Suite à l'article paru dans Le Temps du 29 janvier «Dans le Coran, sur 6300 versets, cinq seulement contiennent un appel à tuer», le professeur Sami Aldeeb, spécialiste de l'islam, a répondu à Reinhard Schulze :
Réponse de Sami Aldeeb
1) Le nombre des versets du Coran: 6236 verset et non pas 6300
Le Coran, dans la version la plus répandue et qui est en usage en Arabie saoudite et en Egypte, compte 6236 versets, et non pas 6300 versets. Il faut cependant remarquer que le Coran en usage au Maroc compte 6214, et celui en usage au Soudan compte 6204 versets. Cela ne signifie pas que ces deux derniers Corans sont plus courts que le premier, mais simplement que la division des versets est faite autrement. Je ne sais pas d’où le Professeur Reinhard Schulze sort le chiffre de 6300 versets. S’agit-il d’une erreur du Professeur, ou d’une erreur du journaliste qui a transcrit la discussion? Je l’ignore.
2) Nombre des versets qui appellent à tuer
L’article porte le titre « Dans le Coran, sur 6300 versets, cinq seulement contiennent un appel à tuer ». Il est clair que l’intention du Professeur Reinhard Schulze (ou du journaliste) est de minimiser la place de la violence dans le Coran.
Il faut avant tout signaler qu’il n’est pas nécessaire qu’un mari tire cinq coups de pistolet sur sa femme pour qu’il devienne un criminel. Un seul coup de pistolet suffit pour tuer sa femme et transformer le mari en assassin. En soi donc le nombre ne signifie rien. Un seul missile de grand calibre peut réduire un grand immeuble en un amas de ruine.
3) Disculper l’islam des crimes des terroristes
Le Professeur Reinhard Schulze, comme le fait d’ailleurs le Président français Hollande, disculpe l’Islam de la violence. Pour rappel, le Président Hollande a déclaré après le massacre des journalistes de Charlie Hebdo: « ces terroristes n’ont rien à voir avec la religion musulmane » (Voir ma lettre à François Hollande). Le Professeur Reinhard Schulze dit pareillement, en d’autres termes, « Pour moi, la question centrale dans tout cela est: est-ce l’islam qui fabrique les croyants, ou sont-ce les croyants qui fabriquent l’islam? Si l’on tient la première proposition pour vraie, alors il faut doter l’islam de dogmes indestructibles, qui répondront de tous les actes des musulmans. Si c’est la deuxième qui est vraie, ce que je crois bien sûr, alors ce sont les croyants qui doivent en répondre. L’islam est sous leur responsabilité ».
En deuxième lieu le Professeur Reinhard Schulze se contredit: il disculpe l’islam et dit que l’islam est sous leur responsabilité, et en même temps il estime qu’ « on ne peut … pas accuser la communauté des musulmans des crimes commis par des extrémistes ». Et ensuite il ajoute: « Le Coran compte quelque 6300 versets au total, dont 300 contiennent des mots tels que «combattre» ou «tuer». Cinq versets, en tout, sont une injonction à tuer ». Il ne précise pas quels sont ces cinq versets? Mais l’existence de ces 300 versets qui « contiennent des mots tels que «combattre» ou «tuer» » et des cinq versets qui comportent « une injonction de tuer » prouvent que le Coran incite à la violence. Le Coran étant la première source de droit musulman, comment peut-on alors disculper l’Islam des actes de violence, comme voudrait le faire le Professeur Reinhard Schulze? En fait, les « terroristes » justifient tous leurs actes, même les plus abjects à travers le Coran et la Sunnah de Mahomet (qui constitue la deuxième source du droit musulman). On peut même aller plus loin: qu’est-ce que les terroristes ont fait et que Mahomet et ses compagnons n’ont pas fait? Mahomet est leur modèle, et il est inscrit sur leur drapeau. Ils sont des musulmans qui appliquent fidèlement les prescriptions du Coran et du Prophète Mahomet. Il serait donc absolument faux d’innocenter l’islam des crimes des terroristes musulmans. Ouvrez les ouvrages juridiques classiques, y compris l’ouvrage juridique « Bidayat al-mujtahid wa nihayat al-muqtasid » du philosophe Averroès – que des intellectuels occidentaux prennent pour un philosophe éclairé, et vous constaterez que ces terroristes ne font que suivre les enseignements de l’islam (voir la traduction anglaise de cet ouvrage). Dire que « les fondamentalistes, eux, opèrent une relecture du Coran très éloignée de la tradition islamique », comme le fait le Professeur Reinhard Schulz, est loin de la vérité, et dénote soit une ignorance des enseignements de l’Islam, soit une peur de dire la vérité. Et ce n’est pas la seule erreur commise par ce professeur.
4) La charia serait-elle née de l’imaginaire de l’Occident?
J’en prends une autre erreur. Le Professeur Reinhard Schulze dit: « Evidemment, en Occident, on a une idée très nette de la charia: une sorte de loi du talion complètement rétrograde qui peut vous faire littéralement perdre la tête! ». Est-il au courant du Code pénal arabe unifié adopté à l’unanimité par tous les Ministres arabes de la justice et qui se trouve sur le site de la Ligue arabe? Ce code prévoit expressément les sanctions pénales islamiques les plus dures: oeil pour oeil, amputation de la main du voleur, lapidation de l’adultère et mise à mort de l’apostat (le musulman qui quitte l’islam). Est-ce l’Occident qui a écrit ce code?
Le préambule de l’article dit: « L’Occident peut aider les intellectuels musulmans ». Et le Professeur Reinhard Schulze dit: « Le soutien et l’apport de compétences intellectuelles libres des Occidentaux sont indispensables ». Si une telle aide est la bienvenue, elle doit avant tout se baser sur un diagnostique correct du mal dont souffre la société musulmane. Disculper l’islam des crimes des islamistes n’aide en rien les musulmans, mais les enfonce dans leurs problèmes, et le monde entier avec eux.
Seule la vérité peut sauver les musulmans et le monde de ces heures sombres que nous vivons. Mais est-ce que les universités et les universitaires occidentaux sont prêts à y contribuer? J’en doute fort. Le discours du Professeur Reinhard Schulze en est une preuve éloquente.
Dr. Sami Aldeeb Abu-Sahlieh
Professeur des Universités
Centre de droit arabe et musulman
Voir ICI les différentes publications du professeur Aldeeb Abu-Sahlieh