L’émeute du Capitole n’était pas un coup d’État. Très loin de là.
Mercredi, une foule apparemment composée de partisans de Trump a forcé le passage devant les gardes de sécurité du Capitole américain et pendant quelques instants elle s’est déplacée sans restriction dans une grande partie du bâtiment du Capitole.
Ces gens n’affichaient pratiquement aucune organisation et aucun objectif clair. Il y a eu quatre morts du côté de la foule, dont une femme - apparemment non armée - abattue par un policier du Capitole paniqué et à la gâchette facile, et trois autres souffrant d’«urgences médicales» non spécifiques. (N.d.t. Il y a aussi eu un mort du côté de la police, voir ici.)
Pourtant, les médias ont réagi comme si l’événement constituait un coup d’État. C’était «un coup d’État très américain», titrait New Republic. «C’est un coup d’État», insiste un journaliste de Foreign Policy. The Atlantic a publié des photos présentées comme des «Scènes d’un coup d’État américain».
Mais ce n’était pas un coup d’État, c’en était même très différent.
Qu’est-ce qu’un coup d’État?
Les coups d’État sont presque toujours des actes commis par les élites contre le pouvoir exécutif en place en utilisant les outils des élites. Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé mercredi. Une bande de mécaniciens, de concierges et d’agents d’assurance désorganisés et impuissants qui traversent le Capitole n’est pas un coup d’État.
Et s’il s’agissait d’une tentative de coup d’État, c’était si loin de tout ce qui pouvait avoir des chances de réussir qu’il ne fallait pas la prendre au sérieux comme telle.
Alors, comment reconnaître un coup d’État quand il se produit? Dans leur article «Global Instances of Coups from 1950 to 2010: A New Dataset» (Exemples de coups d’État dans le monde de 1950 à 2010: un nouveau recueil de données), Jonathan M. Powell et Clayton L. Thyne fournissent une définition:
Une tentative de coup d’État comprend des tentatives illégales et manifestes de l’armée ou d’autres élites au sein de l’appareil d’État pour renverser l’exécutif en place.
Il y a deux éléments clés dans cette définition. Le premier est que c’est illégal. Powell et Thyne notent que ce qualificatif est important «parce qu’il différencie les coups d’État de la pression politique, ce qui est courant chaque fois que les gens sont libres de s’organiser».
En d’autres termes, les manifestations ou les menaces de manifestations ne comptent pas comme des coups d’État. Les démarches juridiques telles qu’un vote de défiance ou une mise en accusation, non plus.
Mais un élément encore plus essentiel de la définition de Powell et Thyne est qu’un coup d’État nécessite l’implication des élites.
On le voit dans n’importe quel exemple stéréotypé de coup d’État. Cela implique généralement des militaires renégats, des officiers de l’armée ou d’autres membres de l’appareil d’État qui peuvent utiliser les connaissances, les compétences, l’influence et les outils coercitifs acquis grâce à l’appartenance aux cercles d’élite du régime.
La tentative de coup d’État au Japon en 1937, par exemple, a été menée par plus de quinze cents officiers et hommes de l’armée impériale japonaise. Ils ont néanmoins échoué, probablement parce qu’ils avaient mal calculé le soutien dont ils bénéficiaient parmi les autres officiers. Plus récemment, lors du coup d’État hondurien de 2009, le gros de l’armée hondurienne s’est retourné contre le président, Manuel Zelaya, et l’a envoyé en exil. C’était un coup d’État réussi. Plus célèbre encore, le coup d’État du Chili de 1973 a été mené avec succès par Agusto Pinochet, le commandant en chef de l’armée, et sa position lui a permis de bombarder le palais exécutif chilien avec du matériel militaire.
Les événements de mercredi
Comparez cela avec des anonymes portant un chapeau MAGA et agitant des drapeaux, et vous comprendrez facilement combien le terme de «coup d’État» est inapproprié dans un tel cas. Avec de vrais coups d’État, le pouvoir est saisi par une faction de l’élite qui a la capacité de prendre indéfiniment le contrôle des rouages de l’État.
