Dossier. Analyse post-Fukushima de la sûreté des réacteurs suisses: la presse dénigre l’Autorité et occulte les résultats.
La sécurité nucléaire suisse a attiré l'attention des médias par deux fois dans l'actualité récente: 1) par une première analyse approfondie des leçons à tirer de Fukushima publiée le 9 juillet par l'Inspectorat fédéral de la sûreté nucléaire (IFSN) et 2) par la démission récente de deux membres de la Commission de sûreté nucléaire (CSN), Marcos Buser hydrogéologue (Le Matin du 24.06.2012) et Mme Tanja Manser (Le Temps du 14.07.2012). La presse aurait pu mettre à profit ces deux évènements pour informer sur quelques réalités sous-jacentes, en particulier sur certains défauts de l'organisation de la sûreté nucléaire, d'une part, et, surtout, sur l'état de sûreté réel des centrales nucléaires suisses, d'autre part. Au lieu d'informer, la plupart des médias ont relayé la rumeur selon laquelle la sûreté nucléaire en Suisse ne serait pas aux mains d'experts compétents et indépendants, mais serait sous l'influence des pro-nucléaires, sous-entendu des gens malhonnêtes. Résultat: des réalités intéressantes pour le citoyen sont occultées par des soupçons non vérifiés.
Des défauts d'organisation à nuancer
Il subsiste certes encore des défauts dans l'organisation de la sûreté nucléaire suisse, malgré des améliorations substantielles apportées par étapes depuis ses débuts. Aujourd'hui, en Suisse, il y a deux organes pour la sûreté nucléaire: 1) L'Inspectorat fédéral de la sûreté nucléaire IFSN, un organe permanent, hautement compétent et indépendant qui est la seule autorité reconnue en la matière et 2) la Commission de sûreté nucléaire CSN, un organe de milice composé d'experts extérieurs à l'administration fédérale, nommés par le Conseil fédéral et ayant un rôle seulement consultatif. Un premier défaut est lié au fait qu’à l’origine c'était cette dernière qui détenait le pouvoir suprême, pouvoir qui lui a été retiré pour des questions d'efficacité après avoir tiré les enseignements de l'accident de Lucens au profit de l'organe permanent: un organe de milice qui se réunit occasionnellement ne pouvait pas assumer les responsabilités d'un vrai inspectorat. Le deuxième défaut est une certaine politisation de la Commission, liée à une décision des années 90 du Conseil fédéral de nommer des membres , non seulement sur la base de compétences, non nécessairement liées au domaine de la sûreté des réacteurs nucléaires, mais également sur la base de leur opinion anti-nucléaire. Ces défauts ne sont pas rédhibitoires, en particulier il n'empêchent en rien un fonctionnement rigoureux, scientifique et indépendant de l'Inspectorat, ce qui est l'essentiel. Mais l’existence de ces deux organismes qui rapportent à des entités différentes crée régulièrement des tensions et des frustrations particulièrement chez les membres antinucléaires de la Commission qui se demandent peut-être à quoi ils servent puisque les avis de l’IFSN sont les seuls qui font autorité (voir un bref historique en encadré).
La frustration, voilà ce qu'il faut comprendre lorsqu’un des membres démissionnaires, Marcos Buser, interrogé par Le Temps du 14.07.2012 déclare: "Aujourd'hui, je dois constater que l'OFEN et la Nagra ne tiennent pas compte des recommandations de la CSN...". Il ne fait que regretter le caractère consultatif et l'absence de pouvoir de la CSN. Remarquons que Le Temps n'interroge personne d'autre que M. Buser qui fait partie d'ailleurs des membres choisis pour leur position antinucléaire.
Le problème des anti-nucléaires est leur attitude d'opposition a priori et extrême au point de ne pas vouloir la sécurité des centrales nucléaires, mais leur disparition : Ils n'ont en effet jamais fait de propositions pour améliorer la sécurité des réacteurs nucléaires. Pour eux, toute analyse de sécurité qui montre que les normes , même les plus strictes sont respectées, est a priori malhonnête. Révélateurs à cet égard sont les propos du conseiller national Vert Christian Van Singer sur les ondes de Forum traitant les scientifiques de l'IFSN de “vendus” le 9 juillet dernier lors d'une séquence consacrée au rapport de l'IFSN sur les résultats de l'analyse post-Fukushima.
