La transmission rendrait l’élève passif

Il s’agit là certainement d’un des arguments les plus répandus pour justifier l’utilisation des pédagogies constructivistes. Quelqu’un a un jour décrété que lorsqu’un enseignant transmet des connaissances, les élèves sont passifs et, comme chacun le sait, on ne peut pas progresser au travers de la passivité. Depuis lors, cette antienne est systématiquement reprise en boucle et ce alors que personne n’a jamais apporté une quelconque preuve de cette passivité !

En fait, il s’agit d’une grave confusion entre la passivité comportementale et la passivité cognitive. D’ailleurs, généralement, cette passivité comportementale est même souhaitée puisque, lorsque l’enseignant parle, il est recommandé de se concentrer sur ce qui est dit/montré sans faire autre chose. Mais ce n’est pas parce que les élèves ne font rien en apparence que leur cerveau n’est pas actif. Le simple bon sens permet de comprendre qu’un élève à qui on expose une théorie, une règle de mathématique ou de grammaire notamment pourra difficilement reproduire l’exemple qui lui a été transmis s’il ne reconstitue pas mentalement les opérations que l’enseignant montre devant lui. Il lui est d’ailleurs totalement impossible de reproduire une série d’opérations si celles-ci n’ont pas été réalisées mentalement au moment de l’exposition à l’enseignement puisque cela reviendrait à dire que l’élève invente de toute pièce la procédure.

Ainsi donc, lorsque l’enseignant enseigne, loin d’être passif, le cerveau de l’élève reconstitue chaque geste que le maître expose. Cela peut mener à utiliser les fonctions cognitives les plus hautes qui soient puisque, si l’enseignant réalise une synthèse, pratique une évaluation ou fait de l’analyse, l’élève en fait tout autant. Et même plus si l’on en croit ce que nous démontrent les dernières avancées réalisées dans le domaine des neurosciences. Certains chercheurs ont en effet utilisé l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour observer l’activité cérébrale d’enfants âgés de 3 à 5 ans au moment où on leur faisait la lecture d’histoires et ont notamment constaté une activation de la région du cerveau responsable du traitement des stimuli visuels.[1] Autrement dit, non seulement le cerveau de l’enfant suit l’histoire qui lui est contée, mais il va même jusqu’à activer ses propres connaissances au sujet des éléments qui lui sont décrits et reconstitue un visuel de la situation, faisant ainsi preuve de créativité ! Une personne à qui l’on transmet des informations est donc potentiellement également capable de dépasser le stade de la simple reproduction de ce qui est transmis et de mettre en branle des fonctions cognitives supérieures à celles que l’enseignant essaie de lui transmettre. Peut-être met-il en lien le nouveau savoir avec d’anciens ou alors compare-t-il ce qu’il est en train d’apprendre avec d’autres procédures qu’il connaît ou autre. Il ne me semble pas y avoir de raison valable de penser que ce qui fonctionne avec l’enfant cesse avec l’âge. On est donc bien loin de la passivité et de l’abrutissement généralisé dénoncé par les penseurs constructivistes puisque, rappelons-le, l’élève atteint au minimum le même stade cognitif que son enseignant. Pour autant que celui-ci lui enseigne correctement les choses bien entendu.

En revanche, il n’est de loin pas certain que l’élève puisse atteindre de tels niveaux de pensée dans les dispositifs de découverte préconisés par les constructivistes. Un élève qui échoue à découvrir par lui-même ce qu’on essaie de lui faire trouver n’atteindra jamais le stade cognitif de l’opération qu’il lui faut trouver. Il risque même de se décourager et de tourner son attention vers autre chose, se rendant ainsi actif du point de vue comportemental mais cognitivement passif au regard de ce qu’il doit apprendre. Ou alors, il peut tout aussi bien se retrouver dans la situation de n’avoir que partiellement correctement reconstruit ce qu’il doit trouver et ainsi encombrer son cerveau de faux théorèmes. Et comme ces cas de figure arrivent de manière assez fréquente, il faut bien conclure que les dispositifs constructivistes de découverte ont bien plus de chances de rendre les élèves passifs ou de les emmener sur de fausses pistes qu’un dispositif transmissif.

