Il ne s’agit nullement ici de venir au secours de Dominique Giroud et de son entreprise en vins. Simplement de montrer à quel point la plupart des médias ont d’emblée considéré le susmentionné comme gravement coupable et ont tenu à le jeter en pâture et à le livrer à la vindicte populaire avant même que la justice ne se saisisse de l’affaire et énonce le moindre jugement.
Une tendance de plus en plus répandue dans certains médias ?
Les médias peuvent se comporter comme de vrais chasseurs : au moindre indice on lâche les chiens en espérant qu’ils ramènent un gibier, sans même être sûrs si gibier il y a. En espérant que la traque en meute sera payante et qu’il ne reste plus qu’à tirer dès qu’un animal est débusqué.
Affaire Giroud-vins. Il y a par exemple cette campagne orchestrée par le journal Le Temps, par l’intermédiaire de sa correspondante en Valais. Enfin on allait se faire ce Monsieur Giroud, très conservateur, fréquentant Ecône, attaché aux traditions et strict sur les problèmes dits depuis peu « sociétaux » et pour lesquels militent, au contraire, toute la bien-pensance ambiante et autres partisans formatés au politiquement correct le plus béat et fiers d’être à la pointe de la surenchère en ces matières.
Bref, on a trouvé une cible idéale, l’ennemi juré, à qui on allait pouvoir faire la peau.
Un beau cas pour travaux pratiques d’éthique journalistique, en sachant qu’ on ne prendra jamais un tel cas, si ce n’est pour dire qu’il était absolument scandaleux que les médias ne puissent pas faire ce qu’ils voulaient, exercer leur liberté, publier, filmer, mettre en scène, raconter une belle histoire à scandales, réels ou non. Sans limites, sinon cris d’orfraie.
Situation aggravante : l’intéressé, constamment sollicité par les médias, avec propositions des plus alléchantes en guise d’appât doublées de promesses de sérieux et d’honnêteté à l’appui concernant le produit fini, a apparemment refusé toute interview ou article, et n’a pas répondu, même aux articles néanmoins publiés, certains parmi les plus accusateurs et scandaleux. Ainsi on a même évoqué le montant d' impôts non payés, des dizaines de millions dans un premier temps, avant de passer nettement en-dessous de cette barre.
Bref, on avait sous la main un grand tricheur, lui qui se voulait pourtant si parfait et moral. Occasion rare pour les médias. Dans un tel cas l’acharnement n’a pas de limites, la responsabilité on verra plus tard, c.-à-d jamais, puisque les sanctions n’existent pas dans nos médias ; on trouve toujours des justifications, qui ne satisfont que les médias.
Sans jugement aucun, bien du mal est déjà fait ; on voulait l’homme déconsidéré, à terre. Penser à tous les effets de cette traque? Tel n’est pas le problème de journalistes avides de se mettre en valeur en se payant sur la bête, surtout quand on est de gauche, voire d’un gauchisme attardé, donc d’autant plus prétentieux et obligés de montrer sa nécessité.
Seulement là il s’agit d’un grand entrepreneur, responsable d’un très grand nombre d’employés et d’ouvriers. Rien à faire, sans importance, à côté du parfum de scandale que l’on pense avoir créé et que l’on espère bien prolonger en un feuilleton inépuisable, et devenir entre temps un héros, donc à nouveau indispensable. Histoire de sortir un peu de son carnotzet.
Il n’est pas possible d’énumérer ici tous les aspects induits par cet emballement médiatique. Au niveau économique, il y a les concurrents, heureux intérieurement, et qui cherchent l’argument honorable pour se joindre à la chasse, mine de rien, mais avec le secret espoir d’apparaître comme le modèle, comme celui qui est tout, au contraire, exemplaire. On se refait une virginité sur un bouc émissaire tout trouvé.
D’autres intervenants, plus prudents, en appellent modestement à des réglementations plus strictes, reconnaissant que le problème, par exemple du coupage du vin, est général, et que tout le monde peut faire mieux.
D’autres insistent, jouent les vierges effarouchées pour jurer de leur exemplarité.
La dimension politique. Là c’est un grand rêve de règlement de compte en perspective. Néanmoins, au fur et à mesure de l’avancement de la procédure, même les plus opposés du point de vue idéologique se font moins véhéments. Essayé pas pu ?
Au sujet de cette dimension politique, valaisanne en premier lieu, il y aurait bien sûr un article spécifique à écrire, voire un livre entier.