Qu'il n'y ait toutefois pas de malentendu: l'IFSN n'est pas a priori infaillible bien sûr, la vigilance des élus est donc indispensable. Si un élu a des raisons de douter de l'intégrité de l'Inspectorat, il a le devoir d’exprimer ses doutes, mais de manière valable. Par exemple, en déposant plainte. On peut soupçonner M. Van Singer, et tous ceux qui tiennent son discours, de ne pas déposer de plainte parce qu'ils savent qu'elle ne résisterait pas devant un tribunal et qu'ils ne veulent pas risquer un désaveu. C'est beaucoup plus habile, et sans risque, de lâcher des insinuations dans les médias. Heureusement qu'un autre conseiller national, M. Guy Parmelin UDC, interviewé dans la même séquence, a dénoncé ce petit jeu de la calomnie et a aussi parlé du contenu du rapport post-Fukushima de l'IFSN.
Signalons aussi que M. Hans Wanner, directeur de l'IFSN, s'est exprimé sur sa mission dans un texte de très haute tenue, publié le 5 avril dernier sur le site Internet de l'IFSN. Il n'est pas courant que des hauts fonctionnaires exposés dans des contextes politiques chauds s'expriment aussi ouvertement et clairement. Cela mérite d'être signalé. Extraits:
Pour l’IFSN, seules deux choses sont au centre des préoccupations: la sécurité des installations nucléaires et le respect des dispositions sur l’énergie nucléaire en vigueur dans la législation suisse. Le reste appartient à la politique et aux groupes d’intérêts.
Si je constate de façon répétée que les centrales nucléaires suisses sont sûres, ce n’est pas parce que des intentions politiques se cachent là-derrière, mais parce qu’une connaissance scientifique objective issue de milliers de données le confirme.
(Source: http://www.ensi.ch/fr/2012/05/04/nous-pouvons-nous-fier-a-la-suisse/)
À ma connaissance, la presse n'a pas parlé de ces déclarations de Hans Wanner.
Il y a lieu ici de dissiper un autre malentendu. Affirmer au sujet de l'IFSN que sa mission de sécurité nucléaire est une affaire technique plutôt que politique, ne signifie pas nier toute dimension politique à la sécurité nucléaire. Cela signifie seulement qu'il faut distinguer les étapes et les rôles respectifs des acteurs impliqués. La sécurité procède en deus phases: fixer des normes d'abord et ensuite les respecter. Fixer des normes a clairement une dimension politique en plus des aspects techniques. C'est la responsabilité du législateur. Par contre le contrôle du bon respect des normes est strictement technique et exige des compétences et surtout pas des convictions à priori. C'est cela la tâche de l'Inspectorat. Voici un exemple simple pris hors du nucléaire pour comprendre. La fixation du taux limite à 0.5 pour mille d'alcool dans le sang est une norme de sécurité routière qui a une dimension politique. Le législateur, voire le peuple peut, avec un minimum d'information, décider la fixation du taux limite. Mais le contrôle du taux réel d'un chauffeur soupçonné d'avoir dépassé la limite ne peut se faire que par un expert compétent qui sait mesurer un taux d'alcool dans le sang. Remplacer cette mesure technique par les délibérations d'une commission politique n'aurait pas de sens.
Les enseignements de l'analyse post-Fukushima de l'IFSN
Il faut regretter le peu d'écho donné à la sortie du rapport de l'IFSN. Pourtant tirer les leçons de Fukushima par l'Inspectorat compétent est fondamental: si on arrête les centrales, on doit savoir pourquoi on les condamne. C'est comme en justice: un prévenu ne peut pas être condamné sans enquête, si possible soignée, ni sans procès équitable. Sinon, on est dans le procès sommaire. Et si on veut laisser les centrales en service, il faut aussi savoir si la sécurité le permet.
