Ce 19 décembre, l'ambassadeur de Russie en Turquie, Andreï Karlov, a été froidement abattu par Mevlüt Mert Altintas. Depuis les autorités turques et la presse pro-gouvernementale ont fait savoir que ce jeune policier turc de 22 ans était lié au prédicateur Fethullah Gülen présenté comme l'opposant numéro 1 au président Erdogan et résidant aujourd'hui aux Etats-Unis. Mais les preuves apportées par les autorités semblent plutôt légères, en tout cas suffisamment pour ne pas dissiper le doute. Qu'en est-il alors ?
La thèse islamiste ? Peu probable pour l'instant
Si de nombreux observateurs ont fait savoir que la piste du mouvement Gülen n'était pas convaincante, beaucoup voient cet attentat comme étant inspiré voire téléguidé par des mouvements islamistes. Il est vrai que ces derniers temps, les attaques islamistes, notamment de Daech, sont plutôt monnaie courante en Turquie. On pourrait parfaitement envisager cette piste, d'autant que l’État Islamique a appelé récemment ses partisans à s'attaquer à la Turquie et ses intérêts.
Pour l'instant aucune preuve ne permet d'affirmer que Daech ou un autre groupe islamiste soient derrière cette attaque terroriste. Certains éléments laissent d'ailleurs à penser que ce n'est pas le cas.
L'indice principal étant la question de la revendication. Au moment de la rédaction de cet article, soit deux jours après l'attentat, aucune organisation islamiste n'a revendiqué ce meurtre. Or Daech comme Al Qaida, revendiquent systématiquement et assez rapidement leurs attentats.
Le seul argument qui pourrait laisser penser que Mevlüt Mert Altintas serait lié aux islamistes est le fait qu'il ait dit « Allah Akbar » après avoir abattu Andreï Karlov. Quiconque ayant séjourné en terre d'Islam sait que cette expression est tout ce qu'il y a de plus courant et qu'elle ne peut justifier à elle seule, l'appartenance à un groupe islamiste. La thèse islamiste semble, pour l'instant, reposer sur des arguments plutôt légers
Une troisième hypothèse, celle d'un acte isolé
Or si ce n'est ni le mouvement Gülen, ni la piste islamiste et que l'on fait abstraction des théories de « false flag », peut-on voir dans ce meurtre un acte isolé ? Cette hypothèse ne repose sur aucune preuve concrète pour le moment mais elle ne devrait pas être, pour autant, abandonnée.
Après tout, nous avons trop souvent tendance à inscrire des événements dans des logiques et des considérations géopolitiques bien complexes, au point d'ignorer le caractère imprévisible de l'être humain et d'occulter le facteur local. Quand Gavrilo Princip a ouvert le feu sur l'archiduc François-Ferdinand en 1914 à Sarajevo, avait-il conscience des conséquences de son acte ?
En attendant que toute la lumière soit faite sur cet attentat et sur la personnalité de Mevlüt Mert Altintas, on peut tout à fait imaginer que ce dernier n'ait pas agi par conviction profonde mais par émotion. Une émotion qui aurait pu être déclenchée par la vague médiatique anti Bachar el Assad et anti russe autour de la bataille d'Alep.
Jordi Vives, Les Observateurs
NB : au moment de la publication de cet article, Sputnik annonce que le Front Fatah al Sham aurait revendiqué l'attentat