Le Conseiller national genevois Christian Luscher réagit à l’explosion des coûts relatifs à l’application des accords de Schengen. Une vision dépassionnée, qui appelle au calme et à la raison, avec peut-être une pointe, cependant, de ce qui pourrait apparaître de l’angélisme résigné devant la montée de la criminalité. Interview.
LesObservateurs: - Prévus tout d'abord entre 5,5 et 7,5 millions de francs, les coûts relatifs aux accord de Schengen ont explosé à plus de 100 millions, la situation est-elle normale ?
Christian Lüscher: Certes, cette explosion des coûts semble incroyable, c’est 14 fois plus que prévu. Mais si on étudie un peu ces chiffres, l’effet sensationnaliste retombe très vite: c’étaient des prévisions datant de 2005 et pour lesquelles de nombreux éléments n’avaient pas été pris en compte par l’administration sous l’ère Blocher. Pour l’année 2011, le total des dépenses a été de 14 millions de francs en dessous du budget prévu. Donc, il est important de remettre ces chiffres dans leur contexte. Les bénéfices apportés par les accords de Schengen sont considérables en matière de sécurité et surtout d’efficacité.
- Ces frais sont liés à la surveillances de la frontière extérieure de l'Espace Schengen. Parallèlement l'immigration, et la criminalité qui peut en être conséquence, sont en constante augmentation tant en provenance de l'extérieur que de l'intérieur de l'espace Schengen, cet argent ne serait-il pas mieux investi dans une défense des frontières helvétiques ?
La plupart de ces frais sont liés à l’exploitation et la maintenance des systèmes informatiques de Schengen qui n’avaient pas été comptabilisés au départ. Quant aux cambriolages, aux vols de voitures, etc., cette criminalité s’est européanisée ces dernières années. Les bandes organisées viennent pour une courte période en Suisse. Sans la recherche transfrontalière permise dans le cadre de Schengen, notre police chasserait une aiguille dans une botte de foin. Le PLR est en faveur d’une protection organisée à la frontière et est favorable à encore plus de ressources humaines au sein des corps de gardes-frontières. Ses représentants ont voté les lignes budgétaires dans ce sens. Mais si la Suisse voulait contrôler les frontières efficacement sans informations provenant de Schengen, elle devrait s’isoler et la conséquence directe serait des kilomètres de bouchons chaque jour. De plus, la Suisse perdrait tout attrait pour les entreprises.
En ce qui concerne l’immigration, les accords Schengen/Dublin nous permettent d’expulser de nombreux demandeurs d’asiles vers les pays où ils ont fait une première demande. A ce sujet, madame la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga doit se battre pour assurer la bonne application de ces accords. Mais un bon accord dont la mise en œuvre peut être améliorée est préférable à aucun accord, puisque la conséquence serait d’avoir beaucoup plus de demandes d’asile.
- Une telle défense des frontières serait-elle absolument incompatible avec la libre circulation des personnes ?
Je ne dirais pas absolument incompatible, mais elle rendrait la libre circulation des personnes beaucoup plus compliquée à gérer. Comme expliqué ci-dessus, un contrôle national efficace impliquerait des embouteillages interminables aux frontières. Le système d’aujourd’hui est beaucoup plus efficace et adapté aux enjeux actuels.
- Tout en répétant son soutien à la libre circulation des personnes, le PLR a demandé des mesures urgentes, notamment dans la gestion des flux migratoires et à une meilleure collaboration entre les Etat membres. Pensez-vous avoir été entendus ?
La libre circulation est un modèle de réussite en Suisse puisqu’elle a permis à notre pays de créer des emplois. Malheureusement, son application n’est pas parfaite et elle peut toujours être améliorée. Déjà en 2009, nous avons demandé des mesures urgentes, que les Conseillères fédérales Evelyn Widmer Schlumpf et Simonetta Sommaruga tardent malheureusement à mettre en œuvre. En matière de flux migratoire, les chefs d’Etats membres de Schengen se sont réunis en avril pour trouver des solutions face à l’immigration illégale. C’est un bon début, mais il va falloir faire preuve de ténacité pour réussir à faire entendre toutes nos idées.