C'est ce qu'avaient remarquablement compris et déclaré les membres de la Commission de l'énergie du Conseil des Etats dans leur communiqué du 20 avril 2011, un peu plus d'un mois après les évènements au Japon, en déclarant:
" Elle (la Commission) a également souligné qu'il était encore trop tôt pour redéfinir la politique du pays en matière d'énergie. La Conseillère fédérale (Mme D. Leuthard) et la Commission sont toutes deux d'avis que la question de la sécurité des centrales nucléaires suisses n'est pas du ressort politique, mais qu'une analyse approfondie des évènements et une appréciation technique sont d'abord nécessaires. Ces analyses sont un préalable aux débats à mener par le Parlement sur la politique énergétique."
Comme ingénieur, je me permets de dire toute mon admiration pour ces politiques qui ont eu la clairvoyance, la modestie et le courage de le dire: les analyses techniques sont un préalable à tous débats et à toutes décisions politiques sur l'énergie...
Le 25 mai 2011, la Conseillère fédérale Doris Leuthard annonçait que le Conseil fédéral avait "décidé" la sortie du nucléaire. Le préalable de l'analyse technique passait à la trappe. Le prévenu "nucléaire" était condamné sans délai par le gouvernement. Le dossier d'enquête, à savoir l'analyse technique de l'IFSN n'est sortie que le 9 juillet dernier, environ 16 mois plus tard.
Et finalement, que nous apprend l'analyse technique de l'IFSN?
Elle nous apprend que les réacteurs suisses ont fait l'objet de rééquipements de sécurité. Quatre types d'équipements ont été ajoutés aux centrales dans les années 80 (après la construction pour les plus anciennes, en cours de construction pour les plus récentes). Ils étaient destinés à:
1) recombiner par catalyse l'hydrogène qui pourrait se former en cas de surchauffe du combustible, cela pour éviter les explosions d'hydrogène.
2) filtrer à l'aide de grands bacs à sable la vapeur d'eau qu'il faudrait relâcher en cas de défaut de refroidissement du réacteur, cela pour éviter une pression excessive du circuit primaire. Rétention des substances radioactives: 99 %
3) protéger par "bunkerisation" les génératrices diesel alimentant les pompes de refroidissement de secours des réacteurs, cela pour résister à des situations d'inondations extrêmes (p. ex., cas de la rupture du barrage hydraulique situé à 1 km en amont de la centrale de Mühleberg)
4) disposer d'une 2e salle de commande des centrales séparée, secrète et "bunkerisée", cela en cas d'attaque terroriste.
Les trois premiers dispositifs auraient changé considérablement les conséquences du tsunami pour les réacteurs de Fukushima, s'ils en avait été équipés, en réduisant considérablement, voire en évitant, les fuites de substances radioactives.
Signalons que ces équipements ont été proposés dans les années 80 par Electrowatt de Zürich à Tepco pour Fukushima, qui les a refusés, avec l'accord de l'autorité de sûreté japonaise.
Quant au 4e équipement, il n'a heureusement pas eu jusqu'à aujourd'hui l'occasion de montrer ses mérites, faute d'attentat terroriste sur une centrale nucléaire.
Par ailleurs, pour Mühleberg le coût de ces rééquipements s'est élevé aux environs de 900 millions de fr, soit le double du coût de construction initial de 450 millions de fr. Cela n'empêche pas la centrale de produire aujourd'hui son courant autour de 3 ct/kWh. Mais surtout pourquoi les Suisses paieraient-ils une sécurité maximale pour ne pas en profiter et mettre leurs réacteurs au rebut?
Il ne s'agit de jeter la pierre un peu facilement aux institutions japonaises. En fait les Japonais le reconnaissent eux- mêmes dans deux rapports tout récents, l'un établi par une commission indépendante du gouvernement et l'autre par une commission gouvernementale: des analyses avertissant que les centrales accidentées pourraient subir le tsunami de l'ampleur de celui du 11 mars 2011 sans être conçues pour cela et sans que les procédures pour y faire face soient prévues, étaient connues de la société exploitante et de l'Autorité de sûreté qui avaient délibérément ignorés ces avertissements. Alors que les rééquipements réalisés en Suisse (et dans beaucoup de pays occidentaux) l'ont été à la demande des Autorités de sécurité elles-mêmes.