Certains médias trouvent même scandaleux que l’accusé cherche à se défendre ; surtout qu’il le fait avec la plus grande détermination. Se défendre lui-même, mais aussi sa famille, son entreprise, ses employés, etc. Tout accusé n’est-il pas présumé innocent. Pour certains médias il y a apparemment des présumés innocents et des présumés coupables d’avance.
Le coupable d’office a même réussi à faire interdire par la justice le passage à l’antenne d’émissions et d’articles à lui consacrés.
S’il y est parvenu, il faut croire qu’il y avait quand même quelques bonnes raisons d’empêcher la diffusion de propos erronés, voire mensongers ou carrément diffamatoires. L’accusé n’aurait plus le droit de se défendre et devrait se laisser lyncher publiquement par des journalistes visiblement plus préoccupés de mettre à terre un ennemi multiple plutôt que de rechercher la vérité, et de se mettre en valeur.
Si la justice accepte d’interdire la diffusion d’un produit médiatique, ce qui n’est effectivement pas si fréquent, ce ne peut donc être que parce que l’accusé est « tout-puissant »(Le Temps, dixit Marie Parvex, 14 mai 2014). Mieux, la justice devient-elle même suspecte ; toutes les autorités ne seraient-elles pas sous influence ? En plus en Valais, cela ne relève-t-il pas de l’évidence ?
Sont alors aussi convoqués tous les stéréotypes et les représentations les plus caricaturales, folkloriques, mythiques et fantasmatiques sur le Valais. Et par des Valaisans eux-mêmes. Mais comment est-ce possible ? Et si c’étaient des journalistes locaux voyant là l’occasion rêvée de sortir de leur carnotzet pour espérer se faire une réputation plus large, voire internationale, comme ces Suisses qui montaient ou montent encore à Paris pour dénigrer la Suisse, à peine arrivés, en se croyant effectivement arrivés en procédant de la sorte.
C’est le rôle des médias, de leurs prérogatives revendiquées, de leur pouvoir, de leurs effets parfois désastreux et destructeurs, de leur prétention et de leur irresponsabilité, de la légèreté parfois coupable de certaines de leurs accusations précipitées, de leur partialité, et même de leur engagement politique évident dans le cas présent, que nous tenions à souligner.
Le « Service public » des médias n’a pas manqué de crier à la censure, de dire sa « grande inquiétude », qu’il utilisera « toutes les voies légales possibles afin d’être en mesure de poursuivre sa mission d’investigation et d’information sur ce sujet ». Rien que cela ?
Encore une fois, quid de la responsabilité des médias et des effets de ce genre de démarche?
N’est-ce pas juger et condamner avant que la justice ait fait son travail, cela d’autant plus qu’on apprend que dans le reportage de la télévision certains documents utilisés résultaient « d’une violation du secret fiscal » ; pire, d’après les avocats de l’accusé : «le sujet de l’émission faisait état de la faillite prochaine de la société de Dominique Giroud, c’est une annonce extrêmement grave qui peut porter des préjudices commerciaux importants ».
Ce n’est tout de même pas rien ! Malgré cela la télévision du Service dit public voulait à tout prix passer son émission. Et nous refaire le coup de la censure.
En bref, est-ce que pour certains médias, compte davantage le fait de pouvoir dire ce que bon leur semble sans jamais se préoccuper des effets de ce qui est dit et fait ? Un pouvoir incontestable et en plus sans responsabilité ? Monopole de la parole et pouvoir ultime de décision alors que le Service dit public a déjà une position monopolistique dans l’espace public suisse. Dire et nuire sans prendre la responsabilité des effets de ce que l’on dit, est-ce cela la liberté et la recherche de la vérité de la part de certains médias, en plus grassement financés et de manière contraignante par son propre public ?
Les médias doivent-ils accuser et juger avant et à la place de la justice ? Est-ce le rôle des médias de désigner et de livrer des coupables supposés à la vindicte populaire et à la justice comme les chiens rabattent le gibier ?
Qui a dit tribunal médiatique ?
Affaire à suivre…
Uli Windisch, 17 mai 2014
Magnifique article! Mais à quoi bon? La RTS aura toujours le dernier mot et ce ne sont pas nos parlementaires fédéraux qui vont la contester. La plupart ont leurs ronds de serviette à la radio et à la télévision et ils sont fort soucieux de les y conserver. L’organe de médiation est une vaste rigolade, juste là détourner les regards et pour étudier les plaintes et rendre son verdict si tard qu’il n’a plus aucun effet. Les parlementaires fédéraux, qui devraient exercer une surveillance puisqu’ils ont voté la concession, se retranchent derrière le «nous ne sommes pas là pour censurer la RTS!». Donc, nos parlementaires fédéraux ne servent à rien en l’occurrence!