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La Pologne et la Hongrie défendent l’identité européenne… contre l’UE !
Par Pierre Boisguilbert, journaliste spécialiste des médias et chroniqueur de politique étrangère ♦ Le soleil décidément se lève à l’Est. Les gouvernements, élus démocratiquement, de deux pays membres de l’Union tentent de résister à la normalisation idéologique de Bruxelles. On s’efforce de les faire plier par un chantage économique, ils répondent par un blocus économique légal.
Pour certains vrais Européens, la défense d’une identité historique l’emporte encore sur la normalisation mondialiste. C’est tellement étonnant que nombre de pays de l’UE n’y croyaient pas. Mais la Hongrie et la Pologne ont maintenu leur état de droit national et ont refusé l’état de droit vu par Bruxelles. Le 16 novembre, Budapest et Varsovie ont ainsi bloqué le plan de relance européen de 750 milliards d’euros, ainsi que le budget pluriannuel (2021-2027) de 1 074 milliards d’euros. Techniquement, les représentants hongrois et polonais empêchent la décision « Ressources propres , qui permettent à la Commission de financer le plan de relance comme le budget de long terme.
Budget bloqué
Les deux démocraties dites « illibérales » refusent que les aides pour sortir de la crise sanitaire soit dépendantes d’une soumission à l’idéologie européiste. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, et dans une moindre mesure Mateusz Morawiecki, son homologue polonais, avaient prévenu dès le printemps, quand les négociations entre les Vingt-Sept ont commencé, qu’ils ne soutiendraient pas un tel mécanisme de conditionnalité. Il faut bien voir la nature du mécanisme que Varsovie et Budapest auraient dû accepter. C’est un ensemble de 8 articles obligeant les signataires à renoncer à toute particularité nationale sur la justice ou l’immigration. La Commission européenne évaluait ensuite la conformité des pays au dogme et pouvait sanctionner les « rebelles » à la majorité qualifiée. Or, pour le moment, ce qui sauve les pays plus nationaux qu’européistes, c’est la règle de l’unanimité.
La Hongrie rappelle qu’elle était d’accord, en juillet, au Conseil européen, pour une clause budgétaire a minima qui conditionne le versement des fonds européens à leur bon usage effectif, sans interférence politique. Elle estime que l’ajout d’une clause « État de droit » est contraire au droit européen dans la mesure où elle contourne l’article 7 qui prévoit déjà un mécanisme de sanction. Il faudrait donc récrire les traités — ce qui exige l’unanimité. Pour Budapest comme pour Varsovie, il s’agit d’un « chantage politique » contre deux régimes qui, au nom de leur conception des valeurs chrétiennes et historiques de leur pays, affrontent la doctrine des valeurs « droits de l’hommesque » issue de l’article 2 du traité de l’UE.
Rien n’est définitivement joué, comme toujours en Europe. Les vertueux de la démocratie progressiste n’ont pas dit leur dernier mot. La France et l’Allemagne sont embarrassées. « Une solution sera trouvée dans les toutes prochaines semaines, la France y est pleinement engagée », réagit Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes. Mais concrètement, il ne faut rien espérer avant le printemps, voire l’été prochain, de toute façon… En attendant, chaque État membre s’endettera à son propre compte. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pourrait penser que finalement la relance économique post-Covid , le plan dit « Next Generation UE » vaut bien une messe. Ce qui n’est pas le cas de ceux qui veulent imposer une « next generation UE » métissée et garante des droits de toutes les minorités, notamment sexuelles. Ce qui se passe en Pologne et en Hongrie les rend fous.
Défense des traditions
La ville hongroise de Nagykáta a adopté une résolution interdisant “la diffusion et la promotion de la propagande LGBTQ” par les institutions gérées par la municipalité. En cause ? Un conte de fées inclusif qui suscite un tollé dans tout le pays. Intitulé Un conte de fées pour tous, le livre met en scène des minorités : des héros en situation de handicap ou rom, des fées et des sorcières lesbiennes et transgenres… « Je veux que nos enfants grandissent avec des contes traditionnels où la Belle au bois dormant est amoureuse d’un prince, pas d’une princesse », écrit le conseiller Ákos Szabó avant de publier une copie de la résolution votée par le conseil municipal. Selon le texte, cette interdiction “est nécessaire pour le développement spirituel et naturel des enfants“. ”
Pour les mêmes propos, en France, ce serait sans doute la prison ou la mort civile… Il y a bien deux Europe. L’Europe pour tous du mariage pour tous, et plus si affinités, et celle des traditions qui ont fait notre civilisation et que défendent aujourd’hui la Pologne et la Hongrie.
Pierre Boisguilbert
18/11/2020
Source : Correspondance Polémia
Source: https://www.polemia.com/la-pologne-et-la-hongrie-defendent-lidentite-europeenne-contre-lue/
Vous avez dit conservatisme ?