Certains se demanderont certainement quel est l’intérêt de faire remarquer ce que n’importe qui possédant un peu de jugeote a compris. Ils ne savent vraisemblablement pas que dans les instituts de formation initiale comme continue et même dans les organes de contrôle des enseignants, ces formules sont systématiquement rabâchées car constituant un des piliers fondamentaux sur lesquels le constructivisme éducatif tente de se déployer. Le constructivisme forme des perroquets à tour de bras et ce jusque dans les plus hautes sphères de la formation!

Stevan Miljevic, 11 septembre 2015

[1] http://rire.ctreq.qc.ca/2015/08/lecture-histoires-cerveau/

Enseigner la complexité sérieusement

Cette semaine encore, je découvrais dans une revue spécialisée les grandes considérations d'un éminent spécialiste de l'université de Genève (1). S'extasiant devant la complexité du réel, ce monsieur postulait que l'école devait absolument s'y mettre au plus vite et proposer aux élèves des activités permettant de titiller cette fameuse complexité.

Pour y parvenir, son esprit retors préconisait notamment l'entrée par le complexe des situations-problèmes. Soit, la crème de la crème (ou plutôt la tarte à la crème) du constructivisme. Cerise sur la tarte en question, il justifiait ce point de vue par la nécessité de tenir compte des dernières avancées en matière de sciences cognitives.

Bien entendu, pas un mot sur ces fameuses et spectaculaires découvertes cognitives. Pas l'ombre d'un auteur, d'une citation, d'une référence. Rien. Ni même d'ailleurs l'ébauche d'une explication sur la manière dont l'entrée par le complexe préconisée par les constructivistes peut s'accommoder de l'architecture cognitive des élèves que j'ai décrite dans mon précédent billet  et qui, elle, exige, de partir du simple pour aller vers le complexe(2). Ce black-out est tout aussi total au sujet de l'armada d'études empiriques comparatives qui démontrent toutes, résultats à l'appui, que l'entrée par le complexe, la découverte ou autre enquête est ce qu'on peut faire de plus efficace si on tient absolument à ce que les élèves n'apprennent rien ou presque (3).

Cela étant dit, ce n'est pas parce que ce monsieur délire en plein que cela signifie qu'on ne peut pas traiter de la complexité à l'école. Bien au contraire. D'ailleurs, pour être précis, cela fait depuis belle lurette que dans certaines disciplines, ce genre de choses se font. Qu'on pense aux travaux rédactionnels dans les langues où les élèves doivent jongler avec de multiples mots de vocabulaire et de nombreuses règles de grammaire notamment. Ou alors aux activités mathématiques où différents types de connaissances issues de la géométrie comme du calcul littéral par exemple s'entremêlent afin d'arriver à la solution.

La gestion de la complexité demande en fait tout ce que les approches constructivistes (ou autres approches par compétences) ne peuvent pas fournir, à savoir des connaissances durables et  profondément ancrées. Comme les cognitivistes John Anderson ou Daniel Willingham l'ont démontré (4), une gestion experte de la complexité demande qu'au préalable des connaissances soient solidement acquises. Ce constat, désormais clairement établi par les sciences cognitives, devrait faire réfléchir nos concepteurs de plan d'étude et les empêcher de céder à toutes les modes infondées du moment (moment qui s'éternise, puisque, comme on l'a déjà vu, ce genre d'expériences ont déjà été tentées il y a de cela 100 ans en URSS avec des conséquences catastrophiques (5)). Il ne s'agit pas de refuser l'enseignement de la complexité, bien au contraire, mais de le programmer à un moment du cursus où les bases sont solidement posées d'une part, et d'autre part, de l'aborder intelligemment comme on va le voir.

