FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour l’ancien journaliste du Monde Yves Mamou, l’accusation de «racisme systémique» faite à la société française ou américaine est sans fondement.
Entre entrepreneurs identitaires de couleur et flagellants blancs, les sociétés occidentales affrontent un moment clé de leur histoire. Et pas le moins dangereux! Être activiste et Noir aujourd’hui aux États Unis peut rapporter énormément d’argent. Toutes les grandes entreprises, notamment celle de la High Tech, ont sorti leur carnet de chèques pour s’attirer les bonnes grâces de mouvements de contestation noirs comme Black Lives Matter, NAACP (Association pour la promotion des personnes de couleur)… et quelques autres encore.
Selon NBC, Builtin.com ,CNET.com…: Airbnb a donné 500 000 dollars à différentes associations ; la société de capital-risque A16z, 2.2 millions ; Cisco 5 millions ; Apple: 100 millions de dollars en donations et actions sociales de toutes sortes ; Microsoft: 150 millions pour une politique de recrutement plus inclusive. Selon Forbes, Fitness company Peloton va donner un demi-million de dollars à NAAACP, Banana Republic: 250 000. Levi’s: $100,000.
Selon le Wall Street Journal, Merck, IBM et quelques autres grands groupes ont mobilisé plus de $100 millions cette année en faveur de OneTen, une startup qui va former des candidats noirs à occuper des postes de direction dans leurs entreprises. Quant au Nasdaq, il a intimé l’ordre aux entreprises cotées d’inclure des hommes et des femmes non-Blancs et des personnes dotées de sexualités différentes dans leurs conseils d’administration.
Alors que (...) que toutes les barrières raciales depuis la fin des années soixante ont été démantelées (...) la question du racisme est devenue obsédante aux États Unis ?
Il est incompréhensible que des montagnes de dollars se déversent soudain sur les mouvements antiracistes noirs! Fort heureusement, l’esclavage a été abrogé voilà un bon bout de temps, toutes les barrières raciales depuis la fin des années soixante ont été démantelées, plus aucune école n’oserait refuser l’inscription d’un élève de couleur, toutes les entreprises craignent comme la peste d’être accusées de discrimination raciale, aucun hôtel ne refuse une chambre à un Noir, et aucun bar ne refuse de servir à boire aux personnes de couleur… Mais la question du racisme est devenue obsédante aux États Unis?
Pour l’essayiste américain Shelby Steele, Senior Fellow de la Hoover Institution - lui-même issu d’un mariage interracial - et auteur de «White Guilt» («Culpabilité Blanche»), l’Amérique a cessé d’être un pays structurellement raciste pour devenir un pays structurellement culpabilisé. Pour Shelby Steele, la violence politique de certains groupes noirs et la militarisation de milices comme BLM ne sont pas la conséquence des violences racistes infligées par les Blancs. Au contraire, cette violence noire surgit parce que le racisme réel a cédé la place à la culpabilité et que la violence noire est présentée aux Blancs comme la conséquence de leur racisme structurel. Plus des Noirs se montrent violents, plus des Blancs se font culpabiliser.
Dans une tribune récemment publiée dans le Wall Street Journal, Shelby Steele pose «que nous, les Noirs, ne sommes plus tellement victimes. Aujourd’hui, nous sommes libres de construire une vie libre de toute persécution raciale». À l’école, sur le marché du travail ou du logement, les Noirs rencontrent plus facilement la préférence raciale que la discrimination raciale. Le fameux «privilège blanc» est en réalité un privilège noir. «Nous vivons dans une société qui nous montre généralement de la bonne volonté, une société qui a isolé le racisme comme son péché le plus impardonnable» écrit Shelby Steele.
Ce qui ne va pas sans poser de redoutables problèmes d’identité. «Qui sommes-nous sans la malveillance du racisme? Pouvons-nous être Noirs sans être des victimes?» Et comme personne n’a de réponse à cette question, il est devenu de bon ton de pointer un doigt accusateur contre le «racisme systémique» de la société américaine. «Le «racisme systémique» est un terme (…) qui a été inventé pour maquiller l’absence abyssale du racisme réel» écrit Shelby Steele.