Michel Garroté - Laetitia Strauch-Bonart est une chercheuse spécialiste des questions anglo-saxonnes. Ici, il est question de conservatisme, de libéralisme, de progrès, des questions sur lesquelles elle a réfléchi dans son essai "Vous avez dit conservateur ?". Ci-dessous, les extraits d'un entretien de 'Prisme' avec Laetitia Strauch-Bonart qui est aussi une collaboratrice du Figaro Vox et du Point.
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Le Prisme - Quelle définition donneriez-vous du conservatisme ?
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Laetitia Strauch-Bonart (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) - Le conservatisme consiste à conserver ce qui a de la valeur. Conserver ce qui a de la valeur a une dimension métaphysique, politique mais aussi quotidienne. Vouloir conserver (et transmettre) un objet qui nous est cher, par exemple, ou un lieu que l’on aime, est une attitude conservatrice triviale, du quotidien. Le conservatisme pris au sens métaphysique ou politique est en partie l’application de cette disposition aux questions métaphysiques et politiques. En politique, le conservatisme a un acte de naissance bien particulier : c’est un courant anglophone, né il y a plus de deux siècles au Royaume-Uni, qui souhaite conserver et transmettre les institutions britanniques et une certaine organisation de la société, parce qu’il estime qu’elles sont précieuses, peut-être même les meilleures. Bien sûr, les conserver revient parfois à les adapter. En 2002, Daniel Lindenberg publiait Le Rappel à l'ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, retentissant pamphlet qui désignait les conservateurs, néo-réacs à éliminer.
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Le Prisme - Pourquoi le conservatisme est-il toujours si mal perçu en France ? Même les Républicains se refusent à admettre leur conservatisme. Comment se fait-ce ?
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Laetitia Strauch-Bonart - Le succès du Rappel à l'ordre a été d’autant plus étonnant qu’il est assez médiocre, et ne repose sur aucune démonstration, simplement de la vindicte. Mais il est typique d’un essai à la française, où ce qui compte, c’est de prendre position et de choisir son camp. La raison de la mauvaise réputation du conservatisme est double : l’histoire du conservatisme en France est débord celle de la Contre-Révolution, qui a duré plus d’un siècle ! Le rejet de la démocratie par les réactionnaires, en France, dure jusqu'à la Seconde guerre mondiale avec Maurras. Pendant toute cette période, on aurait pu s’attendre à une acceptation progressive de la démocratie et du parlementarisme par les réactionnaires, une acceptation qui aurait pris acte des qualités de démocratie tout en cherchant à corriger ses défauts. C’est ce qui aurait fait des réactionnaires de vrais conservateurs. C’est ce qui s’est passé au Royaume-Uni, où les conservateurs, débord hostile à la monarchie parlementaire, s’y sont ralliés, et se sont même ralliés progressivement à l’extension du suffrage universel. D'où la mauvaise réputation du « conservatisme » français, celle d’un courant intransigeant et aveugle aux grands changements démocratiques. Cela ne veut pas dire qu’un conservatisme de bon aloi ne s’est pas développé en France à bas bruit, à l’intérieur d’autres courants – il y a eu des conservateurs parmi les républicains et les catholiques par exemple ; le gaullisme est aussi une forme de conservatisme. Or même ce conservatisme-là souffre d’une disqualification inévitable, due à la représentation qui domine notre pays depuis la Révolution : la foi dans l’universalisme, depuis 1789, bénéficie d’une sorte de faveur de principe. Tout ce qui y ressemble est supposé pur, et ce qui s’y oppose – l’attachement, les racines, le particulier – impur. Se réclamer du conservatisme vous jette forcément dans la seconde catégorie, d’où la réticence, encore aujourd'hui, de la droite française, alors qu’il devrait s’agir de son lieu naturel.
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Le Prisme - Le conservatisme s'oppose-t-il à toute idée de changement et de progrès ?
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Laetitia Strauch-Bonart - Le conservatisme ne s’oppose pas au changement, au contraire, car le point de départ de sa réflexion est le changement : que faut-il changer, ne pas changer ? Quand le monde change, faut-il l’accepter ou non ? Et si oui, comment et à quelle vitesse ? Car pour conserver quelque chose, vous devez souvent le modifier. Ceux qui pensent que les conservateurs sont des « immobilistes » ne connaissent pas le conservatisme. Quant au progrès, le conservateur est un être civilisé : il n’a rien contre des progrès locaux et nécessaires, à commencer par les progrès techniques qui ont amélioré la condition humaine – l’accès à l’eau et à l’énergie, une production agricole suffisante, l’hygiène et la médecine. Ce que le conservateur regarde avec ironie, c’est le Progrès avec une majuscule, cette idée que l’histoire va dans un sens – et un sens déterminé à l’avance. Cette direction est soit donnée par une technique dénuée de tout contrepoids moral, soit par une conception de la société où celle-ci doit toujours s’émanciper davantage – c’est le progressisme.
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Le Prisme - "Ce n'était pas mieux avant, mais ce n'est guère mieux après", est le mot d'ordre de certains conservateurs. "Le conservatisme naît avec l'ère moderne puisqu'il naît contre elle", ajoutait Philippe Bénéton, professeur de sciences politiques, en 2000. Le conservatisme est-il passéiste ?
