Traduit en 43 langues et publiés à 145 millions d’exemplaires depuis 1943, le Petit Prince est une mine d’or. Ancien concurrent de la Course autour du monde et ancien député radical, le Lausannois Jean-Marc Probst cultive une passion pour l’œuvre de Saint-Exupéry : il en possède 1150 exemplaires traduits dans toutes les langues.
«S’il te plaît…dessine-moi une poule aux œufs d’or !», aurait pu dire le Petit Prince à l’aviateur Antoine de Saint-Exupéry, tombé en panne de moteur dans le désert du Sahara.
Le héros du chef-d’œuvre de l’écrivain-pilote disparu au large de Marseille en 1944 connaît une nouvelle jeunesse avec une série télévisée diffusée cet hiver dans 80 pays. Budget : 18,6 millions d’euros pour une série de 52 épisodes destinée aux 6 à 10 ans avec quelques innovations audacieuses : il n’y a plus de narrateur adulte, le renard est devenu un personnage rigolo et un visage de femme apparaît à l’intérieur de la rose sous sa cloche de verre.
Quant au Petit Prince, il est devenu « un personnage bling-bling et permanenté qui va faire gémir les puristes », estime le magazine française Le Point. Car cet «avatar marketé» du personnage imaginé par St-Ex est porteur d’un message humaniste et écologiste.
«Nous le voulons ambassadeur du développement durable, de la paix dans le monde, de l’enfance…», explique Olivier d’Agay, l’un des petits neveux de l’écrivain, qui donne dans le politiquement correct. Président en charge de la Succession Saint-Exupéry, fondée par le frère d’Antoine en 1989, il dispute à coups de procès les retombées juteuses de l’œuvre de St-Ex aux héritiers de Consuelo Suncin, la veuve de l’écrivain décédée il y a trente ans.
La Succession veille aux gains
La Succession Saint-Exupéry est censée faire vivre et fructifier l’œuvre de l’écrivain-aviateur, crée des produits dérivés, veille au copyright des dessins du Petit Prince. Comme au Japon où une femme d’affaires avisée a ouvert un musée avec restaurant, café, boutique et salle d’exposition. La Succession emploie une dizaine de salariés et de correspondants internationaux.
L’image du héros blondinet est déjà dans le domaine public en Asie, en Afrique et au Proche-Orient, elle y entrera en 2015 dans le monde entier sauf en France où une loi surannée prolonge le délai (ndr : en l’occurrence jusqu’en 1932) pour les artistes «morts pour la France».
La Succession veut aussi récupérer le château d’enfance d’Antoine de Saint-Exupéry pour y créer un musée. Olivier d’Agay veille par ailleurs sur une Fondation Antoine-de-Saint-Exupéry pour la jeunesse qui a lancé des projets humanitaires en France, au Cambodge et à Madagascar.
Des procès à répétition
Face à la Succession présidée par le petit neveu de l’auteur, une autre branche se bat pour recueillir les miettes de la planète dorée : celle de José Martinez Fructuoso, l’héritier et ancien homme de confiance de la veuve de Saint-Ex, Consuelo Suncin, décédée en 1979 à l’âge de 78 ans. De la mère de l’écrivain, elle a hérité la moitié des droits patrimoniaux, mais sans avoir son mot à dire sur l’utilisation de l’œuvre. Ce José Martinez Fructuoso au patronyme bien choisi a été son jardinier et son secrétaire. C’est aujourd’hui un vieux monsieur à l’accent espagnol qui partage sa vie entre Paris et Grasse. Selon Le Point, il a organisé autrefois des expositions et même hérité de malles remplies d’archives, dont les originaux du Petit Prince qui valent aujourd’hui une fortune.
Plusieurs procès ont eu lieu entre les deux parties qui se disputent les droits dérivés du Petit Prince, notamment en 2005 après la publication du livre «Antoine et Consuelo de Saint-Exupéry, un amour de légende», qui recourt à des archives inédites de l’héritier de Consuelo sans l’aval du clan d’Agay. Procès perdu par le clan Consuelo qui doit payer 50'000 euros de dommages et intérêts à la Succession.
