Dans la Basler Zeitung, le docteur ès sciences Irene Aegerter s’oppose à la transition énergétique parce qu’elle aggrave la pollution de l’environnement. Ainsi, elle entend ne pas faire la part belle aux agitateurs et idéologues incompétents qui s'affairent à propager malentendus et peurs. Les époux Aegerter se se sont donnés pour mission de réconcilier science et société, animant notamment la cogito foundation et le blog au titre ironique "Kalt duschen mit Doris". Notons encore que le Dr. Aegerter a étudié les mathématiques, la physique et l'astronomie et que sa thèse portait sur les retombées radioactives dans la pluie et dans le sol, et sur leur absorption par les plantes.
La transition énergétique du Conseil fédéral veut tirer la prise. Irene Aegerter se bat contre la stratégie énergétique. Photo : Kostas Maros
Près des voies de la gare principale de Zürich, la naturaliste Irene Aegerter tient la grande forme. « Cette locomotive n’avance que si, au même instant, à quelque part, du courant électrique est injecté dans le réseau ». C’est pour cette raison que cela ne fonctionnerait pas comme prévu avec la transition énergétique. « Le vent et le soleil ne livrent pas le courant au moment où nous en avons besoin ».
Irene Aegerter s’est déjà battue pour l’énergie nucléaire dans les années 80, maintenant elle s’engage à nouveau – et est redoutée pour ses arguments. La SRF (NdT, RTS alémanique) voulait réaliser une discussion avec la Conseillère fédérale Doris Leuthard, qui a catégoriquement refusé. Irene Aegerter se serait pourtant réjouie d’une confrontation avec la Conseillère fédérale.
BaZ : vous avez vécu la politique énergétique de ces 50 dernières années. Que signifie la « Stratégie Energétique 2050 » pour l’approvisionnement en énergie de la Suisse ?
Irene Aegerter : je n’ai encore jamais vécu un tel changement de paradigme. Un abandon du nucléaire accompagné d’un fort encouragement des énergies renouvelables a été exigé encore et toujours, mais n’a jamais eu la moindre chance dans la population. Même pas après la catastrophe du réacteur de Tchernobyl.
Qu’y avait-il alors de différent par rapport à l’accident de Fukushima ?
Après Tchernobyl nous pouvions montrer qu’il s’agissait d’un type de réacteur complètement différent de ceux utilisés dans le reste du monde et qui de plus, par son concept, n’était pas sûr. À Fukushima on a affaire à des réacteurs du même type qu’à Mühleberg (Berne). Mais ils n’avaient pas été rééquipés selon les derniers standards de sécurité. À Mühleberg, un accident comme celui de Fukushima n’aurait ainsi pas été possible. Malgré cela, cet accident a déclenché chez nous une complète volte-face. D’un coup tout avait changé, et cela même avant que soit connu ce qui s’était exactement passé à Fukushima. La transition énergétique ne se base pas sur une analyse soigneuse des faits, mais sur une décision des tripes.
La « Stratégie Energétique » veut trois choses : limiter la consommation d’énergie, promouvoir les énergies renouvelables et fermer les centrales nucléaires.
Avec les deux premiers éléments, on veut rendre le troisième possible. Je suis convaincue que cela ne va pas marcher. Il est juste de vouloir réduire la consommation d’énergie fossile. Nous émettrons ainsi moins de CO2 nocif pour le climat et nous dépendrons moins de l’étranger. Mais en même temps sortir du nucléaire nous conduit à des coûts et des problèmes d’approvisionnement énormes, qui ne pourront être résolus que par la construction de nouvelles centrales fossiles. Et ça je n’en veux pas pour des questions d’environnement.
Pourquoi est-ce comme cela ?
Le vent et le soleil ne produisent pas en permanence de l’énergie. Le vent souffle quand il veut et le soleil ne brille au mieux que la moitié de la journée. Pour que l’approvisionnement soit assuré en permanence, on a donc besoin de centrales à gaz ou au charbon qui doivent être maintenues en veilleuse tout le temps pour pouvoir au besoin les faire monter rapidement en puissance. Un approvisionnement assuré en électricité est cependant indispensable pour l’industrie. Or l’industrie, l’artisanat et les services consomment en effet plus des deux tiers de l’électricité.
Cela ne peut pas être assuré avec les énergies renouvelables ?
Non. Cela commence avec la géothermie sur laquelle la « Stratégie énergétique » met de grands espoirs. Cette technologie est restée un rêve jusqu’à présent. On l’a vécu à Bâle. St-Gall a fait des expériences négatives analogues. Mais aussi les 800 grandes éoliennes dans les hauteurs du Jura et des montagnes dont il faudrait disposer pour l’abandon du nucléaire sont irréalistes. Où donc Mme Leuthard va-t-elle les construire ? Il ne reste donc plus que les cellules solaires. Mais elles n’injectent pas leur courant dans le réseau à haute tension, mais dans celui à basse tension, ce qui nécessite des investissements gigantesques dans des transformateurs et dans le renforcement du réseau de distribution.