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Laetitia Strauch-Bonart - Je n’aime pas le terme passéiste tel qu’employé par ses adversaires, qui, un peu comme « populiste » qui pourfend le peuple, ou « nostalgie » qui méprise l’affect profondément humain qu’est le regret du passé, sous-entend que le passé est mauvais. Le conservatisme propose une vision de l’être humain où celui-ci n’est pas coupé de son passé parce le présent et le futur en sont indissociables. Burke a écrit que la société était un contrat entre les vivants, les morts et ceux à naître. C’est une conception quasiment disparue aujourd'hui, en tout cas dans une société de plus en plus séculière. Mais elle n’a rien perdu de sa justesse : elle implique que nous ayons de la gratitude envers ceux qui nous ont précédés et que nous préparions le monde pour ceux qui nous succéderons. C’est une vision humble, qui suppose que le monde dans lequel nous vivons n’est que temporairement le nôtre - nous en sommes les garants, pas les propriétaires.
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Le Prisme - On doit à Karl Marx la démonstration du caractère révolutionnaire du libéralisme dans le sens où ce dernier vise à bouleverser perpétuellement l'ordre établi. De même, dans mon article La nouvelle bipolarisation française, je reprends la thèse de Paul-François Paoli qui érige le libéralisme en totale opposition avec le conservatisme. Le libéralisme postule en effet que la liberté individuelle doit primer sur les exigences de la vie collective. Or vous vous définissez comme libérale-conservatrice. Comment est-ce possible ?
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Laetitia Strauch-Bonart - Je me définis comme conservatrice-libérale – ma première maison est le conservatisme ! Ensuite, je ne souscris pas à l’opposition frontale entre libéralisme et conservatisme. Dans la tradition britannique tout d’abord, les deux vont de pair : le libéralisme et le conservatisme se méfient de l’intervention de l’Etat dans les choix sociaux ou individuels, car ils mettent en avant la responsabilité du groupe ou de l’individu. Leur ennemi commun est le progressisme ! Ensuite, le libéralisme présente des bienfaits dont nous profitons tout : d’abord combattre les rentes indues, offrir une certaine reconnaissance, autant que possible, au mérite individuel. Voilà quelques-uns des acquis du libéralisme. A mon sens, c’est un contresens de penser que dans le libéralisme la liberté individuelle doit primer sur les exigences de la vie collective. Dans un monde libéral comme le nôtre, les deux logiques sont en tension mais pas forcément contradictoires. Tout dépend des situations et du moment. Par exemple, si vous faites tout pour réussir vos études pour avoir à terme une meilleure situation que vos parents, vous mettez en acte le libéralisme. Cela ne veut pas dire que vous ne fonderez pas une famille et vous engagerez à la protéger, la faisant passer avant des exigences plus individualistes. Je suis pour la séparation des ordres et la mesure : de même que l’application de la logique marchande à des questions qui n’en relèvent pas est inacceptable, de même l’expression des aspirations individuelles présente des bienfaits incontestables, même si elle ne peut prévaloir dans tous les cas. C’est là aussi qu’intervient une notion centrale : la morale. Plus généralement, je pense que la vision que nous cultivons aujourd'hui du libéralisme, en France, est un contresens. Elle vient en partie de ce que ceux qui promeuvent le libéralisme, depuis les années 1980, ont supplanté ses anciens défenseurs tels Raymond Aron. Les libéraux d'aujourd'hui sont pour moi des libertariens : rien n’échappe pour eux à l’individualisation. Ils méprisent la complexité d’un être humain qui est autant individu qu’être de lien. Les libéraux à la Aron avaient compris que le libéralisme ne peut exister sans fondement politique et moral commun. Autrement dit, sans limite, le libéralisme se détruit lui-même, car il peut tuer les institutions qui lui permettent d’exister, comme la morale.
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Le Prisme - Au fond, le conservatisme n'est-il pas le meilleur rempart contre le nihilisme et la post-modernité visant la mort de l'Homme, l'abolition des identités et la déconstruction absolue de toute structure ?
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Laetitia Strauch-Bonart - Vous prêchez à une convaincue. Ceux qui se retrouvent dans le conservatisme, aujourd'hui, sont fatigués d’entendre que l’être humain est dépassé et qu’il faut toujours et encore tout déconstruire… Nous sortons à peine de deux ou trois décennies d’injonction à la déconstruction, dans la politique, la philosophie ou l’art, et qu’en avons-nous tiré ? De la tristesse et du cynisme. Quels autres sentiments avons-nous en regardant une œuvre de Jeff Koons ? Les conservateurs ont toujours souhaité prévenir leurs congénères que la déconstruction ne menait à rien. Rarement écoutés, ils ont au moins pour eux, aujourd'hui, les faits. Le conservatisme est une philosophie de l’affirmation, de la beauté, du sacré. Aujourd'hui, il faut resacraliser le monde, conclut Laetitia Strauch-Bonart (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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Introduction, adaptation et mise en page de Michel Garroté
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http://www.le-prisme.fr/2016/07/entretien-avec-laetitia-strauch-bonart.html#more
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