Quelles conséquences pour le débat de politique énergétique?
Pour faire court, l'analyse post-Fukushima de l'IFSN montre que la sécurité des centrales suisses est assurée, et cela même pour des évènements du type de Fukushima.
Par contre, un éventuel programme de sortie du nucléaire apparaît, malgré le flou des déclarations officielles, de plus en plus lié à des risques économiques, sociaux et écologiques importants. La décision du 25 mai 2011 de Mme Leuthard et du Conseil fédéral de sortir du nucléaire apparaît, à la lumière des calculs froids de l'IFSN, de plus en plus hâtive et porteuse de risques bien moins maîtrisables que ceux de nos centrales nucléaires...
Dans ces conditions, pour une presse plus que complaisante à l'égard des mouvements anti-nucléaires, il vaut mieux insinuer que la démission de M. Buser de la CSN révèle des malhonnêtetés scientifiques des experts nucléaires, plutôt que de rendre compte du contenu des analyses approfondies de l'IFSN.
Dénigrer plutôt qu'informer. Si on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage, la chanson est bien connue!
Pour une approche ouverte, informée et rationnelle de la sécurité.
Finalement la grande question qui ressort, une fois de plus, est de savoir pourquoi le thème de la sécurité nucléaire, thème essentiel de la politique énergétique, aux conséquences économiques et écologiques potentiellement énormes, est-il si mal traité dans les médias et dans le débat politique. En tous les cas, pas avec les moyens d'analyse et de communications qu'il mérite et dont dispose notre époque. Au contraire, le débat est marqué par très peu d'informations scientifiques, des rapports déterminants largement ignorés, des experts absents de la scène. À la place, un mouvement à caractère antinucléaire primaire tient le haut du pavé tant médiatique que politique avec deux dogmes plus que sommaires, mais répétés inlassablement:
1) le nucléaire est diabolique, toute tentative de le rendre sûr est impossible
2) les professionnels qui s'en occupent sont tous des suppôts du diable, en clair, ils sont malhonnêtes et corrompus.
C'est quand même un peu obscurantiste et rappelle les procès des sorcières au Moyen-âge. Allons-nous nous réveiller, allons-nous enfin de nouveau faire appel à un minimum d'ouverture, de savoir et de rationalité?
Organisation de l'Autorité de sûreté nucléaire suisse: bref historique
A l’origine la sécurité nucléaire était constituée d’un organe décisionnel qui rapportait au Conseil fédéral, la Commission fédérale de la sécurité nucléaire (CSA). La CSA était une commission constituée d'experts recrutés principalement à l'extérieur de l'administration; elle se réunissait occasionnellement en fonction des décisions à prendre. La CSA était dotée d’un secrétariat permanent pour la sécurité nucléaire qui dépendait de la Confédération, préparait les dossiers techniques, mais n'avait pas de pouvoir de décision.
Avec l'augmentation du volume de travail et les enseignement tirés de l’accident de Lucens, il fut décidé de réorganiser le système et de se doter d’un inspectorat professionnel, hautement compétent, professionnel et permanent. Le pouvoir de décision fut confié au secrétariat permanent de la Confédération, qui devint la Division principale pour la sécurité des installations nucléaires (DSN) rattachée au DETEC.
Au début des années 2000, suite à la ratification par la Suisse de la Convention Internationale sur la sûreté nucléaire il fut décidé de donner plus de transparence aux décisions de la DSN en la rendant indépendante du DETEC. Le 22 juin 2007, l’Assemblée fédérale créa l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), établissement fédéral de droit public doté de sa propre personnalité juridique. L’IFSN devenait l’autorité suprême et indépendante de sûreté nucléaire.
La CSA quant à elle n’avait pas été supprimée ni avec la création de la DSN ni lors de celle de l'IFSN. Elle se nomme la Commission de la sécurité nucléaire CSN, une commission consultative qui rapporte toujours au Conseil fédéral. Elle fut l’objet de reproches de la part des antinucléaires jusqu’à ce que le Conseil fédéral y nomme des membres critiques envers l’utilisation de l’énergie nucléaire, voire antinucléaires. La politisation de cet organisme, qui aurait dû ne regrouper que des personnalités expérimentées et compétentes sur le plan scientifique et technique du domaine nucléaire, était ainsi lancée.