On peut pourtant stocker le courant solaire et ensuite l’utiliser quand on en a besoin.
Ce serait beau, mais c’est justement un problème non résolu. Aujourd’hui il n’y a pas encore de technologie à prix abordable. Les batteries sont bien trop chères pour cet usage. Même avec de grandes capacités des batteries les plus modernes, le stockage à lui seul coûte 1 franc le kWh. Le mieux est le pompage-turbinage hydraulique. Cela consiste à pomper avec du courant excédentaire et à stocker de l’eau dans un barrage en altitude, pour la turbiner selon les besoins. Et pourtant ces installations ne sont plus rentables, les projets sont gelés, parce que le courant solaire doit être repris en priorité et que les subventions au solaire (RPC) faussent les prix du courant.
Avec la rétribution à prix coûtant (RPC) je peux vendre mon courant solaire à prix fixe pendant 25 ans à une entreprise électrique, quel que soit le coût effectif.
C’est là le côté absurde de la RPC. Je connais des gens avec des modules solaires sur le toit qui obtiennent 83 centimes pour chaque kWh. C’est dix fois le prix du kWh d’une centrale nucléaire. Et c’est payé par tous les autres. Les cellules solaires produisent le plus de courant en été et à midi, au moment où il y a de toute façon trop de courant. Cela a incité les Chemins de fer allemands à chauffer les aiguillages en été, pour absorber les excédents de courant. Pour cela ils se font bien payer ! En même temps les centrales à charbon allemandes doivent augmenter leur capacité pour assurer l’approvisionnement lorsque le vent et le soleil manquent. Ils recourent alors au lignite, qui est bien la source d’énergie la plus toxique qui soit pour l’homme et pour l’environnement.
Est-ce que vous refusez toute la « Stratégie énergétique » ?
Il y a clairement des éléments que je trouve sensés. Il est juste de réduire la consommation d’énergie et les émissions de CO2 par des mesures d’assainissement des bâtiments et dans la mobilité. Dans ce secteur on peut aussi atteindre des résultats avec des coûts comparativement modestes et quelques prescriptions. Le programme Bâtiments qui soutient les propriétaires en cas d’assainissements est juste, surtout parce que le propriétaire ne reçoit pas de cadeaux sur 25 ans, mais doit lui-même contribuer aux frais. Nous devrions éviter les agents fossiles (gaz, charbon, mazout) pour réduire notre dépendance de l’étranger, la pollution de l’environnement et les risques à la santé. Mais le renoncement au nucléaire en fera brûler davantage.
Que signifie la « Stratégie énergétique » pour la sécurité d’approvisionnement des ménages suisses ?
Elle est consciemment mise en danger. Un membre de la direction des Forces Motrices Bernoises (FMB-BKW) a écrit dans la NZZ : « …les clients pourront alors acheter du courant, lorsqu’il sera disponible et bon marché ». C’est un changement de paradigme, qui, à mon avis, enfreint la Constitution dans laquelle est ancré un approvisionnement énergétique sûr, favorable à l’environnement et économique. Aujourd’hui l’énergie est disponible à tout instant – et donc pas seulement lorsque les entreprises électriques peuvent précisément livrer du courant. Cela aussi devrait être accepté par le Peuple.
Quelles sont les conséquences de la « Stratégie énergétique » pour l’approvisionnement en électricité ?
La Suisse a principalement un gros problème en hiver. Le Conseil fédéral le dit bien dans son message : on ne pourrait remplacer que la moitié de la perte due à l’abandon du nucléaire, le reste devrait être couvert par des centrales à gaz ou des importations. Si nous importons, ce sera alors du courant issu soit de centrales allemandes à gaz ou à charbon, soit de centrales françaises nucléaires. Je ne crois pas que les Suisses voudront construire une centrale à gaz. Avec sa « Stratégie énergétique », Doris Leuthard met en danger la sécurité d’approvisionnement en toute connaissance de cause.
Les partisans espèrent pouvoir maîtriser la consommation de courant avec les réseaux intelligents (smart grids).
C’est un rêve, qui – pour autant qu’il fonctionne – sera très cher. On peut relier au réseau la commande de chaque machine à laver et de chaque frigo et de chaque cuisinière. Ça coûte des milliards. Puis on peut simplement vous déclencher le congélateur. La sphère privée est complètement touchée. Un tel réseau constituerait aussi un risque énorme de sécurité. On pourrait en toute facilité « débrancher » toute la Suisse.
Pourquoi alors n’y a-t-il pas encore eu, en Allemagne par exemple, de problème d’approvisionnement ?
Parce que là-bas les huit centrales nucléaires mises hors service ont été remplacées par des centrales à charbon. Celui qui veut remplacer le nucléaire par du soleil et du vent, reçoit du courant à base de charbon sale, et de plus sans être consulté. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne a rejeté l’année dernière plus de CO2 que jamais auparavant. La Suisse veut maintenant copier cette absurdité. Mais celui qui soutient cela n’a plus le droit de se plaindre du changement climatique, ou de la pollution de l’air et de toutes les conséquences qui en découlent. Cela vaut aussi pour la Conseillère fédérale Leuthard.
