Bouderies
La conseillère fédérale Sommaruga se pose en victime. Le PS se dérobe offensé. Que se passe-t-il à Berne?
De Roger Köppel, Editorial, Die Weltwoche,27 avril 2016
Des choses étonnantes se déroulent au Palais fédéral. Porte-parole officiel d'une minorité perdante, j'ai prononcé mardi dernier un discours critique à l'égard de la politique de la conseillère fédérale Sommaruga. Il n'a probablement échappé à personne que je ne suis pas vraiment le plus grand fan de la ministre PS de l'asile pour des raisons d'ordre idéologique. Néanmoins, je suis plus que surpris de voir que la conseillère fédérale quitte la salle indignée lorsque je lui reproche de préférer parler de «procédure d'approbation des plans» en matière d'asile que d'«expropriations». Ce n'est pourtant que la vérité. Elle n'a pas voulu m'expliquer pourquoi elle se levait justement sur ces mots lorsque je le lui demandais.
Curieusement, la conseillère fédérale n'a pas été la seule à se dérober. Toute la fraction du PS l'a suivie boudeuse et bougonne. Son chef Nordmann a fait quitter leurs bancs, à grand renfort de moulinets de bras, aux camarades quelque peu fatigués et semblant démotivés. Je suis déçu. Au fond, j'aurais souhaité des questions critiques en réponse à mon constat incontestablement fondé et pertinent estimant que l'extension de la libre circulation des personnes à la Croatie est une violation frivole de la Constitution. Du temps des pointures du PS comme Hubacher ou Bodenmann, la fraction ne se serait certainement pas défilée. Ils m'auraient remonté les bretelles. Que se passe-t-il donc avec le PS?
À la fin des débats, je reçois une note terne, en des termes distants et sans salutation, de la présidente du Conseil national Markwalder (PLR) qui me prie de passer le soir dans son bureau (Wandelhalle côté ouest). Les radicaux-démocratiques de gauche à Berne ne sont pas mes alliés naturels au sein du Conseil. En politique européenne, nous gravitons dans des systèmes solaires différents. Ils estiment que plus d'UE est vital pour la Suisse. J'estime que plus d'UE est fatal pour la Suisse. La convocation de Markwalder a donné du grain à moudre aux journalistes. Les médias spéculent sur des remontrances. Il ne manquerait plus que cela. Nous avons reporté le rendez-vous parce que je devais rentrer travailler à Zurich et, notamment, écrire cet article. Ma collègue parlementaire m'a jeté des regards réprobateurs.
Le départ de la conseillère fédérale Sommaruga produit sur moi un effet désagréable révélateur. Est-elle hautaine ou fragilisée? La donneuse de leçons réagit hypersensible à la critique. Je suppose qu'elle n'est entourée que de thuriféraires dans son département. Sur son bureau s'amoncellent les questions décisives: asile, immigration de masse, accords bilatéraux avec l'UE. À nos frontières méridionales affluent les migrants illégaux. En politique européenne, Sommaruga met le cap sur la fusion. Ce n'est pas un crime d'avoir des opinions divergentes sur ces sujets de celles de la cheffe du département. Je me demande, si la conseillère fédérale Sommaruga prend la mouche et se dérobe rien qu'avec mon discours, comment elle entend négocier ferme à Bruxelles?
Dans la soirée, j'apprends au journal télévisé que les libéraux exigent de la présidente du Conseil national, leur collègue de fraction, de passer un savon à Köppel. Les libéraux favorables, selon leurs propres dires, à la liberté veulent limiter la mienne. Le reporter présume que toute l'affaire va retomber sur moi. Quelle affaire? Je continue de penser que c'est un manquement à ses fonctions officielles que la conseillère fédérale se soit soustraite à ma critique en s'esquivant. En décembre dernier, j'ai donné ma voix à Simonetta Sommaruga. Je n'ai pas fait mystère que j'aurais préféré la voir dans un autre département, avec un UDC au DFJP. Mais l'ayant élue, elle est aussi mon obligée. N'est-ce pas un affront que de s'en aller tandis que le chef parle? Le journal télévisé passe, bien sûr, sous silence de telles subtilités.
La démocratie est un affrontement pour le meilleur argument. Toutes les décisions importantes ne se prennent pas à Berne, mais certaines d'entre elles. Une décision ne vaut vraiment que par la qualité du débat qui la précède. L'absence de confrontation marque la fin de la démocratie. Sans compter qu'il y a aussi des décisions pires à cause de leur unilatéralisme. Quoi que l'on pense de mon intervention, le départ de Sommaruga n'est pas un bon signe. Qu'a-t-elle donc voulu dire par ce geste? Que l'on ne doit plus critiquer les conseillères fédérales? Que j'aurais formulé de manière désobligeante mes arguments? Qu'il ne vaut pas la peine d'écouter la minorité perdante? Or, mon discours n'était pas particulièrement virulent, ni offensant. Si cela suffit pour mettre en émoi la moitié du parlement, c'est que quelque chose ne va plus.
Ne mélangeons pas les choses: ce n'est pas moi qui ait attaqué personnellement la conseillère fédérale Sommaruga, mais plutôt elle qui m'a agressé avec son théâtre bien orchestré. Mes accusations se basent sur des faits vérifiables. Le Conseil fédéral laisse l'UE exercer un chantage sur lui. L'extension de la libre circulation des personnes à la Croatie est une violation de la Constitution. La ministre de la Justice veut déposséder les gens de leurs maisons et de leurs appartements avec sa nouvelle loi sur l'asile pour y installer de jeunes hommes demandeurs d'asile, venus de Gambie, de Somalie et d'Érythrée. On peut l'approuver ou le refuser. On peut trouver mes appréciations justes ou fausses. En tout cas, le départ offensé, sans mot dire, de Sommaruga ne vise pas le message, mais son auteur, ma propre personne. Elle se pose en victime d'une diffamation fictive pour diffamer les critiques dont elle n'apprécie pas les arguments. On voudrait frapper l'adversaire en faisant l'impasse sur le différend. Bouder tout seul dans son coin reste une arme offensive appréciée des femmes et des conseillers fédéraux.
Roger Koeppel, 27 avril 2016