Avec l’indépendance de l’IFSN le problème d’avoir deux instances techniques et scientifiques susceptibles de se prononcer différemment sur des questions de sécurité nucléaire était posé. L’Inspectorat t est indépendant et doté de moyens financiers et en personnel conséquents pour remplir sa tâche, l’autre, la Commission, réunit quelques personnalités aux qualités scientifiques reconnues mais , et cela depuis le milieu des années 90, certaines sont choisies avec des critères sociopolitiques. Depuis les conflits ont émaillés son activité: et certains membres de la CSN prennent mal le fait d'être relégués dans un rôle purement consultatif.
Il aurait probablement mieux fallu soit supprimer la CSN, soit la mettre à la disposition de l’IFSN, afin de le conseiller à sa demande pour des questions par ex. allant au delà de la science et de la technique. La CSN, en regroupant des personnalités du domaine de la sciences et de la techniques, ainsi que des sciences humaines, pourrait ainsi jouer un rôle de vrai conseillé de l’autorité suisse de sécurité du nucléaire.
D’ailleurs dans son rapport final de l’audit de l’IFSN, la Commission internationale « Integrated Regulatory Review service » (IRRS), placée sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et qui examine le fonctionnement des autorité de sûreté, a recommandé que toute les autorités et commissions, qui en Suisse sont actives dans le domaine de la sûreté nucléaire, et en particulier la CSN, donnent leurs avis et recommandations directement à l’IFSN, avant que cette dernière ne prenne ses décisions.
À François Etienne
J’aimerais commenter deux des réflexions importantes que vous faites.
Ière réflexion: il faudrait être comme Etienne Barilier a-nucléaire, plutôt que pro- ou antinucléaire.
Je partage votre point de vue. Parce qu’il faut éviter les fanatismes, dans un sens comme dans l’autre. Mais le “ni pour ni contre, bien au contraire” ne suffit pas. Ce qui me semble déterminant dans la recherche d’une position équilibrée c’est la conditionnalité: on ne peut être pour ou contre que sous conditions. Ces conditions sont les exigences à satisfaire en matière de sécurité, de protection de la santé et de protection de l’environnement. Ce qui est indéfendable, tant d’un point de vue scientifique que d’un point de vue éthique, c’est d’être soit inconditionnellement pour ou soit inconditionnellement contre. Voir sur ce sujet les analyses de Sybille Ackermann, théologienne et biologiste, réf. [1] et [2]. L’opposition des militants antinucléaires est bel est bien inconditionnelle: il suffit de voir leurs propositions politiques. Les professionnels du nucléaire ne sont pas pour le nucléaire sans conditions. Il n’y a sur ce point pas symétrie dans le fondamentalisme. Une anecdote à ce propos. Après une “table ouverte” de la télévision romande consacrée au nucléaire en 1984, les participants se retrouvaient hors caméra autour d’un repas. J’avais participé à ce débat avec Gilles Petitpierre, alors conseiller national et opposant. Je lui pose la question de savoir si sa position contre le nucléaire est inconditionnelle. M. Petitpierre, d’une grande honnêteté intellectuelle, était visiblement mal à l’aise à l’idée de reconnaître une opposition inconditionnelle. Mais il n’était pas en mesure de dire en quoi les conditions de sécurité prévues dans la loi seraient insuffisantes ou mal respectées. Il n’avait pas d’arguments de cet ordre et devant mon insistance, par gain de paix, il a fini par se déclarer inconditionnellement contre. En fait, la vraie réponse, Gilles Petitpierre l’a donnée quelques années plus tard en 1998 en co-signant avec quelques spécialistes, un document adressé au Conseil fédéral. Ce document décrivait un système nucléaire inspiré de Carlo Rubbia, le “Rubbiatron”, basé sur le Thorium et sur un réacteur sous-critique. L’argument essentiel était le suivant: le nucléaire peut-être une ressource énergétique très utile pour l’humanité et pour la Suisse, à condition de … et suivaient la description de ces conditions et d’une technique nucléaire adaptée. Gilles Petitpierre était devenu conditionnellement pro. Bravo, malheureusement, jusqu’à aujourd’hui et à ma connaissance, c’est le seul leader politique antinucléaire romand à avoir fait cette évolution. Quant à la question de savoir si le “Rubbiatron” résout des problèmes que ne peut pas résoudre le nucléaire classique, je ne le pense pas, mais c’est un autre débat.