Pourquoi ?
Le Conseil fédéral essaie de prendre les gens pour des idiots. On encourage les énergies renouvelables à grands frais et on affirme combien cela serait bon pour l’environnement et porteur d’avenir. Et quand le soleil ne brille pas ou que le vent ne souffle pas, on fait appel à du courant à base de charbon sale en provenance de l’étranger. La Chine fait exactement l’inverse. Elle raccorde chaque mois un nouveau réacteur au réseau, parce que cela ne peut plus continuer ainsi avec la pollution atmosphérique due aux centrales à charbon.
Mais le courant solaire est pourtant propre ?
Là aussi on ment aux gens. Par kWh les cellules solaires produisent en gros huit fois plus de CO2 qu’une centrale nucléaire. Elles sont fabriquées en Chine et polluent de grandes surfaces de territoires. Celui qui veut vivre vert, devrait poser sur son toit des panneaux photovoltaïques produits proprement, mais c’est trop coûteux. Il n’y a pas plus propre que notre mix électrique actuel fait d’hydraulique et de nucléaire. Je ne comprends pas que les Verts ne le voient pas du tout. Cela ne peut s’expliquer que parce que, pour eux, la mise hors circuit des centrales nucléaires est idéologiquement plus importante que l’environnement et le climat.
Que coûte la « Stratégie énergétique » ?
Dans toute la documentation du Conseil fédéral, il n’y a rien sur les coûts. À mon avis, ce n’est pas une politique réaliste que de projeter une stratégie énergétique sans présenter soigneusement les coûts. Des estimations prudentes dépassent les 100 milliards de francs.
Le nucléaire n’est plus rentable à exploiter. Les coûts pour l’assurance responsabilité civile ou pour gérer les déchets sont trop élevés.
Le problème de la responsabilité civile vous l’avez aussi avec un barrage. De nouveaux types de réacteurs réduisent le risque. S’il devait se passer quelque chose avec un réacteur moderne, le problème serait limité à l’installation. En cas de fusion du cœur, on doit aujourd’hui évacuer la chaleur de manière active avec des pompes électriques. La nouveauté est que dans un tel cas le réacteur se contrôle lui-même. D’après moi, on peut bien mettre les anciens réacteurs hors service, mais alors il faut en reconstruire des nouveaux. De plus le problème des déchets se trouve amoindri avec la toute nouvelle génération de réacteurs. Certains déchets des centrales nucléaires ont de longues durées de vie. Les déchets chimiques issus de la fabrication de cellules solaires restent dangereux à jamais, leur toxicité ne décroît pas
CV de Irene Aegerter :
Curriculum vitae Irene Aegerter
Born July 20th 1940 Berne, Switzerland
Saeumerstrasse 26, CH-8832 Wollerau, Switzerland
1958 Studies of Physics (major), Mathematics and Astronomy, University of Berne
1963 Master of Science, University of Berne
1966 PhD University of Berne (Dissertation on Radioactive Bomb Fallout at the Federal Institute of Reactor Research now PSI)
1966-67 Staff Department of Defense: Division of Atomic and Chemical warfare
1967 Post Doctoral Studies, Tata Institute of Fundamental Research, Bombay, India
1967-69 Research assistant: University of California Los Angeles, USA
1969-1981 Fulltime Motherhood (two sons) except for political mandates e.g. Member of the city parliament, Berne
1981-1989 Information officer Sulzer Brothers, Winterthur
1982-1989 Founder and 1. President of the Swiss Association "Women for Energy"
1989-2007 Member of the Board "Women for Energy"
1989-2000 Director of Communication of the Association of Swiss Power Producers and Distributors, Vice-President
1989-2001 Member of the ENS (European Nuclear Society) Information committee
1989- Member of the Swiss Nuclear forum
1989-2006 Member of the Energy commission of the Swiss Academy of Engineering Sciences
1992-1996 Founder and 1. President WIN (Women in Nuclear) International
1995-2006 Founder and 1. President WIN Switzerland
1996-2003 Member WIN Global Executive Board
2001-2007 Member of the Swiss Federal Commission on Nuclear Safety
2001- Vice President cogito foundation
2004- 2014 Vice President Swiss Academy of Engineering Sciences
2008-2012 President WIN Switzerland
2009- Member WIN Global Executive Board
2011- Delegate of the Academy of Engineering Sciences in the Working group “Gender” of the Swiss Academies of Arts, Medicine, Natural and Engineering Sciences.
propos recueillis par Dominik Feusi, BaZ, le 3 novembre 2014
traduction: C. De Reyff et J.-F. Dupont
Annexe:
BR will uns für dumm verkaufen I. Aegerter BaZ 3-11-2014 (article original de la Basler Zeitung)