De solides bases de connaissances ne sont en effet pas suffisantes pour aborder la complexité. Pour être domptée, celle-ci demande à celui qui descend dans l'arène des outils de pensée relativement complexes eux aussi. Si donc, on veut éviter la stratégie consistant à tâtonner pour s'en sortir, stratégie que mettent en place les élèves soumis aux fabulations constructivistes tout comme les personnes n'ayant jamais suivi aucune formation et qui peut, selon le cognitiviste John Sweller (6), mener à une résolution de problème n'ayant entraîné aucun apprentissage, il faut enseigner aux élèves/étudiants des outils mentaux permettant de gérer la complexité. Dans leur dernier ouvrage commun, John Hattie et Gregory Yates (encore un spécialiste des sciences cognitives qui dit le contraire de notre illustre chercheur du début, décidément...) donnent deux exemples concrets pour illustrer le cas.

L'illustration la plus frappante, à mon humble avis d'enseignant en histoire, de l'ouvrage est tiré d'une étude menée dans deux hautes écoles du Maryland aux Etats Unis. Il s'agissait d'apprendre aux étudiants l'analyse de documents historiques. On a ainsi donné à un groupe un enseignement explicite du schéma analytique suivant:

Stratégie Questions de procédure Questions évaluatives
Questions sur l’auteur
  • Que savez-vous sur l’auteur ?
  • Quand le document a-t-il été écrit ?
  • Comment l’auteur a-t-il eu connaissance des événements ?
Quel effet le point de vue de l’auteur a-t-il sur son argumentation ?
Compréhension de la source
  • Quel type de document est-ce ?
  • Pourquoi a-t-il été écrit ?
  • Quelles valeurs la source reflète-t-elle ?
  • Quelles hypothèses sous-tendent l’argumentation?
Quel type de vision du monde la source reflète-t-elle ?
Critique de la source
  • Quelles preuves l’auteur donne-t-il ?
  • Y a-t-il des erreurs ?
  • Manque-t-il quelque chose dans les arguments ?
  • Quelles sont les idées qui se répètent dans plusieurs sources?
  • Quelles sont les différences existantes entre les différentes sources ?
  • Sont-elles consistantes ?
La preuve est-elle apportée de ce qui est prétendu être prouvé ?
Création d’une compréhension plus ciblée
  • Décider ce qui est ouvert à interprétation
  • Décider ce qui est le plus fiable et crédible
Comment chaque source approfondit-elle votre compréhension de l’événement historique ?

(7)

En clair, l'enseignant a verbalisé l'ensemble de ces questions qu'un chercheur expérimenté se pose lorsqu'il analyse des documents historiques. Plus encore, l'enseignant les a non seulement verbalisées, mais a encore fait démonstration de la manière d'user de ce questionnement et ce à plusieurs reprises. Il a également fait travailler ce questionnaire à ses étudiants usant de nombreux feedbacks correctifs pour qu'ils aient assimilé la manière correcte d'utiliser ce schéma. Ce travail préparatif s'est étalé sur 5 périodes. D'après les résultats obtenus, cet investissement en a valu la peine puisque les auteurs de l'étude en question concluaient:

Our results suggest that students developed sophisticated task representations for writing because they experienced firsthand how reading and writing strategies converge to accomplish clearly defined goals in historical writing. In this way, the inquiry process provided focus and made the purpose of reading, pre-writing and writing strategies transparent to students (8)

En clair, si l'on veut enseigner sérieusement la gestion de la complexité, il faut non seulement commencer par user des moyens les plus efficaces (enseignement explicite) pour ancrer profondément des connaissances solides et durables dans la mémoire des élèves/étudiants qui leur permettront par la suite d'entrer dans l'analyse, mais il faut de aussi enseigner tout autant explicitement les processus mentaux que déploie un expert au travail. De cette manière, l'architecture cognitive de nos élèves/étudiants est respectée et de solides schémas de connaissances mentaux leur sont fournis. On leur permet alors de savoir parfaitement ce qu'il faut faire face à la complexité et de comprendre comment se construit la connaissance.

Dès lors qu'un maximum de schémas de ce type auront été assimilés, ils pourront à leur tour développer de nouveaux questionnements, de nouvelles stratégies encore plus complexes. On est donc à des années lumière de ce que proposent les têtes pensantes du monde francophone de l'éducation constructiviste. Et tout aussi loin des pauvres stratégies de tâtonnement et de l'inculture généralisée que leurs méthodes induisent.