2e réflexion: vous dites ” Le défaut idéologique du nucléaire civil se situe dans l’incapacité récurrente des responsables qui eux-mêmes aussi ont peur de jouer carte sur table en affichant les risques potentiels et réels de cette technologie”.
Pas d’angélisme, un peu de méfiance n’est pas inutile et votre point de vue correspond à une perception certainement largement répandue. Votre critique est donc utile et j’y réponds d’autant plus volontiers que vous la formulez de manière courtoise et constructive. Je pense cependant qu’en grattant un peu derrière les apparences, la méfiance systématique n’est pas forcément justifiée. Je me limite à trois arguments.
1) c’est bien parce qu’il y a au sein des responsables, dont l’Inspectorat de sécurité (IFSN) une volonté d’analyser et d’anticiper sans restrictions tous les risques potentiels, que les centrales suisses (comme en France, aux USA, en Allemagne, etc…) ont été améliorées et rééquipées au point d’être capables de résister à des évènements du type Fukushima. Ce que n’ont pas fait les instances japonaises concernées.
2) En Suisse les principaux responsables de la production d’électricité nucléaire sont des collectivités publiques. Dans les Conseils d’administration on trouve des administrateurs professionnels et des élus politiques. Pour la Suisse romande il s’agit essentiellement d’Eosholding, actionnaire d’Alpiq depuis la fusion EOS – Atel. Si on regarde quels sont les élus politiques dans le CA d’Eosholding, on trouve des personnalités bien connues comme Daniel Brélaz ou Robert Cramer. Connaissant leur positions politiques, il est difficile d’admettre que MM. Brélaz et Cramer soient prêt à faire beaucoup de concessions en matière d’analyse des risques, voire à fermer les yeux. Par contre ils ne sont pas forcément très motivés pour expliquer le haut niveau de sécurité finalement obtenu.
3) Le gouvernement français, suite aux évènements de Fukushima, a confié une mission d’enquête approfondie à une commission composée de nombreux spécialistes. Objectif: comparer de manière systématique (coûts, risques, environnement,…) un large spectre de scénarios d’approvisionnement en électricité allant du renforcement du nucléaire à son élimination totale. Cette mission conduite par le Prof. Jacques Percebois de l’Université de Montpellier et Claude Mandil, ex-directeur de l’Agence internationale de l’énergie a déposé un remarquable rapport le 9-02-2012 intitulé “Energies 2050”, réf. [4] . Conclusion principale: le maintien du nucléaire est favorable pour tous les critères, il est donc conforme à l’intérêt général. Résultat pratique: il y a eu dans beaucoup de médias une levée de bouclier pour dénoncer la malhonnêteté des auteurs. Du dénigrement, sans information sur le contenu du rapport. MM. Percebois et Mandil ont répondu le 12-03-2012 dans un article du Monde, voir réf. [5].. C’est un exercice presque impossible de défendre sa propre honnêteté scientifique: ils le font de manière remarquable, je recommande vivement la lecture de leur article.
Pour conclure: si l’affaire Buser devait déboucher, sans investigation sérieuse et sur la seule base d’insinuations, sur la conviction dans l’opinion publique que la sûreté nucléaire et l’IFSN en Suisse reproduisent les mêmes erreurs que celles commises au Japon, à savoir ignorer des avis d’experts sérieux, ignorance qui a conduit aux évènements de Fukushima, alors on commettrait une terrible injustice: ce serait une affaire Dreyfus, sans Zola.