Le différent n’est pas définitivement réglé. Selon ses détracteurs, Consuelo n’est pas la seule femme de la vie de l’aviateur. Certains la voient comme une aventurière, alors que d’autres la décrivent comme « l’héroïne d’un amour hors normes ». Pour en avoir le cœur net, il faudra avoir accès à la correspondance entretenue entre les deux époux, mais une guerre juridique empêche toujours la publication de cette correspondance amoureuse…
La passion d’un entrepreneur vaudois
Face au succès universel du Petit Prince, l’une des œuvres les plus publiées après la Bible et le Coran et traduite en 240 langues et idiomes différents, des collectionneurs sont apparus un peu partout dans le monde. Parmi eux, un Suisse, le Lausannois Jean-Marc Probst, possède plus de 1100 exemplaires, dont deux originaux de la première heure, publiés en 1943 à New York (ndr : l’écrivain vivait alors à Long Island) à 260 exemplaires numérotés en français et 250 en anglais, signés de la main de l’auteur.
Ces ouvrages hors de prix s’achètent dans des ventes aux enchères et valent le prix d’une petite voiture. Le Petit Prince y est encore habillé d’une cape verte, qui deviendra bleue dans les éditions suivantes : «J’ai commencé à collectionner les ouvrages du Petit Prince lors de la Course autour du monde des TV francophones, dont j’ai été le concurrent suisse en 1980», confie Jean-Marc Probst, un quinquagénaire lausannois qui gère plusieurs entreprises de vente de machines de chantier. «En me baladant dans une rue de Tokyo, je suis tombé dans une vitrine sur un exemplaire du Petit Prince en japonais. C’était surtout les caractères qui me plaisaient. J’ai ensuite ramené d’autres exemplaires d’Amérique du sud. Mon hobby était parti un peu comme un jeu, puis des amis m’en ont ramené de partout, d’Afrique du sud, d’Inde, etc. Il y a une dizaine d’années, grâce à internet ma collection a pris de l’ampleur. Des groupes de collectionneurs ont commencé à échanger leurs doubles. C’est le côté universel du personnage et de l’œuvre du Petit Prince qui m’a tout de suite plu. Elle est éminemment intemporelle. Elle est dépourvue de tout symbole religieux et peut être acceptée partout : ce sont des messages de vie sans couleur politique ou couleur de peau.»
Une exception, la notion même de prince, difficile à traduire dans certains idiomes qui ne connaissent pas la monarchie. En patois tessinois par exemple, qu’il a fait traduire le Petit prince, Jean-Marc Probst a consulté des professeurs d’université à Lugano : «Petit Prince, est-ce le fils d’un roi ? Est-il aussi petit de taille?»
Jusqu'en Somalie...
L’été dernier, le collectionneur vaudois a fait traduire à ses frais l’ouvrage en langue somali aux éditions Pierre-Marcel Favre. Ensemble ils sont allés apporter quelques milliers d’exemplaires aux enfants des écoles de Hargeisa, la capitale du Somaliland, via la ministre de l’éducation de ce pays indépendant mais pas encore reconnu par les Nations Unies : «Je me fais un point d’honneur à continuer cette aventure en publiant chaque année une nouvelle traduction. La prochaine édition, ce sera probablement le tibétain. Il y a beaucoup de réfugiés politiques en Suisse. Peut-être avec une préface du dalaï-lama. Mais dans ce cas-là, il ne faudra pas trop compter les amener au Tibet! Ce que les collectionneurs recherchent aujourd’hui, ce sont les exemplaires traduits en romanche. L’ouvrage a été traduit en quatre versions romanches, dont trois sont introuvables.»
L’éditeur français Gallimard qui publie le Petit Prince à Paris doit faire face à beaucoup d’abus. Des éditions piratées sont apparues notamment dans les pays de l’Est et en Chine, à un rythme de plusieurs dizaines d’éditions chaque année. Les Chinois, les Japonais et les Coréens sont devenus les champions des produits dérivés sous toutes leurs formes : vaisselle, porte-clés, BD à succès, séries télévisées en attendant un film à gros budget en 3 D…
Qu’on le déplore ou non, le héros de Saint-Exupéry est devenu un peu le Petit Prince des affaires.
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