moi pour me demander si je me rendais en ville. J’ai acquiescé mais l’ai trouvé bizarre. Avant de le déposer au coin de la rue qu’il m’a indiquée, je lui ai proposé de boire un verre et il a accepté. Nous avons bavardé de choses et d’autres et j’ai tenté de percer un peu le mystère de son visage fermé et si peu souriant. Il m’a dit habiter avec sa mère mais n’a pas mentionné le grand-père. Puis il m’a demandé si j’avais des enfants et je lui ai parlé de mon fils décédé. Je n’aurais pas dû mais cette histoire m’habite tellement que je ne me rends même plus compte que j’en parle comme si elle était vraie…

Comme il m’a vue malheureuse et qu’il se sentait négligé, il a relevé, en riant, qu’on se compléterait bien! Et j’ai approuvé mais sans réfléchir aux conséquences de ma réponse, incapable d’en prévoir l’impact. C’est depuis cette soirée qu’il a décrété qu’il était le fils que je ne pleurerais plus en vain et que je serais une bien meilleure mère que la sienne. Il ne m’a plus quittée et je n’ai pas réagi. J’aurais dû, bien sûr, mais nos délires trouvaient l’écho qu’ils n’espéraient plus.

Loin de nos constructions hasardeuses, nous ne reconnaissions plus rien. Et nous redoutions plus que tout la solitude. L’isolement partagé n’est pas comparable à celui qui vous laisse seul au milieu de tous. Alors? Justement. Je ne sais plus. Son corps inerte, inutile, mutilé a rejoint celui de mon fils, parce qu’il a vraiment voulu l’être.

Vous y retrouvez-vous, Monsieur le Commissaire? Non, je comprends, je m’y perds moi-même. C’est normal, je n’ai jamais eu aucun fils, je les ai tous rêvés. Mais si fort que, prise de délire, j’en ai attrapé un dans la rue pour le comparer à ceux que je n’ai jamais eus. Il est là, lui aussi et bien vivant. Car il a refusé de se prêter à mon jeu et a cru bon de vous avertir que je pouvais être dangereuse. Je le suis, en effet, mais pas pour vous ni pour aucun de ces jeunes-gens. Je le suis pour moi, Monsieur le Commissaire. C’est déjà assez, dites-vous? Mais que comptez-vous faire? L’homme qui vous a prévenu est dans la pièce d’à côté, sur le canapé, à se demander comment il a pu me suivre jusqu’ici. Il est entouré de mannequins, vous savez, ceux qui posent dans les vitrines. J’ai une amie décoratrice qui a pensé m’aider en me les prêtant pour calmer mes angoisses. Elle a bien fait. Mais elle a décliné mon invitation lorsque je lui ai proposé le grand jeu avec tous et un vrai.  Vous me menottez? Pour aller déposer? Quoi? Qui ai-je tué? Aucun de mes fils. Pas d’avantage l’homme qui est là, juste assommé.

Mon esprit éperdu m’a entraînée loin de moi. Alors, dites-moi, maintenant, Monsieur le Commissaire, que souhaiteriez-vous boire? Chez un médecin, je m’y rendrai moi-même.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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