Ce serait aussi le triomphe dangereux de la montée en puissance de l’écologie politique dans la société et dans les classes, contre laquelle Rudy Grob, rédacteur en chef de l’Educateur dans les années 80, avait mis en garde en utilisant la formule suivante: “… une stratégie qui joue de la peur des hommes pour écarter les connaissances et forcer les décisions.”
Au final, le citoyen inquiet et un peu perdu, doit se poser une question essentielle: que veut-il pour le nucléaire? La disparition ou la sécurité? S’il veut la disparition du nucléaire, il peut donner sa confiance sans regret aux militants antinucléaires, il poursuivront cet objectif avec détermination. Par contre, si le citoyen veut la sécurité du nucléaire, il a meilleurs temps d’accorder sa confiance (lucide et mesurée) aux professionnels, qu’ils soient dans la conception, dans l’exploitation ou dans l’autorité de sécurité. Ces professionnels veulent sincèrement la sécurité, par simple déontologie et aussi ne serait-ce que parce qu’eux mêmes et leur famille vivent à proximité des centrales.
Rappelons aussi que si chaque fois que l’homme avait préféré interdire a priori les techniques à risques au lieu de rechercher la maîtrise des risques par des normes bien faites et respectées, nous n’aurions pas de bâtiments, pas de routes, pas de voitures, pas de ponts, pas de médecine, pas d’hôpitaux, bref, pas de civilisation…
Références
[1] http://www.nuklearforum.ch/ebarticle.php?art_id=fr-124703701755&id=fr-116487550462-
-t-search
[2] http://www.nuklearforum.ch/_upl/files/Brosch_re_Kernenergie_und_Ethik.pdf
[3] Die Kernenergie der Zukunft und die Schweiz. G. Petitpierre, J.-C. Courvoisier, E. Heer, H. R.
von Gunten, P. Mayor, Ch. de Reyff, 7.12.1998
[4] http://www.strategie.gouv.fr/system/files/rapport-energies_0.pdf
[5] http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2012/03/12/1655797.html
… Il suffit de lire le non-programme des Verts-libéraux pour prendre conscience de l’intoxication idéologique d’une écologie plaçant les Maîtres au château et les esclaves dans les cavernes …
Les vrais Verts possédant un vrai sens critique ne sont pas légion et inaudibles, invisibles, tant ils sont étouffés par une politique de la pensée unique, du formatage du risque = zéro. Ce phénomène se confirme non seulement en Suisse, mais partout en Europe, en France notamment, à cette différence près qu’en Suisse une schizophrénie tenace, crasse, veut tout interdire : nucléaire, éolien, solaire, etc. C’est bel et bien cette incohérence qui doit être dénoncée. Une société de progrès a besoin d’énergie, sans se faire culpabiliser et menacer par des peurs séculaires. Tout est question de mesure.
Exemple historique, révélateur de l’écologie débile, castratrice : en 1984, à écouter les milieux écologiques d’alors, la forêt suisse était en perdition, condamnée à disparaître. Et trente ans plus tard, cette même forêt se porte très bien, au point qu’il y a surabondance de bois d’excellente qualité.
Cela étant, l’attitude responsable consiste à adopter l'”a-nucléaire”, à savoir ni pour ni contre, mais à garder les yeux ouverts, dans l’objectivité des besoins de la société, en évitant le double langage, celui de la croissance bienfaitrice et simultanément l’opposite à tout développement !
La décision fédérale de fin définitive du nucléaire après Fukushima a démontré la très grande fragilité d’une autorité politique sous l’emprise de l’angoisse. C’est faire fi du kWh qui a servi à préparer le biberon, à chauffer et servir la croissance des Verts et Verts-Libéraux, grands pourfendeurs du progrès sur lequel ils sont assis. Certes une centrale nucléaire peut sauter, mais alors il convient d’être conséquent, de fermer aussi bien que le livre. A ce propos, le risque de chute d’une météorite, une guerre nucléaire militaire, le terrorisme, bref, toutes les misères imaginables sont à rapprocher avec l’extinction des dinosaures et, dans de telles conditions, arrêtons de vivre !