Stevan Miljevic, le 11 octobre 2014 sur le web et pour les Observateurs.ch

(1) https://dl.dropboxusercontent.com/u/2745999/Publications%20-%20Laurent%20Dubois/Complexit%C3%A9%20-%20LD%20Resonances%20oct-2014%2011-13.pdf

(2) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/28/lapport-des-sciences-cognitives-en-education/

(3)Vous en trouverez quelques unes ici https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/06/01/moyens-denseignement-le-constructivisme-toujours-a-la-barre-au-mepris-des-recherches-scientifiques-serieuses/

(4) pour Anderson voir le point (2) et pour Willingham: https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/04/21/les-competences-sont-impossibles-sans-les-connaissances/

(5) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/14/heures-de-gloire-du-constructivisme-lurss-des-annees-20/

(6) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/28/lapport-des-sciences-cognitives-en-education/

(7) Hattie and Yates, Visible Learning and the Science of How we learn", Routledge, London and New York, 2014, p.74

(8) De La Paz et Felton, 2010, p.190 cité par Hattie and Yates, Visible Learning and the Science of How we learn", Routledge, London and New York, 2014, p.75

L’apport des sciences cognitives en éducation

Ces dernières années, les recherches en psychologie cognitive ont amené un certain nombre de connaissances incontournables dans le domaine de l'enseignement.  Ce billet se consacre à l'exploration de deux aspects primordiaux dans ce domaine d'activité: les recherches sur l'expertise développées par John Anderson ainsi que celles sur la charge cognitive de l'australien John Sweller. J'ai déjà par le passé traité en partie cette dernière, mais je pense intéressant d'y revenir un peu.

Avant de rentrer vraiment dans le sujet, il est nécessaire de fournir un petit explicatif de la manière dont nous interagissons avec notre environnement. Schématiquement, cela donne quelque chose comme cela:

mémoire

Pour faire simple: lorsqu'un élève est confronté à un problème, les informations que lui donne son environnement entrent en lui par le biais de ses sens. Il ne s'agit là que d'une photographie sonore ou visuelle à laquelle il va falloir donner du sens. Cette quête se résout au niveau de sa mémoire de travail: celle-ci va chercher dans la mémoire à long terme les informations nécessaires à la compréhension du problème proposé. Par exemple, s'il se trouve en face d'une chaîne de calculs à résoudre, ses sens lui permettent de photographier la consigne et la chaîne. Puis, il va faire émerger de sa mémoire à long terme les informations nécessaires à l'exécution de la tâche, à savoir notamment ses capacités de lecture, ses connaissances en matière d'exécution des opérations mathématiques et ses aptitudes à respecter les priorités des opérations (récupération). Sa mémoire de travail peut alors se charger de résoudre l'opération. S'il a appris quelque chose en plus, alors la nouvelle connaissance va se stocker dans sa mémoire à long terme (stockage) où elle modifiera et enrichira les schémas de connaissances déjà présents.

Bien entendu, c'est un petit peu plus compliqué que cela, les chercheurs ont tous des spécificités qui leur sont propres (par exemple, certains postulent plusieurs mémoires à long terme) mais, dans les grandes lignes, voilà les opérations mentales que réalise un élève qui essaye de résoudre un problème.

L'expertise selon John Anderson

Anderson est un chercheur américain travaillant à l'université de Carnegie Mellon. Son domaine de recherche est l'apprentissage des savoir-faire, autrement dit des connaissances procédurales. Plus précisément, Anderson a élaboré une théorie expliquant comment quelqu'un passe du statut de novice en un domaine à celui d'expert.

Pour y arriver, Anderson s'est appuyé sur une méthode consistant en des simulations informatiques: des résultats d'analyses expérimentales détaillées des comportements cognitifs sont utilisés pour créer des simulations par ordinateur de ces comportements. Le programme fournit ensuite des prédictions donnant lieu à un test expérimental ultérieur, dont les résultats sont ensuite utilisés pour modifier la simulation. Et ainsi de suite, la totalité de ce processus se répétant tant que nécessaire.