- En cette période de crise, le PLR pense-t-il toujours que l'immigration de l'Europe est un facteur de prospérité ? Les risques de dumping sont-ils imaginaires ?
Non, les risques de dumping ne sont pas imaginaires et il ne faut pas se voiler la face concernant la période de crise que nous traversons. Le PLR est par conséquent en faveur d’une lutte ferme contre les abus de la libre-circulation. Néanmoins, l’immigration issue de l’Europe demeure un facteur de prospérité et de financement pour les assurances sociales, notamment l’AVS, car la plupart des travailleurs européens sont hautement qualifiés et leur contribution à l’AVS est nettement plus élevée que leur rente future.
- Certains opposent une perte de la souveraineté à la sous-traitance de la surveillance des frontières à des Etats étrangers, voire des compagnies privées. Un système mixte qui rétablirait des contrôles ciblés systématique aux frontières de notre pays est-il vraiment impossible à envisager ?
Notre frontière est et sera défendue par nos propres forces. En revanche, depuis des centaines d’années, en période de paix, les Etats ont collaboré en matière de contrôle des frontières. Schengen/Dublin fait cela. De plus, la souveraineté n’est pas liée uniquement à la surveillance des frontières. La Suisse a su garder sa souveraineté grâce à sa bonne économie, un système politique sain et la fierté de sa population d’être Suisse. Cela n’est pas remis en cause par une collaboration inter-étatique.
- Le Conseiller aux Etats PDC Urs Schwaller, qui s'est dit inquiet de cette évolution des coûts sur les ondes de la RTS, a aussi déclaré que la Suisse « n'avait pas le choix » qu'elle devait « rester dans le système, tout faire pour quand même co-décider », mais, a-t-il ajouté: « A la fin nous allons payer la facture que l'Europe va nous présenter ».
Non – nous avons le choix. Mais l’isolationnisme aurait un prix très élevé. Moins d’exportations, moins d’entreprises avec des quartiers généraux en Suisse etc. Le PLR n’est pas prêt à payer ce prix – et le peuple non plus. L’histoire démontre que l’isolement n’est pas un chemin pour la Suisse ; l’indépendance si. Au lieu de se plaindre, Monsieur Schwaller ferait mieux de se battre pour de meilleures conditions cadres pour les entreprises afin de nous permettre de rester à la pointe et ainsi de pouvoir négocier en position de force avec l’UE.
1.- Cette situation est-elle supportable, quand la prestation n'est pas à la hauteur de ses attentes, un client n'est-il pas libre de s'en aller ?
En effet, nous sommes libres de rompre ces accords, mais même si la prestation n’est pas tout le temps à la hauteur de nos attentes, il suffit juste de s’imaginer les conséquences d’un retrait de ces accords et l’envie de partir s’estompe rapidement. La fin d’une participation aux accords de Schengen pour la Suisse l’obligerait à revenir à des outils dépassés pour assurer une sécurité minimale et, surtout, elle deviendrait le paradis de tous les malfrats du continent qui trouveraient une cachette idéale.
2.- Cette situation n'est-elle pas révélatrice du maigre crédit accordé à notre petit pays lorsqu'il est partie prenante de processus de décisions avec de nombreux autres pays de plus grande importance ?
Nous sommes petits, mais parce que nous sommes indépendants, nous pouvons agir rapidement. De plus, grâce à la démocratie directe, les décisions prises sont bien acceptées par la population. Par conséquent, il est mieux de prendre notre destin en mains plutôt que de se plaindre d’une influence trop faible. Notre succès est la meilleure garantie pour le respect de nos partenaires européens et mondiaux. Restons les meilleurs en formation et recherche, les plus compétitifs en matière d’impôts et d'infrastructures, avec peu de dettes mais beaucoup de sécurité – par amour de la Suisse.
Et vous, qu'en pensez vous ?