La branche hydraulique suisse souffre fortement de la transition énergétique allemande qui déverse sur le centre de l’Europe des flots d’électricité souvent gratuite – même quelquefois à un prix négatif, donc accompagné de primes d’achat – une électricité subventionnée par le soutien massif à l’énergie solaire dont profitent Outre-Rhin les classes moyennes et leurs villas aux grands toits, aux agriculteurs et leurs champs couverts d’éoliennes, ainsi qu’aux industriels du charbon de Westphalie qui donnent du travail à des centaines de milliers d’ouvriers du Parti socialiste. Tout le monde en profite, sauf l’hydraulique de nos montagnes.
Paul Michellod, le directeur général des Forces motrices valaisannes, a mis le doigt sur la plaie en osant dire tout haut ce qui est vrai tout bas, que «l’électricité hydraulique est en fait cannibalisée par les autres renouvelables», ce qui lui a valu l’ire offusquée de la mouvance verte. Comment se fait-il qu’une forme d’énergie aussi noble – indigène, propre, fiable et bien sûr éminemment renouvelable – en arrive là, sans que nos barons de l’électricité voient venir? Il est de bon ton dans certains milieux de critiquer le «manque de vision» de notre branche électrique. Comparaison: si une chaine commerciale allemande décidait de distribuer gratuitement du lait allemand en Suisse en faisant payer les coûts de production afférents aux consommateurs allemands, on mettrait d’abord en doute la santé mentale du distributeur allemand, avant de critiquer les producteurs laitiers suisses pour n’avoir rien vu venir. Le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel semble l’avoir mieux compris, lorsqu’il avouait à Kassel devant caméras de télévision le 14 avril 2014: «La vérité est que nous avons sous-estimé la complexité de la transition énergétique dans tous ses aspects … Pour la plupart des pays d’Europe, nous sommes des cinglés».
Que faire pour protéger notre hydroélectricité? L’Office fédéral de l’énergie (OFEN) ne semble guère vouloir proposer mieux que de coûteuses mesures d’accompagnement, des « subventions-antisubventions » qui consistent à combattre la « subventionnite » ambiante par d’autres subventions accordées à ceux qui en souffrent. Ou alors peut-être envisage-t-il un autre remède proposé en d’Allemagne: payer les producteurs suisses non pas pour les kWh produits (qui ne le sont pas lorsque la météo allemande est bonne), mais pour les heures de disponibilité, comme un chauffeur de taxi à l’attente. S’il est certes vrai que l’électricité hydraulique est en fait cannibalisée par les autres renouvelables, alors tout cela n’est qu’une boite de sparadrap assez grosse pour servir jusqu’à la mort du patient.
Il faut agir. Bien évidemment, ce ne sont pas les moins de 2% de renouvelables de la production électrique suisse qui fait problème. C’est bien l’Allemagne qui est en cause. Ne faut-il pas rappeler un vieux concept économique quelque peu oublié - qui fait quelquefois surface dans les médias (notamment dans le cas des panneaux solaires chinois); celui du dumping commercial, selon la définition «Vendre à l’étranger en dessous du coût de fabrication, ce défaut temporaire de marge à l'export étant compensé, p. ex. par subventions accordées par le gouvernement du pays d'origine des marchandises ». Quand donc le Conseil fédéral osera-t-il évoquer la dimension «dumping» illégale du courant allemand envahissant la Suisse avec ses coûts zéro, voire négatif? En quête d’un accord bilatéral avec l’Union européenne sur l’électricité, Madame Doris Leuthard ne devrait-elle pas aussi se rendre à Berlin auprès de Madame Angela Merkel - et notre ministre des finances Madame Evelyn Widmer-Schlumpf à Genève à l’Organisation mondiale du commerce pour se renseigner sur les règles internationales concernant le dumping - avec l’espoir de faire cesser les pratiques commerciales allemandes abusives.
Avec le soutien de la mouvance rouge-verte, la Chine pratique un dumping effréné sur le marché européen des panneaux solaires, après avoir mis en faillite les prometteuses technologies allemandes du gabarit de QCells et d’autres encore. Avec ces panneaux chinois bon marché, l’Allemagne a elle-même recours au dumping le plus élémentaire pour inonder l’Europe centrale d’électricité gratuite. Et personne n’objecte ! Même chose en Suisse. Les installeurs de panneaux – sous le houlette de leur lobbyiste en chef, le prolixe socialiste Roger Nordmann, installent à tour de bras des panneaux chinois subventionnés une seconde fois sur les villas des nantis de ce pays – après avoir laminé le solaire haute-technologie de nos laboratoires – et en faisant payer les subventions par les locataires des HLM (qui eux n’ont pas de toit). C’est là la nouvelle politique sociale du PS qui ne le fait pas rougir, et un aspect dont la presse bien-pensante ne veut pas parler. L’hebdomadaire de gauche Wochenzeitung a fait exception (12 septembre 2013) en résumant ainsi son propos: «La transition énergétique risque de n’être qu’une machine à redistribuer l’argent – du bas vers le haut ». Cannibalisme social, en d’autres termes ! (Pour plus de détails, voir le site www.energiesuisse.net)
Bruno Pellaud, physicien, 21 février 2015
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