Anderson postule que pour devenir un expert, le novice passe par trois étapes. Lors de la première, nommée phase cognitive, il doit acquérir un ensemble de connaissances déclaratives (des faits, des dates, des définitions etc.) Par exemple, pour lire une recette de cuisine, il faut d'abord connaitre ce que sont les ingrédients, ce que signifient les différents modes de cuisson exposés dans la recette etc.

La seconde phase est la phase associative. Durant celle-ci, l'apprenant va devoir mettre en pratique les connaissances acquises durant la première phase dans un ou plusieurs contextes limités.  Il va s'agir de flexibiliser les connaissances acquises lors de la première phase, de transformer ces connaissances déclaratives en connaissances utilisables et de les utiliser dans un contexte limité. Lors de cette phase, l'habilité en cours de transformation devient de plus en plus coulée, mieux coordonnée, de plus en plus rapide. Son exécution se fait avec de moins en moins d'erreurs. Anderson affirme que ce processus d'apprentissage prend du temps et  que la répétition permet de graver plus profondément dans la mémoire à long terme ce qui doit être acquis.

Vient enfin la troisième phase, dite phase autonome. Les savoirs reliés au domaine ont été acquis lors des deux premières phases, ils vont maintenant être affinés et de plus en plus automatisés. L'ex novice entre désormais dans un processus de généralisation lui permettant d'élargir le champ d'application de ce qu'il a acquis jusqu'à être capable de l'utiliser dans l'ensemble des situations qui s'y rattachent. A ce propos, les études de Weisberg démontre que c'est avec cette généralisation que se développe la véritable créativité, à savoir la capacité à compiler de multiples habilités/savoirs différents de manière totalement nouvelle. Plus les possibilités sont nombreuses, plus la personne est potentiellement créative.

Sweller et la théorie de la charge cognitive

De son côté, John Sweller est professeur en éducation à l'Université de New South Wales à Sydney en Australie. Il est particulièrement réputé pour sa théorie de la charge cognitive dont il a développé la première version en 1988. Elle permet d'expliquer autrement que par le manque de travail les réussites et les échecs des apprenants dans les tâches qui leur sont demandées. L'hypothèse de Sweller est que la mémoire de travail a une capacité limitée et que l'apprentissage peut être entravé si la sollicitation est trop importante.

A l'inverse de la mémoire à long terme et de son potentiel de stockage illimité, la mémoire à court terme (ou mémoire de travail) ne peut ingérer qu'une quantité limitée d'éléments simultanément. Les estimations  sur sa capacité d'absorption varient de 3 à 7 éléments différents en simultané. Mais pour aller plus loin dans la théorie de la charge cognitive, il nous faut faire un petit détour du côté du stockage des informations dans la mémoire à long terme.

Lorsque des informations sont stockées dans la mémoire à long terme, elles ne le sont pas indépendamment les unes des autres. En fait, le cerveau les organise en schémas et réseaux sémantiques. Cela signifie qu'il  créée des associations, des liens et des relations entre la signification d'un mot et de certains concepts. Par exemple, le mot "bateau" peut faire surgir dans la mémoire à long terme des concepts tels que "bâbord", "proue", "poupe", "bateau à voile" etc. De même, le mot "Mac Donald" ramène à "restauration rapide", "aucun service aux tables", "payer immédiatement" etc. En gros, la mémoire à long terme stocke l'information sous forme de réseaux de liens qui constituent des blocs. Plus les connaissances sont intégrées, plus le réseau est compact.