La victimisation est devenue l’arme de guerre de prédilection d’entrepreneurs identitaires (...) qui exploitent le regard désenchanté que les (...) blancs portent sur leur histoire
Que des minorités agissantes inventent le racisme là où il n’est pas, et exploitent la culpabilité des occidentaux n’est pas une spécificité américaine. Les Palestiniens exploitent la culpabilité des anciennes puissances coloniales européennes et accusent les Israéliens (les Juifs sont une autre sorte de Blancs) de se comporter en nazis ; en Europe, les islamistes se posent en victimes de l’islamophobie occidentale…
En d’autres termes, la victimisation est devenue l’arme de guerre de prédilection d’entrepreneurs identitaires, ethniques ou religieux, qui exploitent le regard désenchanté que les Européens et les Américains blancs portent sur leur histoire, leur culture et leur passé. C’est au moment où les sociétés occidentales, par leur histoire (les États Unis) ou par choix (la France), tentent de s’assumer comme des sociétés multiculturelles parfaitement égalitaires qu’elles sont le plus férocement accusées d’être racistes et discriminantes.
La surprise
La surprise vient de l’étrange apathie des sociétés victimes de ce terrorisme racialiste ou identitaire. N’est-il pas singulier que des millions d’américains aient mis un genou en terre et demandé pardon après le meurtre de Georges Floyd, ce Noir mort sous le genou d’un policier blanc en mai 2020?
Y-aurait-il acquiescement des populations blanches européennes à la violence qui leur est infligée? Ces Blancs-là, seraient-il en quête de rédemption?
Pour Shelby Steele, cette «white guilt» remonte aux années 1960. A cette époque, aux États Unis, les Blancs qui militent aux côtés des Noirs contre les discriminations raciales, sont progressivement exclus de toute alliance de long terme avec les Noirs. La lutte contre le racisme devient un monopole Noir.
Privés de rédemption au côté de Noirs, les Blancs ont cherché à laver des péchés de leur société en se redéployant vers d’autres causes: la guerre du Vietnam, le féminisme, la liberté sexuelle, l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, le palestinisme, l’environnement, le réchauffement climatique, les droits de l’homme, la lutte contre l’islamophobie…
Entre les Noirs qui les repoussaient et le Goulag qui révélait le vrai visage du socialisme, les progressistes blancs se sont retrouvés en proie à un messianisme sans but
Mais l’effondrement de l’empire soviétique et la déroute du socialisme ont plongé les progressistes dans un état de sidération. Entre les Noirs qui les repoussaient et le Goulag qui révélait le vrai visage du socialisme, les progressistes blancs se sont retrouvés en proie à un messianisme sans but. Ils aspiraient au Bien suprême sans pouvoir le formuler, et se propulsaient dans un projet refondateur sans avoir la moindre idée de la société qu’ils voulaient construire.
Et ce messianisme sans but ni cause s’est transformé en maladie auto-immune. Ayant perdu toute estime pour la société dont ils étaient issus, convaincus que rien de positif ne pouvait sortir de leurs écoles, de leurs églises ou de leurs partis politiques, les progressistes ont fait chorus avec leurs détracteurs ; ils se sont alliés à ceux qui aspirent démanteler les fondements de leur propre société ; et ont entrepris de faire passer les intérêts de minorités ethniques qui ne leur veulent pas de bien, avant leurs propres intérêts.
Les Américains ont donné un nom à ce millénarisme sans cause ni but. Woke: Le Réveil!
Le philosophe américain John Gray, a parfaitement saisi l’importance politique de ce moment de l’histoire occidentale. Dans un article intitulé «The woke have no vision of the future», il compare le mouvement woke aux Millénarismes qui ont ravagé l’Europe au Moyen Age, puis il conclut: «La force avec laquelle le mouvement Woke déborde dans certaines parties de l’Europe et du Royaume-Uni, montre que nous n’avons pas affaire à une tempête dans un verre d’eau. Aux États-Unis, les militants Woke ont peu ou pas de politiques précises. Ce qu’ils veulent, c’est simplement la fin de l’ordre ancien. Ce paroxysme dont nous sommes témoins est un moment déterminant du déclin de l’Occident libéral».
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(vidéo à la fin de l'article source)
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