Le défaut idéologique du nucléaire civil se situe dans l’incapacité récurrente des responsables qui eux-mêmes aussi ont peur de jouer carte sur table en affichant les risques potentiels et réels de cette technologie. Il s’agit concrètement d’un manque d’information objective, dans la pesée du pour et du contre. Et dans la même incapacité à analyser honnêtement les causes des trois grandes catastrophes civiles nucléaires des trente dernières années. Vivant dans le rayon des 15 km d’une centrale ancienne, très critiquée actuellement, j’imagine le soudain bruit strident des sirènes annonçant le pépin grave, tout comme d’ailleurs la pernicieuse “chimisation” de la nourriture, les très fines particules du diesel, la pollution électro-magnétique, mais également les éruptions solaires et leurs émissions de rayons nocifs, sans parler du corollaire final représenté par l’hiver nucléaire, la fin de la civilisation !
Certes de manière diplomatique, on nous fait savoir que la population vit de plus en plus longtemps, qu’elle se gave au risque de tomber dans l’obésité morbide, grevant ainsi les fondements socio-financiers. En vérité, le choix entre la misère majoritaire des siècles écoulés et la vie actuelle est très vite fait.
Qui est le plus “vendu” ? L’écolo-socialiste doctrinal qui préfère une grande masse de pauvres à maîtriser ou le libéralisme progressiste qui s’inscrit dans le progrès individuel ?
La plus grande pollution du moment relève d’une immense hypocrisie, donc d’un plan moral : le citoyen commun ne peut se passer de son i-phone, de sa voiture, de son confort, de sa machine à café, de ses voyages, de sa domotique enchanteresse, tous éléments prônés par les médias, le commerce, le marketing … Et simultanément, il refuse psychotiquement l’éolienne qui tue les oiseaux, défigure le paysage du Jura et d’ailleurs; le panneau solaire qui détruit la beauté du Lavaux; le projet de dépôts de déchets du Bugey; le rehaussement de barrages susceptible de déranger le ménage des marmottes et l’intégrité de la flore … Par contre il exige des kWh, de plus en plus de kWh produits ailleurs, loin de chez lui, donc chez les autres. La “radioactivité” de cette mentalité détestable, immature, égoïste, si elle perdure, nous mènera à la désertification morale consistant à se complaire dans une jouissance considérée comme légitime au détriment de la m…. laissée chez autrui.
A l’instar d’autres débats, l’approvisionnement énergétique relève principalement de préceptes sociétaux tus, accessoirement de considérations techniques. Tel est le fondement de ce même débat exigeant l’invalidation des fredaines écologiques, du “faites comme je dis, pas comme je fais”.
A quand une écologie responsable, au service de l’Homme ?
Les écolos ne seraient-ils pas à l’oeuvre pour nous resservir à leur sauce les peurs de l’an mil et leur cortège d’hallucinations ? Ils ne veulent pas croire aux progrès des techniques nucléaires, mais pensent dur comme fer que les éoliennes assureront 40% de l’énergie électrique, tant leur foi-croyance est grande au progrès, un vrai celui-là, de la production du vent et répètent ces mots du poète “…venti spirate secundi…”; mais ils ne condamnent pas la transformation de ressources agricoles alimentaires de première nécessité en carburant, qui reste, quoi qu’on en pense à l’heure où des millions d’êtres humains crient encore famine, un péché contre l’esprit; seul peut-être le réchauffement climatique qu’ils redoutent, et dont ils condamnent tous les acteurs-pollueurs, pourraient répondre à leur voeux par l’augmentation des tornades, blizzards, tempêtes et autres typhons, à supposer que les éoliennes leur résistassent; le cocasse, depuis que c’est instauré le débat écologo-nucléaire, est que des scientifiques qui ont fait les mêmes études, sur quasi les mêmes bancs, dans les mêmes manuels finissent par disputer comme des théologiens: cela ne transcende assurément pas le débat, mais donne à penser qu’il dépasse l’entendement humain.
“….Et au conseiller national Vert Christian Van Singer sur les ondes de Forum traitant les scientifiques de l’IFSN de “vendus”…” que n’a-t-on répondu :” Toi-même” ? Répondre par l’insulte est-ce le vrai débat ?