Lorsque ces informations sont sollicitées par la mémoire de travail pour exécuter un problème, le bloc entier est traité comme une seule unité. L'expertise permet donc de réduire le nombre d'éléments différents convoqués et ainsi de réduire la charge cognitive s'exerçant sur la mémoire de travail. Dans l'exemple sur les chaines mathématiques évoqué précédemment, l'expert en face d'une chaîne de calcul va peut-être solliciter un seul ensemble de connaissances qui comprendra le traitement de la priorité des opérations, le traitement de l'addition, de la soustraction etc. Ce qui laisse encore à la mémoire de travail une bonne marge d'éléments différents qui peuvent encore être traités en plus simultanément. De son côté, le débutant, lui, devra recourir à plus d'une ressource si des liens ne sont pas encore solidement effectué entre celles-ci. Cela nous amène à conclure deux choses au sujet du travail de récupération dans la mémoire à long terme pour traiter un problème: 1) ce processus de récupération a un coût en terme de charge cognitive 2) ce coût est fonction du niveau d'expertise atteint par celui qui se confronte à un problème.

Outre cette charge interne, l'élève en face d'un problème se heurte également à une charge externe. Celle-ci se compose de l'ensemble des éléments qu'il rencontre à l'extérieur, que cela soit dans la donnée du problème, dans les éventuels documents à sa disposition pour résoudre le problème, son environnement immédiat etc.

Si donc on espère que l'élève soit capable de réaliser l'apprentissage qu'on demande de lui, il ne faut pas que la charge cognitive qui s'exerce sur sa mémoire de travail surpasse les capacités qu'a celle-ci de traiter les données. Sans quoi l'élève n'est tout simplement plus apte à réaliser la tâche demandée.

L'implication immédiate pour l'enseignant est donc de réduire au maximum la charge cognitive qui s'exerce sur la mémoire de travail de l'élève s'il veut que celui-ci soit apte à réussir son nouvel apprentissage. Il s'agira donc d'organiser l'enseignement (ainsi que l'environnement) de manière à ce que la mémoire de travail des élèves ne sature pas. Sweller précise également à ce sujet, qu'un enseignement qui utilise systématiquement les mêmes procédés contribue également à réduire la charge cognitive qui s'exerce sur les élèves.

Soulignons encore un dernier point en relation avec John Sweller et l'enseignement. Sweller a également démontré que ce n'est pas parce qu'un élève réussit à résoudre un problème qu'il a nécessairement appris quelque chose. Si au préalable il n'a pas reçu le corpus de connaissances et procédures nécessaires à la résolution de ce problème, il y a de bonnes chances que sa méthode de résolution consiste en une succession d'essais-erreurs basés sur le hasard. A la longue, la solution sera trouvée mais aucun apprentissage n'aura eu lieu.

Conclusion

L'ensemble des apports relevés dans ce billet est suffisamment clair pour que chacun puisse se faire une idée assez précise de ce qui doit être fait ou non dans une salle de classe. Aller du simple vers le complexe en découpant l'enseignement en petits blocs ou fournir aux élèves au préalable de nombreux et riches exemples travaillés est donc non seulement du ressort du bon sens, mais également en parfaite harmonie avec ce que disent les cognitivistes d'aujourd'hui.  On parle bien là de réelles et récentes avancées scientifiques basées sur des preuves empiriques et non de balbutiements pré-scientifiques datant du début du siècle dernier. C'est là un peu la même différence qui sépare la phrénologie de l'avènement des neurosciences. Or aujourd'hui, personne n'oserait se revendiquer de l'étude des bosses du crâne pour comprendre le fonctionnement du cerveau. Pourquoi donc ne ferait-on donc pas de même dans le domaine des sciences de l'éducation?

Stevan Miljevic, le 28 septembre 2014 sur le net et pour les Observateurs

 Bibliographie

Mario Richard et Steve Bissonnette "Les sciences cognitives et l'enseignement" in Gauthier, Tardiff, "La pédagogie, théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours", 3ème édition, Gaëtan Morin, 2012, pp.237-254

Netographie

http://www.u-picardie.fr/servlet/com.univ.utils.LectureFichierJoint?CODE=1179228177848&LANGUE=0  consulté le 24 septembre 2014

http://andre.tricot.pagesperso-orange.fr/tricotRPE.pdf consulté le 25 septembre 2014

http://formapex.com/sciences-cognitives/640-et-la-creativite-le-point-sur-la-recherche-en-sciences-cognitives-sur-la-creativite-la-fin-dun-mythe consulté le 26 septembre 2014