Bien que certains critiques de Trump affirment qu’il était en quelque sorte responsable de la foule de mercredi, il est clair que Trump ne coordonnait ni ne dirigeait aucune opération militaire via ses publications sur Twitter. Il n’y avait aucun plan pour s’emparer du pouvoir. Même si ceux qui avaient envahi le Capitole avaient réussi à prendre le contrôle du bâtiment pendant un certain temps, rien ne donne à penser que cela aurait abouti d’une manière ou d’une autre au contrôle de l’État. Comment cela aurait-il été possible? Le véritable pouvoir coercitif restait bien ancré dans un appareil militaire apparemment indivis.
De plus, il est clair depuis des années que la technocratie permanente qui contrôle l’exécution quotidienne du pouvoir administratif fédéral (c’est-à-dire l’«État profond») s’est depuis longtemps engagée à saper l’administration Trump - des agents de haut rang du FBI aux diplomates militaires et aux responsables du Pentagone. D’où Trump tirerait-il la coopération nécessaire des élites pour renverser plus de deux cents ans de normes établies dans le transfert du pouvoir présidentiel?
Dans tous les cas, l’administration Biden sera probablement meilleure pour les élites de l’État que l’administration Trump. Il n’y a aucune raison pour un groupe d’entre eux d’envisager un coup d’État contre Biden. Donc, si l’un des émeutiers du Capitole pensait pouvoir déclencher un coup d’État en cassant quelques vitres certaines fenêtres du Capitole, c’aurait été de l’amateurisme total. Mais il n’y avait sans doute pas beaucoup d’émeutiers à croire qu’un coup d’État était en cours. Plus probablement, la plupart voulaient simplement afficher avec force leur mécontentement à l’égard du régime fédéral et signaler qu’ils n’allaient pas se soumettre placidement à tout ce que la bureaucratie américaine avait décidé de leur offrir.
Néanmoins, il ne faut pas s’étonner que les médias se soient précipités pour appliquer le terme de coup d’État à cette émeute. Ce phénomène a fait l’objet d’un article de novembre 2019 (en anglais) intitulé : «Coup d’État avec adjectifs: étirement sémantique ou innovation dans la recherche comparative?» - par Leiv Marsteintredet et Andres Malamud.
Les auteurs notent qu’à mesure que les vrais coups d’État se sont raréfiés, le terme est devenu plus courant, mais avec des adjectifs pour le modifier.
Exemples de ces qualificatifs: «doux», «constitutionnel», «parlementaire» et «au ralenti». De nombreux détracteurs de la destitution de Dilma Rousseff au Brésil, par exemple, l’ont qualifiée à plusieurs reprises de «coup d’État en douceur».
Les auteurs notent qu’il ne s’agit pas de coupage de cheveux en quatre, mais que «le choix de la manière de conceptualiser un coup d’État ne doit pas être pris à la légère car il comporte des implications normatives, analytiques et politiques.»
De plus en plus, le terme de «coup d’État» en est réduit à signifier en réalité "je n’aime pas ça". L’utilisation du terme sert à dépeindre les participants au pseudo-coup d’État comme des criminels prêts à s’emparer du pouvoir illégalement. En appliquant ce terme aux actes d’un groupe désorganisé de partisans de Trump dépourvus de base de soutien parmi les élites étatiques, les experts savent exactement ce qu’ils font.
Auteur: Ryan McMaken
Source et liens: https://mises.org/wire/capitol-riot-wasnt-coup-it-wasnt-even-close
Traduction libre: Cenator
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Cenator: L’assaut du Capitole de Washington DC est un mouvement de foule spontané, quelque part à mi-chemin entre la prise de la Bastille (événement majeur, bien plus sanglant que ce qui s’est passé au Capitole) et un événement local comme l’assaut de la télévision hongroise, deux siècles plus tard à Budapest (avec des blessés légers). Ces trois mouvements de foule avaient en commun d’exprimer un ras-le-bol à l’égard des élites au pouvoir.
Quand l'édifice d'une civilisation est vermoulu, ce sont toujours les foules qui en amènent l'écroulement. C'est alors qu'apparaît leur principal rôle, et que, pour un instant, la philosophie du nombre semble la seule philosophie de l'histoire.
Psychologie des foules (1895) de Gustave Le Bon
Ici, notre article sur l’assaut de la TV hongroise en 2006 : Defund la RTS ! Comment faire taire notre ministère de la propagande?